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menace sans cesse ruine (1). La façade de l'hôtel Torpanne est venue tenir compagnie à ces débris dans le jardin inaccessible au public, et, remontée sans fondations, elle va s'écrouler et les rejoindre dans la fange.

Cette boue n'est pas la plus mauvaise place. Les morceaux maçonnés dans les murs de la cour y sont placés en saillie, juste à l'aplomb d'un larmier qui, chaque fois qu'il pleut, ne recueille les eaux que pour les déverser en totalité et de haut sur les malheureuses sculptures. Les douches, les gelées, les fumées que rabat le calorifère ont produit leur effet, et quand une tumultueuse jeunesse prend ses ébats dans les cours, l'homme donne son petit coup de main aux éléments destructeurs (2).

Ce doit être pour les étrangers qui visitent l'École des Beaux-Arts un singulier sujet de stupeur de voir ainsi s'achever la ruine de monuments originaux inestimables de notre art national, à la porte de ce grand bâtiment où l'on abrite avec tant de soin les moulages de plâtre des antiques grecs et romains.

Cependant, le Musée des Monuments français avait été une création si heureuse qu'il était devenu un besoin. Pour compenser les regrets des Français, Louis-Philippe créa en 1832 le musée historique de Versailles qui s'ouvrit en 1837. C'était, dans un cadre historique, la réunion

(1) On le consolide en ce moment pour la quatrième fois depuis moins de cinquante ans qu'il est construit.

(2) Depuis cette causerie, M. Charles Saunier a publié dans Les Arts n° 69 (septembre 1907) un éloquent article plein de renseignements, intitulé Vandalisme officiel. Un trésor d'art à sauver. Les épaves du Musée des Monuments français. Il s'y indigne de cet état de choses, et les faits ne lui donnent que trop raison : un des bas-reliefs, le marbre exécuté en 1701 par Fremin pour sa réception à l'Academie, Le Temps découvrant la Vérité, vient d'être descellé par les pluies et précipité sur le pavé, où il s'est pulvérisé.

de monuments d'art ancien d'une valeur historique, de tableaux modernes évoquant l'histoire, et de moulages de monuments historiques, mais la critique avait fait si peu de progrès qu'on y rééditait les erreurs de la restauration de Saint-Denis, au moment même où l'architecte de Saint-Denis commençait à les rectifier.

En 1834, se plaçant au point de vue de l'étude de l'art plutôt que de l'histoire, M. Thiers fondait à l'École des Beaux-Arts un musée dit des Études, et ce musée se composa presque exclusivement de moulages des antiques. L'esprit exclusif qui régnait alors à l'Académie et à l'École des Beaux-Arts dirigea la collection dans le sens rigoureusement classique. A côté de l'antiquité, on n'admit guère que des modèles italiens pour la Renaissance et même pour le Moyen-Age, si médiocre pourtant en Italie; quant aux modèles français, sources de cet art gothique de l'Italie et des autres pays étrangers, si l'on en accepta quelques-uns, c'est que les Anglais formèrent à Sydenham et Kensington des musées d'art international ancien et obtinrent de mouler des monuments français moyennant le don d'une épreuve à l'État. Or, telle était chez nous la prévention contre ces ceuvres françaises admirées de nos voisins, que beaucoup de ces moulages furent alors condamnés à périr dans des magasins de débarras.

En 1848, il fut un moment question de créer dans Paris un musée de moulages d'un caractère beaucoup plus général.

Du moins, les mouleurs de Paris adressèrent-ils à l'Assemblée Nationale une pétition pour la création d'un atelier national d'où serait sorti un musée, et qui aurait fourni des modèles à tous les musées et écoles de France. Ce projet n'aboutit point.

La création d'un Musée de sculpture comparée est une idée de Viollet-le-Duc. On sait que beaucoup de ses idées furent bonnes, et l'on sait qu'il ne les abandonnait pas : longtemps il avait lutté pour celle-là quand enfin, en 1879, au lendemain de l'exposition universelle qui laissait libre le palais du Trocadéro, la commission des monuments historiques secondée par M. Antonin Proust, alors directeur des Beaux-Arts, put réaliser le projet dès longtemps adopté. Le 11 juin et le 12 juillet, Viollet-le-Duc, adressait à Jules Ferry, ministre de l'Instruction Publique, deux rapports traçant le programme du musée de sculpture comparée. Créé par arrêté ministériel du 4 novembre, le musée était rattaché à la Commission des Monuments historiques au même titre que celui de Cluny (1). Il n'occupait encore qu'une aile du palais et fut ouvert le 28 mai 1882; les années 1880 et 1881 avaient été activement employées. L'inauguration de la salle des XVIIe et XVIIIe siècles se fit attendre jusqu'en 1886; dès lors, la galerie du côté de Paris se trouvait pleine, et un arrêté ministériel du 19 novembre 1887 accorda au service des Monuments historiques la seconde ai!e du palais.

