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jets extraits du Musée des monuments français pour la décoration de l'église. Ces libéralités s'expliquent d'ailleurs par ce fait que, de 1797 à 1802, l'église des Carmélites fut érigée en paroisse, en remplacement de celle de Saint-Sulpice, occupée par les théophilanthropes. En 1802 seulement, le service paroissial fut rendu à Saint-Sulpice.

Pendant près de cinquante ans, les Carmélites, sous la direction de soeur Thérèse-Camille de Soyecourt, occupèrent l'ancien monastère des Carmes. Elles le vendirent en 1841 à Mer Affre, archevêque de Paris, pour la fondation d'une école de hautes études ecclésiastiques, et allèrent se fixer un peu plus loin, rue de Vaugirard, no 86, d'où elles émigrèrent en 1853 par suite d'expropriation, pour s'établir avenue de Saxe. Mme de Soyecourt était morte en 1849, âgée de quatre-vingt-douze ans.

En 1851, à côté de l'École des Carmes, une partie du couvent et de ses dépendances fut occupé par les Dominicains, reconstitués par le P. Lacordaire. La belle allée de tilleuls qui longe les immeubles de la rue Cassette était le lieu de promenade habituel du célèbre prédicateur; il aimait à y méditer dans le calme et la solitude. A ce propos, M. l'abbé Guibert nous conte une amusante anecdote. Le P. Lacordaire avait horreur des chats qui lui inspiraient une sorte d'effroi. A l'École des Carmes était alors un jeune séminariste de grandes espérances, qui, le premier, en sortit docteur ès-lettres, c'était le futur cardinal Lavigerie. Il paraît qu'il prenait fréquemment plaisir à effrayer le pauvre P. Lacordaire, en imitant subitement, caché derrière un arbre à côté de lui, les miaulements d'un chat.

Les Dominicains disparurent, mais l'École des Carmes prit une grande extension. En 1868, l'abbé Thenon, chargé de la direction de l'école préparatoire, y adjoignit, sous le nom d'École Bossuet, l'externat de Lycéens bien connu à Paris. Enfin, à partir de 1875, s'établirent côte à côte dans l'ancien monastère des Carmes, d'abord l'Institut catholique, puis le Séminaire universitaire.

Après ce rapide exposé historique, nous regagnons le

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« perron des martyrs », nous franchissons les petits degrés usés, et la porte étroite qui ont vu, depuis 1620, tant de choses diverses, et, passant devant l'emplacement du Tribunal des septembriseurs, nous entrons dans la sacristie située derrière l'église. Nous y remarquons quelques boiseries anciennes, et tout de suite; sous la conduite du sacristain, nous descendons dans la crypte, vaguement éclairée par quelques bougies. On y a recueilli tous les souvenirs du massacre de 1792. A droite et à gauche sont des ossuaires où sont entassés tous les restes de corps humains retrouvés dans le puits découvert en 1867. Autour, sur les murs, sont inscrits les noms des victimes. Enfin un petit modèle en relief de la chapelle de la Vierge, aujourd'hui disparue, fait connaître sa disposition. Au milieu de la crypte, on remarque, fixée à un pilier, une grande croix de bois surmontée d'une couronne d'épines. D'après la tradition, le P. Lacordaire se faisait attacher à cette croix pendant plusieurs heures chaque année, le jour du vendredi saint.

Nous remontons dans la sacristie d'où l'on nous conduit dans une petite pièce à l'entresol, connue sous le nom de Chambre aux épées. C'est là, paraît-il, qu'après le massacre, un certain nombre de septembriseurs restèrent à festoyer. On remarque sur l'une des des murailles, à un peu moins d'un mètre du sol, des empreintes noirâtres figurant, à peu près, des poignées de sabres ou d'épées. Une légende veut que les égorgeurs aient posé leurs armes dégouttantes de sang, contre le mur, et que ces empreintes se soient faites ainsi d'elles-mêmes par le sang dont les poignées étaient couvertes. M. Alex. Sorel admet l'exactitude de cette version en l'appuyant sur un examen minutieux auquel il s'est livré. M. l'abbé Guibert, au contraire, nous déclare franchement qu'il lui paraît impossible que des poignées ou gardes d'épées se soient dessinées aussi nettement sans l'intervention d'aucune main. Il pencherait plutôt à supposer qu'un des massacreurs, tout en buvant et plaisantant, a pu s'amuser à dessiner avec son doigt sanglant le contour des poignées posées en équilibre contre le mur. Quoi qu'il en soit, ces empreintes ont été observés dès 1797 par Mile de Soyecourt,

et elles sont, depuis quelques années, religieusement protégées par un châssis vitré.

Mais, après le massacre, la chambre dite des Épées, a été habitée, fréquentée, de 1792 à 1797, par bien des gens, et une série de prisonniers y ont voulu laisser des traces de leur passage par des inscriptions multiples. Plusieurs ont été relevées et signalées dans une publication de 1855, puis rappelées en 1863 par M. Alex. Sorel; mais, dès cette dernière époque, la plupart avaient disparu sous une couche de badigeon, et il n'en avait été conservé que deux qu'on voit encore sous des châssis vitrés. La première, signée de C. Destournelles se compose de deux mauvais vers. La deuxième, beaucoup plus célèbre, est ainsi conçue et signée :

Oh! liberté, quand cesseras-tu d'être un vain mot? Voilà 17 jours que nous sommes enfermés : on nous dit que nous sortirons demain; mais n'est-ce pas là un vain espoir?

