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La lettre de ce hussard sentimental, outre le sobriquet de « M. Bibi »> qu'elle nous dévoile, nous montre que les camarades même de M. Bibi, un compagnon de plaisir mêlé à toutes ses petites intrigues de femme, à qui il donnait un cheval, ignoraient son adresse à Paris en 1799, alors que son père possédait la maison du quai Malaquais depuis 1791. Il fallait qu'il eût un bien grand intérêt à taire cette adresse. Ce que nous avons remarqué, c'est que au milieu des lettres de cette époque se trouvent des vers de la main de Joseph de Biré avec, en tête, l'indication : « A ma femme qui m'annonçait la visite de ma sœur à Passy où je me cachais. » Était-ce pour échapper à ses créanciers, ou pour des raisons politiques? Peut-être bien pour les deux. En tout cas il versifiait toujours et était toujours galant, même pour sa femme :

« Tu m'annonces de Gabrielle
La présence dans mon manoir;
Ainsi son patron fit savoir
A la Vierge, heureuse nouvelle.
Aisément vous pouvez juger

Que rien ne manque au parallèle :
Alexandrine est aussi belle

Que le céleste messager,

Et moi je suis comme Marie

Quand elle attendait le Messie. »

Alexandrine c'est sa femme. Suivent des vers à sa sœur Gabrielle et un envoi, également en vers.

Comme on le voit la vie de cet aimable mauvais sujet se compliquait chaque jour et la situation financière de la famille empirait aussi chaque jour. Il semble bien établi que Joseph de Biré faisait dettes sur dettes. A la suite des décisions des Conseils ordonnant la levée du séquestre sur les biens de M. de Biré, d'autres difficultés avaient surgi

et le bureau de comptabilité avait pris un arrêté privant la famille de presque tous ses revenus. D'après une pièce du dossier, cet état de choses durait encore en janvier 1804. Aussi les créanciers commençaient à élever la voix. Ils avaient du reste trouvé à qui parler, et Joseph de Biré savait les remettre à leur place quand ils faisaient mine d'oublier la patience ou le respect. Il en est un qui s'attira une verte semonce à propos de sa manière d'agir un peu trop pressante. Comme la réponse était importante, Joseph de Biré crut devoir faire un brouillon que nous avons retrouvé et que nous citons.

« Vous vous faites illusion, mon cher, sur votre position vis-à-vis de moi. Je reçois ce matin une lettre de M. Roguet qui n'a pu être suggérée que par vous. Vous me prenez pour votre victime. Je veux bien vous laisser gagner quelque argent parce qu'il faut bien que je paie la confiance que j'ai eue en vous; mais, ne vous y trompez pas, l'os que je veux vous laisser ronger a une dimension déterminée et qui n'excède pas la taille que je veux bien lui donner. Ce qui pourrait vous le rendre un peu plus gros, ce sont les bons procédés qu'il est de votre prudence d'avoir pour moi, et qu'au surplus je vous forcerai bien d'avoir.

<< Si vous me déclarez la guerre de mauvais procédés, croyez que vous succomberez, et qu'en démasquant quelques intrigailleries de votre part, je briserai avec facilité les armes puissantes que vous croyez avoir. Tout indigné profondément que je suis de votre conduite, j'y mettrai toutefois du sangfroid et de la modération, jusqu'à ce qu'enfin, vous mettant encore plus à découvert, je romprai toute mesure, et vous ferai voir comme on fait justice des misérables subterfuges et des puériles menaces qu'on emploie vis-à-vis de moi, qui connais, pour en avoir été longtemps la dupe, les manœuvres des gens mal intentionnés, et qui ne m'endormirai point pour les prévenir et m'en venger par tous les moyens possibles qui seront en mon pouvoir. Croyez-moi, mettez de l'eau dans votre vin,

si vous ne voulez pas que je me charge de cet emploi, ce qui ne vous serait pas du tout favorable. Quoique vous la connaissiez bien, je vous renvoie ci joint la lettre de M. Roguet à laquelle je ne m'abaisserai point à répondre, et vous déclare que je me prendrai à vous des sottises qu'il pourra faire. Ceci est très sérieux et je n'y manquerai pas. C'est abominable.

<< A Paris, ce 25 nivose, (an) 5 (samedi 14 janv. 1797).

