Page images
PDF
EPUB

1794, il existait à Paris une agence royaliste qui cherchait par tous les moyens en son pouvoir à nouer des intrigues dans les ministères et correspondait avec le prétendant qui avait alors pour ministre, outre le fidèle d'Avaray, M. de La Vauguyon. D'autre part, à Lyon, parmi les royalistes de marque, se trouvait le général marquis de Précy, l'organisateur de l'insurrection lyonnaise de 1795.

Pour relier Paris avec l'étranger, Précy présenta un jeune homme du nom de Bayard, actif, intelligent et audacieux. Son rôle consistait à faire communiquer l'agence de Paris avec Wickham, ministre anglais résidant à Lausanne et grand dispensateur des fonds que son gouvernement répandait à profusion pour maintenir en France l'agitation et le désordre. Bayard, au cours d'un de ses séjours à Paris, s'éprit d'une ancienne comédienne extrêmement jolie, nommée Catherine Mayerberg, dite Meyer et lui paya un fonds de restaurant de 20.000 francs, rue de la Loy.

Au bout de peu de temps, ce restaurant, achalandé par les amis de Bayard, devint un centre de conspirateurs royalistes en quête d'un local sûr où l'on pût venir en confiance. Toutefois on n'avait pas mis la jolie Catherine Mayerberg dans le secret et on ne parlait pas devant elle. Parmi les clients de la maison, se trouvait un jeune homme, fort joli garçon et fort élégant; c'était le jeune prince de Carency, le fils de M. de La Vauguyon, le ministre de Louis XVIII. Ce jeune homme était tenu par son père au courant de toutes les affaires du parti, au point que d'Avaray s'en était à plusieurs reprises formalisé et même inquiété.

Or il advint qu'un jour, pendant une absence de Bayard, le beau Carency séduisit la belle Catherine

Mayerberg. Quand le ton de la conversation en fut venu aux confidences, Catherine fit part à son amant de l'étonnement que lui causaient les allures louches de toute une partie de sa clientèle, elle avoua qu'elle avait peur d'avoir affaire à des conspirateurs, ce qu'elle ne voulait à aucun prix, de peur de se compromettre elle-même.

Carency, sans s'embarrasser d'aucun scrupule, courut alors tout dévoiler à Barras, afin de se couvrir lui-même et revint en hâte tout raconter aussi à sa maîtresse et même aux autres royalistes amis de Bayard. Les membres de l'agence royale de Paris, prévenus de la trahison, se rendirent à l'Ecole militaire, chez le colonel Malo qu'ils. croyaient gagné à leur cause, afin de précipiter un mouvement qu'il n'auraient voulu provoquer que plus tard. Le 31 janvier 1797, à 11 heures du matin, l'abbé Brottier, M. de La Villeheurnoy, ancien magistrat, et Duverne de Presle, ancien capitaine de frégate, membres de l'agence royale, étaient arrêtés chez le colonel Malo lui-même qui, loin d'entrer dans leurs vues, avait fait prévenir la police. Beaucoup d'autres arrestations eurent lieu, des papiers furent saisis et tous les rouages de l'organisation royale furent mis à nu. Ce fut l'effondrement de l'agence de Paris. Alors éclatèrent les récriminations, les accusations réciproques; les preuves de la vénalité de beaucoup d'entre eux furent mises au grand jour et le gouvernement fit publier de nombreuses pièces de nature à discréditer le parti royaliste.

Quant à La Vauguyon, il remit sa démission à Louis XVIII qui l'accepta sèchement (1).

Ce furent de multiples découvertes de ce genre et aussi

(1) Ernest Daudet, Histoire de l'émigration, t. II, page 58 et suiv,

les résultats des élections de germinal qui effrayèrent le Directoire et amenèrent le 18 fructidor.

Nous ne savons si le traiteur Dupuis remplaça Catherine Mayerberg, mais il semble que ce fût un établis sement du même genre et que la police ait eu les yeux sur l'un et l'autre.

En tous cas, ces détails ne sont pas inutiles pour nous faire voir dans quel milieu se trouvait Joseph de Biré quand il allait dîner rue de la Loy.

Il y avait fait la connaissance de quelques personnages des plus douteux, comme Paris en était rempli à cette époque.