(signé) Citoyenne Tallien

Joséphine Vve Beauharnais
Daiguillon.

M. Alex. Sorel s'est livré à un examen attentif de ces deux inscriptions. La signature Destournelles, de la première, lui paraît douteuse. Quant aux signatures illustres de la seconde, celle de la citoyenne Tallien est évidemment apocryphe, car Thérésa Cabarrus n'est devenue femme de Tallien qu'après sa sortie de prison, et d'ailleurs elle a été détenue à La Force et non aux Carmes. Celle de Joséphine Vve Beauharnais est plus que suspecte, car la future impératrice ne signait jamais ainsi. La troisième signature seule est peut-être de la duchesse d'Aiguillon.

Après avoir examiné ces curiosités légendaires, nous suivons M. l'abbé Guibert à travers les méandres d'immenses couloirs un peu sombres sur lesquels donnent les portes de nombreuses cellules monacales. D'un côté, à l'entrée d'une galerie, c'est la salle du Chapître, ornée de belles boiseries.

du xvire siècle d'un style très pur. Au-dessus de la porte est une jolie tête d'ange sculptée en bois. Plus loin, nous montons quelques marches et nous pénétrons dans une bibliothèque de travail où plusieurs jeunes séminaristes, penchés sur leurs livres, lèvent à peine les yeux pour nous regarder passer. Au fond de la deuxième salle, nous entrons dans un oratoire ou chapelle dont les murs sont entièrement couverts de panneaux peints représentant toute l'histoire de saint Jean-Baptiste. Ces peintures ont-elles quelque valeur artistique? - MM. Saunier et Nocq, dont la compétence n'est pas douteuse, n'hésitent pas à déclarer qu'elles doivent être l'œuvre de quelque moine amateur de peinture, mais d'un talent médiocre, comme il s'en rencontrait souvent dans beaucoup de couvents. Néanmoins, l'ensemble de cette décoration picturale divisée en une série de médaillons, est d'un effet original qui a séduit, paraît-il, de nombreux visiteurs. Cette chapelle donne par une fenêtre grillée sur le côté du maître-autel de l'église. Serait-ce là l'oratoire du chancelier Seguier qui avait fourni les fonds nécessaires pour la construction du maître-autel et s'était réservé une tribune

grillée pour y suivre les offices? - M. l'abbé. Guibert ne le pense pas, et croit plutôt que l'oratoire de M. le Chancelier, comme on disait jusqu'à la Révolution, devait être dans une autre chapelle très exiguë, formant également tribune grillée, donnant juste en face de l'autel. Il existe d'ailleurs encore deux autres petites ouvertures disposées de même au-dessus du choeur de l'église.

Après avoir traversé de nouveau la Bibliothèque, nous montons des étages, nous longeons encore des couloirs, et arrivons à une cellule étroite et modeste, mais illustrée par un grand souvenir. C'était le logis du P. Lacordaire. On a inscrit sur les murailles quelques-unes de ses maximes, on a réuni ses œuvres sur une petite bibliothèque, mais peutêtre aurait-il mieux valu conserver à cette cellule sa froideur, sa nudité et le caractère d'austérité qu'elle devait avoir au temps de celui qui l'a habitée. Par une sorte d'exagération d'humilité, Lacordaire ne voulait même pas conserver dans sa chambre un seul livre, et, chaque soir, il reportait à la

bibliothèque les ouvrages sur lesquels il avait travaillé dans la journée.

Nous redescendons ensuite dans le salon personnel de M. l'abbé Guibert pour y admirer un superbe Christ en ivoire de grandes dimensions et d'une réelle valeur. Il paraît dater du XVIIe siècle, mais quelle en est la provenance? On l'ignore. Nous contemplons aussi le vieux fauteuil de M. de Larochefoucault, évêque de Beauvais, massacré en 1792. C'est un joli meuble de style Louis XV, recouvert d'une tapisserie assez fine, représentant une fable de La Fontaine, mais c'est surtout une précieuse relique du malheureux prélat.

M. l'abbé Guibert, appelé par ses fonctions de Supérieur, étant ici forcé de nous quitter, chacun de nous lui exprime de sincères remerciements pour son aimable accueil et l'intéressante conférence qu'il nous a faite au cours de notre visite.

Confiés aux soins du sacristain, nous montons jusque dans les combles de la grande maison. Là, dans d'immenses greniers, sont accumulés des amas de livres de tous genres, non encore classés ni catalogués. Ce sont les dons recueillis des provenances les plus diverses et les plus inattendues. C'est ainsi qu'on y rencontre, entre autres, la bibliothèque de Littré.

On peut évaluer, nous dit-on, à 8 ou 10.000, le nombre des volumes reçus ainsi chaque année. Nous y jetons les yeux en passant; il y a beaucoup de brochures sans valeur, mais on aperçoit aussi de vieux in-folio qui pourraient causer d'agréables surprises à des bibliophiles.

A travers un dédale de vastes pièces, remplies de livres, de couloirs étroits, de vieilles portes verrouillées, de petits. escaliers imprévus, nous parvenons dans l'inextricable enchevêtrement des poutres énormes qui supportent le dôme de l'église. Nous renonçons à monter encore plus haut dans la lanterne qui surmonte le dôme, car l'escalade en paraît. trop périlleuse; mais en nous faufilant, les uns après les autres, au milieu de cette curieuse charpente, nous pouvons, par une ouverture ménagée dans la coupole, examiner au moins un côté des peintures qui s'y trouvent fort mal éclai

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