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Lorsqu'en 1790 les biens du clergé furent décrétés propriété de la Nation, l'Assemblée nationale élut parmi elle un comité d'aliénation de ces biens, présidé par le duc de La Rochefoucauld, et enjoignit par décret à la municipalité de Paris et aux directoires des départements de veiller à la conservation des bâtiments. A leur tour, le comité d'aliénation et la municipalité parisienne s'entourèrent l'un et l'autre des conseils d'une commission de spécialistes des sciences, des lettres et des arts.

A la fin de 1790, ces deux commissions se fondirent en une, dite Commission des Monuments. En 1791, l'Assemblée Constituante la chargea du triage des statues, vases et autres ornements des maisons royales dignes d'être conservés.

En 1792, l'Assemblée législative créa une commission, pour prendre possession du mobilier de la Couronne et l'inventorier. Un décret de la Convention la réunit à la précédente au bout de trois ans.

Le 28 frimaire an II la Commission des monuments, suspectée de tiédeur civique, fut supprimée; il resta la Commission temporaire des arts, créée par la Convention pour inventorier le mobilier des académies et les machines, cartes, plans, manuscrits et autres objets d'art et de science dispersés dans divers dépôts. Le couvent des Petits-Augustins n'était qu'un de ces dépôts. Quel était le but de cet inventaire?

Il était multiple : les objets les plus favorisés devaient entrer au Museum, autrement dit au Temple de la Nature et du Génie, que nous avons repris l'habitude d'appeler plus simplement le Louvre. A cet honneur, il y eut beaucoup d'appelés et extrêmement peu d'élus : ainsi, en août 1794, la Commission temporaire des arts

avait décidé de mettre à la disposition du Muséum, tous les monuments de Saint-Denis, mais ses conservateurs n'y choisirent qu'une seule pièce, la vasque de la fontaine, encore resta-t-elle aux portes du Louvre, pour s'en aller de là aux Invalides, puis aux Petits-Augustins où elle est restée depuis 1809. D'autres objets des dépôts pouvaient recevoir diverses affectations utiles et généralement toutes pratiques : les métaux précieux étaient monnayés, les bronzes et les plombs devaient justifier d'un mérite artistique très exceptionnel pour être conservés. Les marbres étaient recueillis avec soin pour servir de matériaux; beaucoup d'objets qui n'intéressaient pas le goût peu éclairé et très exclusif des commissaires trouvaient, par bonheur, grâce à d'autres yeux; ils étaient vendus au profit de l'État, et les étrangers, spécialement les émissaires de l'Angleterre et de la Russie, firent alors des achats qui sont restés un bon placement.

Enfin, il était des objets que la vertu d'austères républi cains ne voulaient pas rendre au culte ni même à la vue : ceux-là étaient détruits.

Comme Lenoir lui-même l'a dit dans une note en tête de son catalogue, et comme l'a raconté mon confrère et ami M. Henri Stein (1), ce fut d'abord le peintre Doyen qui fut, en 1790, chargé par le bureau de liquidation des biens nationaux ecclésiastiques de « désigner les tableaux et objets d'argenterie que l'on doit considérer comme des chefs-d'œuvre >>.

Le 5 octobre, le Comité d'aliénation l'autorisa « à se transporter dans les différentes maisons religieuses pour prendre connaissance des tableaux, morceaux de sculp

(1) H. Stein: Le peintre Doyen et le Musée des Monuments français. Réunion des Sociétés des Beaux-Arts des Départements, 1888 (t. XII).

ture et autres monuments... pour, sur son rapport, être statué par l'administration sur ceux qu'il serait à propos de transférer dans l'église des Petits-Augustins pour y être conservés.

Sur chaque procès-verbal d'évacuation de maison religieuse, Doyen avait charge de noter «< le nombre et l'espèce de tableaux qu'il jugerait à propos de conserver, les noms des maîtres et des Écoles » et une estimation.

Il devait en remettre copie au Comité et en tenir luimême registre, avec mention des origines.

