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par une dame Lefèvre habitant rue de Vaugirard. Sans aucune fortune, d'Antibes avait épousé, n'ayant lui-même encore que dix-huit ans, Françoise-Angélique Stollenwerck, orpheline également, également sans fortune et fille d'un horloger mécanicien. Ce pauvre et modeste petit ménage ne fit guère figure, et d'Antibes chercha pour vivre à faire des extraits, des copies, fut secrétaire ou bibliothécaire de divers personnages, gagnant péniblement sa maigre existence.

En 1780 ou 1781 il va à Marseille pour l'éducation de ses enfants et, au moment de la Révolution, il essaye du journalisme, tandis qu'en 1792 sa femme est dans une position voisine de la domesticité, en qualité de femme de charge, chez les Montausier-Crussol.

Tous les événements qui chaque jour sapaient un peu plus les fondements de l'autorité royale, se répercutaient chez d'Antibes en manifestations chaque jour plus exaltées de loyalisme à son prince.

C'est en 1791 que se passa dans sa vie un petit épisode qui nous semble de bien mince importance, mais auquel il en attache une énorme, car il y revient à satiété et le rappelle à tout propos, lorsqu'en 1815 il réclame le prix de sa fidélité : Après le retour de Varennes, la famille royale fut gardée à vue dans les Tuileries. Ce fut à ce moment qu'on présenta au roi la constitution de 1791 qu'il devait accepter ou refuser en toute liberté. Les royalistes firent remarquer qu'il n'était pas libre dans Paris, et M. de Rozoi, rédacteur de la Gazette de Paris, lança un appel aux royalistes dans les numéros des 10 et 11 juillet 1791, pour qu'il se présentât des otages pour le roi et sa famille, afin de lui permettre de quitter Paris et d'examiner ainsi en toute liberté la nouvelle constitution

qu'on lui présentait. Les adhésions arrivèrent en foule et une liste de 412 noms, hommes et femmes, fut publiée dans la Gazette de Paris. D'Antibes tint à faire remarquer qu'il était arrivé bon quatrième et se chargea de porter la pétition au président de l'assemblée.

Le 24 août 1791, vers 1 h. 1/2, il se présenta à l'Assemblée et, n'ayant pu pénétrer, confia la pétition à M. de Malouet qui s'en chargea. Il est inutile d'ajouter qu'aucune réponse ne vint jamais.

Et c'est ce petit fait qui semble à d'Antibes la plus belle action de sa vie. « Je suis le quatrième Français qui s'est offert en otage pour son roi! » s'écrie-t-il plus tard avec orgueil. N'allons pas oublier de noter qu'il avait offert sa femme et sa fille pour Marie-Antoinette et Madame Royale.

Il épanchait son royalisme en des vers qui faisaient couler les larmes de ses auditeurs. Paraphrasant le chant bien connu :

O Richard, ô mon roi,
L'univers t'abandonne!

il avait composé sur le même air d'autres paroles :

O Louis! ô mon roi,
Notre amour t'environne.

Pour notre cœur c'est une loi

D'être fidèle à ta personne.

Aux yeux de l'univers,

Nous briserons tes fers

Et nous te rendrons ta couronne,
etc., etc. (1).

Malgré l'horreur que lui avaient inspirée les événements

(1) Les otages de Louis XVI et de sa famille, Paris, 1814, in-8°, Bibl. Nat. Lb (2647).

qui suivirent, il fallait vivre et il se décida à entrer, en janvier 1794, dans une entreprise des équipages de l'armée du Nord, en qualité de chef de division. Malheureusement il fallut monter à cheval, exercice étranger à un pauvre diable comme lui, bon peut-être à chanter en vers les grandes chevauchées, mais non pas à les exécuter. Il se laissa choir et se creva un œil. Remis de cet accident, il devint secrétaire en chef de l'ordonnateur général de l'armée du Nord, M. Bourcier. En février 1795, il était de retour à Paris pour être, peu après, nommé souschef de correspondance au bureau des fourrages du ministère de la guerre. Au bout d'un an, quelqu'un raconta sans doute l'histoire des otages que l'on avait oubliée et d'Antibes fut destitué par suite de l'épuration qui eut lieu à cette époque. Il avait réussi à faire annuler cette destitution et à se faire nommer contrôleur ambulant de l'administration aux armées du Nord et de Sambre-etMeuse pour la surveillance des fonds, mais une nouvelle déconvenue l'attendait il fallait se munir d'un équipement complet, cheval, harnachement, armes, tenue; le malheureux d'Antibes, absolument sans argent, ne put jamais trouver les fonds nécessaires à cet équipement et vit la place prise par un autre. C'est alors qu'il s'était lancé dans les conspirations royalistes, où du moins l'argent de Wickham, lui tenait lieu d'appointements (1).