<< Quand vous voudrez venir prendre des arrangements avec moi, vous ferez bien. Vous me trouverez quai Malaquais et je vous invite de ne pas me chercher ailleurs, ni m'y adresser qui que ce soit, si vous ne voulez vous attirer une scène fâcheuse. >>

Il est impossible d'employer plus de virilité, plus de décision, plus de dignité pour ne rien dire du tout. Le créancier qui reçut cette lettre et qui semble être un certain Lenferna, en fut abasourdi et demeura coi, n'osant plus bouger pour le moment.

Ce résultat était appréciable car la situation financière de la famille devenait inextricable. Le 26 frimaire an VIII [mardi 17 décembre 1799] M. de Biré père écrivait de Verrières une lettre à son fils où il n'est question que d'affaires. Des saisies ont eu lieu, presque toute la fortune est sous séquestre, toujours à propos de la reddition de comptes relatifs à ses fonctions de ci-devant administrateur du trésor public au département de la guerre; il avoue qu'il est « aux abois ». Cependant tout en recommandant à son fils de venir à Verrières causer avec lui, il se rappelle qu'on ne vit qu'une fois et il lui recommande d'apporter des huîtres et de la tisane de champagne <«<< ou du chablis pas trop cher ».

Il fallut en venir à envisager la vente de la maison du

quai Malaquais et, dans une lettre du 9 décembre 1800, M. de Biré recommande à son fils de s'en occuper sérieusement. Des pourparlers furent même entamés avec un certain M. du Mousseaux.

A toutes ces préoccupations d'ordre financier s'en joignaient d'autres. Le frère cadet, Marie-Géry, dont il a été fort peu question dans ce récit parce qu'il avait émigré, était subrepticement rentré en France et, n'osant se montrer à Paris, vivait à Verrières où il était moins en vue. Il faisait faire des démarches en vue de sa radiation de la liste des émigrés qu'il n'avait pas encore obtenue. Il avait eu de son côté une existence fort mouvementée. Né à Lille le 10 mai 1769 il était entré à 10 ans à l'école royale et militaire de La Flèche et en était sorti le 1er septembre 1785. En avril 1789 il était parti pour Orléans rejoindre un détachement de cent hommes du régiment de Berchény où il avait été incorporé comme simple hussard; mais le 22 septembre de la même année il avait été promu sous-lieutenant dans le même régiment; il passait capitaine toujours sur place le 29 mars 1790 et se trouvait en garnison à Bouquemont (Lorraine) en 1791. Dans cette même année il était retourné à La Flèche pour s'y marier. Il épousait une toute jeune fille de dix-sept ans, Mo Alexandrine de Bastard de Fontenay, née au Mans le 23 décembre 1774. Le contrat en présence des deux familles réunies eut lieu le 7 mars 1791 et le mariage religieux fut célébré le même jour, dans l'église du collège royal. C'est alors que les événements se précipitèrent. Après un an à peine de mariage, le 1er mai 1792, Géry de Biré passait avec son régiment à l'armée des princes; en 1793 le régiment passait à la solde de l'Autriche et, en 1794, il était incorporé à l'armée

autrichienne elle-même, sous les ordres du prince de Cobourg. Géry de Biré explique lui-même dans une note qu'il adressait au ministre de la guerre après la Restauration, comment il quitta le service en 1794, lorsque les débris du régiment de Berchény, Royal Allemand en Saxe, ont formé le régiment autrichien de chevaux légers de Rosenberg. << A cette époque, dit-il, ce régiment prêtant serment de fidélité à l'empereur d'Autriche, je crus devoir l'abandonner, ce service devenant étranger aux drapeaux que j'avais suivis. »

Il rentra en France en 1797 et vécut à l'écart pendant le Directoire, le Consulat et l'Empire. Sa femme, qui avait aussi émigré, s'établit en rentrant en France dans sa terre de Dobert, dans la Sarthe. Elle y racheta des biens révolutionnairement vendus et c'est là que le ménage semble surtout avoir résidé (1). Géry de Biré paraît avoir été beaucoup plus sérieux que son frère aîné; les notes de son dossier au ministère de la guerre en font foi (2).

Tel était le fils émigré dont le sort tourmentait M. de Biré père et dont on poursuivait avec tant de peine la radiation.

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(2) Arch. administratives du Min. de la guerre. · Dossier 71 bis. Traitements de réforme, 1828.

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