Le musée s'est enrichi de divers dons; le plus important est la collection du sculpteur Geoffroy Dechaume qui fut son premier conservateur. L'Union des Arts Décoratifs, l'École des Beaux-Arts, le Musée de Versailles et divers particuliers ont aussi enrichi nos galeries.

Beaucoup des moulages sont exécutés à bon creux et ces creux sont la propriété de l'État, qui en concède l'exploitation à un mouleur; celui-ci met en vente des épreuves.

(1) Ce dernier vient d'être réuni aux Musées Nationaux.

Ces épreuves servent aussi à des échanges.

Une galerie de modèles d'architecture et de relevés de peintures murales complète les collections, et des vitraux viendront s'y ajouter.

Plusieurs services auxiliaires se sont groupés autour du musée en 1888, M. de Baudot y a ouvert un cours d'histoire de l'architecture française, et c'est sous sa direction qu'ont été exécutés, en 1900, les modèles d'architecture.

La même année, la bibliothèque du musée s'ouvrait au public: elle réunit des ouvrages d'art et des collections très complètes de photographies de France et de l'étranger.

En 1894, la commission des Monuments historiques déposait au musée divers dessins et la collection de ses clichés photographiques, et, depuis la mort de Viollet-leDuc, ses héritiers nous ont donné ses dessins.

En 1903, les galeries extérieures ont été adjointes aux deux ailes déjà remplies.

Dès lors a commencé un travail de classement. Jusque-là, le programme indiquait bien des salles consacrées aux divers siècles et aux diverses Écoles; mais, en pratique, on plaçait souvent les monuments dans toute place libre, pourvu qu'ils y fissent bon effet. Tous les points de comparaison étrangers sont maintenant classés par époques et par pays dans les galeries extérieures et dans les pavillons et il est très instructif de voir rapprocher dans la galerie centrale une foule d'œuvres dont les originaux ne peuvent être mis en regard les uns des autres. Rien ne montre mieux l'évolution de l'art à la fin du xive siècle que le rapprochement du puits de Moïse et du portail de la Chartreuse de Dijon avec le statuaire de même date d'Amiens, de la Ferté-Milon, de Poitiers et de Toulouse.

Parfois un moulage de monument dont la date où l'auteur sont connus peuvent aider à décider du plus ou moins de raison qu'on a d'attribuer à la même date ou au même auteur un autre monument. C'est pourquoi des détails du portail ouest de Saint-Denis ont été confrontés avec celui de Chartres et le Christ de Nicolas Geraert de Liège, à Bade, avec les bustes si malheureusement détruits dans le bombardement de Strasbourg.

Le titre de Musée de sculpture comparée reste donc juste, bien qu'à l'origine, il ait répondu à une autre idée.

En effet, la pensée de Viollet-le-Duc avait été d'établir une comparaison entre la sculpture antique et celle du moyen âge. Il entendait démontrer que toutes deux ont subi une évolution singulièrement identique, et aussi que l'une n'est pas inférieure à l'autre. La révélation des beautés de la statuaire gothique dépassa l'attente même des organisateurs, surtout auprès des artistes que l'éducation académique avait privés de ces modèles. Ils furent comme ces princesses de contes de fée que l'on a élevées quinze ou vingt ans sans leur permettre la vue d'un jeune homme... La démonstration fut donc si rapide et si éloquente qu'il était superflu de la poursuivre; la cause était gagnée.

On s'est d'abord placé au point de vue esthétique et le musée continuera de n'admettre que les meilleurs modèles; mais, à l'opposé de la doctrine de David, les meilleurs modèles de chaque École de chaque temps, abstraction faite de nos préférences individuelles ou temporaires.

Le Musée de sculpture comparée témoigne que le goût de l'histoire de l'art français est chez nous plus que jamais vivace. Nombreux sont les artistes qui y viennent travailler; nombreux les professeurs qui y promènent leurs

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