Joseph de Biré fit aussi la connaissance d'un certain Gaillard-Desjourné (ou de Journé), dit Duthieul, né à Toulon, capitaine en France et secrètement breveté colonel au service de S. M. Louis XVIII, chevalier de Saint-Louis, de l'Éperon doré et de Saint-Jean de

(1) Arch. Nat. F7 6310 (6482).

Latran, comte palatin. Ce personnage était en relations fréquentes avec d'Antibes et Trottouin.

Joseph de Biré dîna plusieurs fois avec d'Antibes et Trottouin, se promena avec eux au Palais-Royal, si bien que ces messieurs flairèrent une recrue et finirent par s'ouvrir à lui. Il apprit alors qu'il se trouvait en présence de deux émissaires de l'agence d'Augsbourg qui fonctionnait dans cette ville sous la direction de Louis XVIII, alors recueilli à Mitau par le tzar Paul Ier. Il en connut toute l'organisation.

Après la disparition de l'agence de Paris dont nous. avons parlé plus haut, une nouvelle agence avait été créée en Allemagne en 1798. Son siège était à Augsbourg; on la voit appelée tantôt agence d'Augsbourg, tantôt agence de Souabe; elle-même avait pris le nom mystérieux d' « Institut ». C'était toujours Wickham, l'agent de l'Angleterre, qui était l'âme de ce groupement, composé d'émigrés ou de députés fructidorisés. C'est vers cette époque que Joseph de Biré avait fait la connaissance de Trottouin et du chevalier d'Antibes. Il apprit que cette agence étendait son action sur toutes les parties du royaume, sauf l'ouest, spécialement confié par le roi à la direction du comte d'Artois. Il y avait des chefs militaires et des chefs civils qui prenaient le nom de «< visiteurs », et qui commandaient en province; ils choisissaient les chefs départementaux qui nommaient eux-mêmes aux emplois subalternes. Le comte de Noyant était grand visiteur, le prince de La Trémoïlle, agent général pour Paris, avait sous ses ordres MM. de Bourmont, de Suzannet, de Châtillon, de Bellegarde, sans compter une quantité de gens de tout acabit comme d'Antibes et Trottouin, Gaillard-Desjourné et autres sous-agents de peu

d'importance ou simples adhérents; le général de Précy était agent général pour Lyon; MM. de Frotté, de Ramar, de Malon, exerçaient de hautes fonctions; le duc de Lorges, commandait en Guyenne et le marquis de Guintrau en Agenais. A Augsbourg se trouvaient Dandré, le banquier de l'association, le général de Précy, ImbertColomès, ancien maire de Lyon, et député fructidorisé. C'était là que se centralisaient les renseignements et l'argent, quand par hasard il arrivait à destination, après avoir passé par tant de mains souvent infidèles. Le général Willot, émigré, devait organiser un soulèvement en Provence. Quelque temps avant Marengo, Wickham avait versé à Précy 56.000 louis pour la cause, ce qui surexcita au plus haut point l'envie des autres émigrés, lesquels allèrent jusqu'à accuser Précy de les avoir gardés pour lui, accusation d'ailleurs sans fondement.

Mais toute cette organisation eut un résultat nul et ne réussit qu'à faire prendre les armes à quelques bandes dans le Midi. Du reste cette agence avait dépensé sa peine, son temps et son argent à s'organiser au milieu des tiraillements, des récriminations, des jalousies de ses membres, toujours soumise à cette éternelle question d'argent qui domine tous les agissements de l'émigration. Elle était en perpétuelle querelle avec l'agence de Londres qui prétendait tout diriger à Paris, au point que des difficultés naquirent même à ce propos entre le roi et son frère, le comte d'Artois.

Fouché avait saisi à Paris des correspondances du général Willot qui démasquaient ses agissements et ceux de Dumouriez et lorsqu'en mars 1800, Moreau passa le Rhin et remporta les victoires d'Engen, de Moerskirch et de Biberach, l'agence d'Augsbourg, menacée par l'arrivée

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