Il entreprit donc des tournées d'inventaires dans Paris avec les liquidateurs. Quant à la destinée des œuvres d'art ainsi choisies, il n'en était pas le maître : il veillait à leur conservation dans le dépôt dont il avait la garde, et c'est au Comité des Savants qu'appartenait le droit exclusif de choisir parmi ces œuvres celles qui devaient être aliénées ou conservées. Doyen, toutefois, attirait l'attention de ce comité sur les objets intéressants et nous ne pouvons qu'admirer son intelligente curiosité. Dans une requête au Comité des Savants, il sollicitait la conservation des <«< chasubles, vases, chandeliers et autres objets du culte provenant des églises supprimées qui peuvent être intéressants soit par leur richesse, soit par leur antiquité ». « Plusieurs, disait-il, sont précieux par leurs broderies et d'autres plus précieux encore par le caractère qu'ils portent du siècle qui les a produits. Il faudra surtout conserver ceux du onzième et du douzième siècle; ce sont des autorités précieuses pour les arts. L'antiquité est respectable dans tous les genres. >>

Non content de s'intéresser ainsi au sauvetage des Trésors d'art de Paris, Doyen obtint l'envoi d'une circulaire officielle aux membres des districts des 83 départements Sté que DU VIR. 1907.

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pour faire noter et recueillir les tableaux, ainsi que les peintures décorant les plafonds, voûtes, murailles et boiseries il y était prescrit de les faire inventorier par des artistes, ainsi que les sculptures, dont on devait indiquer les auteurs, la matière, les dimensions, les collections de gravures, les tombeaux en indiquant le « nom et surtout la date » de leurs inscriptions; enfin, on devait compter sans les détailler tous les tableaux secondaires, tels que portraits peu intéressants.

Donc, ce n'était rien moins qu'un inventaire des richesses d'art de la France que Doyen faisait décréter. On sait que cette œuvre est encore à faire pour la plus grande partie, quoique, depuis 1791, la besogne ait été singulièrement simplifiée et que l'on n'ait cessé d'y travailler.

Ces bonnes intentions restèrent stériles, et bientôt, préférant sa propre conservation à celle des œuvres d'art, Doyen lui-même abandonna sa tâche : parti en 1791 pour travailler en Russie, et sans doute pour y observer plus en sûreté à distance la tournure qu'allaient prendre les événements de France, il n'avait pas paru s'éloigner sans esprit de retour, car, en 1792, son nom figure encore avec ceux d'autres artistes dans la Commission pour la conservation des monuments des sciences et arts, mais il jugea plus prudent de ne point revenir, et bientôt il fut considéré comme émigré. Depuis son départ, Lenoir, son élève, l'avait remplacé au dépôt des Petits-Augustins, il lui succéda et s'il n'a pas l'honneur d'avoir fondé le musée des Monuments français, il eut celui de l'organiser; il eut, ce qui est mieux, le courage et la gloire de défendre, au péril même de sa vie, les monuments de l'art et de l'histoire.

Le local des Petits-Augustins était un dépôt, comme d'autres situés rue de Beaune, rue de Nesle, au Roule et

ailleurs; on y apportait les objets qui faisaient partie des établissements supprimés et qui paraissaient avoir quelque valeur; on prenait ensuite le temps de statuer sur leur emploi, soit qu'ils fussent retenus par l'État, ou vendus à son profit, ou donnés à tel établissement autorisé qui justifiait en avoir affaire. L'envoi à certains dépôts équivalait à une condamnation à l'Arsenal, on adressait tout le bronze et tout le plomb que ne sauvaient pas des considérations esthétiques de premier ordre ou d'influentes protections; là, les œuvres d'art se transformaient vite en canons et en balles. Dans tous les dépôts, les métaux précieux étaient impitoyablement recherchés et envoyés à la Monnaie.

Le Muséum du Louvre était encore très exigu et gouverné par des principes plus étroits que la place dont il disposait, aussi avait-il une sorte de dépôt qui était le Jardin de l'Infante; là les conservateurs jetaient les objets officiellement attribués au musée et qui ne leur plaisaient pas ou qui, réellement, ne trouvaient point place dans les galeries. Les uns y périssaient; d'autres en sortaient pour la fonte, d'autres attendaient des temps meilleurs, et la simplicité républicaine permettait au gardien d'utiliser en même temps le ci-devant jardin comme basse-cour la volaille inconsciente, irrespectueuse, couvrait de la même indifférence les chefs-d'œuvre incompris et les rois descendus de leurs piédestaux.

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Mais il y avait des animaux plus malfaisants, c'étaient les enfants en bas âge, hôtes assidus de ce jardin. Et il y avait pis que les uns et les autres, c'étaient les gens ironiquement décorés du titre de conservateurs. Tout entier dominé par les idées politiques et esthétiques de David, le Conservatoire du Muséum proscrivait tout l'art flamand et presque tout ce que l'on avait peint en France.

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