Ce fut avec un de ces hommes que Joseph de Biré entra en relation, soit au restaurant de la rue de la Loy, soit à Verrières, car nous savons qu'il se cachait aussi dans cette localité, séjour fréquent des Biré. Cet homme se nommait Trottouin. Nous ne saurions dire si la connaissance se fit à Verrières et si ce fut de là que Trottouin conduisit Joseph de Biré au restaurant de la rue de la Loy, ou si ce fut l'inverse. Biré prétendit que c'est au restaurant qu'ils se connurent. Ce Trottouin changeait de noms comme de domiciles, et était connu également sous le nom de Thureau et de Saint-Félix. En l'an VIII, on lui connaissait trois adresses: 41, rue Saint-Honoré, visà-vis la rue Saint-Florentin, 20, rue du Helder, et rue Saint-Antoine. Il avait été major dans le corps vendéen de Stofflet et s'était retiré en Allemagne pour revenir à Paris vers nivose an IX avec l'intention de « faire un grand coup ». Mais, entre temps, il n'était pas resté inactif; il avait écrit et publié des libelles, avait parcouru le Périgord pour l'agiter, avait élaboré un projet d'insurrection du Berry, s'était réfugié à Bordeaux puis à Ver

rières, et à Paris, toujours traqué par la police, se trouvant à tout instant dans les circonstances les plus critiques. Comme il était gravement compromis par la saisie des papiers de l'agence de Paris, on le recherchait avec soin. En l'an VIII notamment, il faillit tomber entre les mains de la police et ne dut son salut qu'à un pur hasard, sans s'être jamais douté, du reste, du danger qu'il avait couru. Un observateur qui avait bien en tête son signalement, le reconnut un jour dans la rue et, après l'avoir suivi, le vit entrer dans plusieurs cafés où il put identifier le personnage. Sûr alors de son fait, il ne le lâcha plus jusqu'à l'Ambigu où il le vit entrer. Cet observateur conte dans son rapport (1) de quel désespoir il fut pris en s'apercevant qu'il n'avait pas dans sa poche les 3 fr. 50, prix de l'entrée qui lui permettait de poursuivre sa filature. Il court chez lui chercher l'argent nécessaire et revient hors d'haleine. La foule est compacte; on s'écrase pour voir le ballet de Pygmalion. Enfin, après bien des peines, il aperçoit Trottouin qui n'était pas parti. Cette fois il ne le lâchera plus, quoi qu'il arrive. Le rideau tombe, on sort et Trottouin reconduit une dame à sa voiture, cause avec elle un quart d'heure, puis remonte le boulevard du Temple. L'agent le suit de l'autre trottoir. Il approche de la rue Saint-Antoine où on le soupçonne d'habiter on va donc enfin connaître sa retraite, lorsqu'une patrouille débouche d'une rue et arrête l'observateur pour lui demander ses papiers. Le temps de s'expliquer, Trottouin avait disparu.

Ce conspirateur appartenait à une famille bourgeoise de robe du Poitou et était lui-même avocat au moment

(1) Arch. Nat. F7. 6238 (no 4785).

de la Révolution; mais il était un de ces déracinés dont la moralité n'avait pas su résister à tant de heurts, et ceux de son parti même n'avaient pour lui que la plus médiocre estime. Dans le camp royaliste on prétendait qu'il avait touché des républicains 54.000 livres pour conseiller la pacification. Son signalement lui donne I m. 72, des cheveux et des sourcils châtains, un front large, les yeux bleus, le visage ovale et le menton fourchu. Il avait, en l'an VIII, quarante ans.

Ce personnage était en rapports constants, notamment chez le traiteur de la rue de la Loy, avec un petit homme d'une quarantaine d'années, brun et à moitié chauve, laid et borgne, avec un énorme nez au milieu de sa petite figure aux joues creuses (1). C'était un certain chevalier d'Antibes, dit Blondel, autre agent royaliste non moins actif, mais d'un tout autre caractère. Celui-là n'était pas un aigrefin. Son loyalisme au roi était bouillant et convaincu, mais il manquait totalement de bon sens et faisait preuve d'une naïveté qui le mettait à la merci du premier intrigant venu. La police le connaissait parfaitement sans qu'il s'en doutât et, Peuchet, dans ses Mémoires tirés des archives de la police, conte comment un certain policier nommé Dutour, ancien garde du Directoire, le mystifia, lui escroquant de grosses sommes d'argent en vue d'un projet insensé qui consistait à enlever au Luxembourg les cinq directeurs, pour les envoyer captifs au roi.

Alexandre-Pierre d'Antibes, était né en avril 1756; il était fils naturel de Pierre d'Antibes, capitaine de vaisseau, mort pendant les guerres des Flandres, et de MarieGeneviève de Raimond. Il avait été entretenu à l'école,

(1) Voir son signalement aux Arch. de la Préf. de Police, Registre des écrous du Temple, III, fol. 423.

« PreviousContinue »