E sort qui de l'honneur nous ouvre la barrière, Offre à notre constance une illustre matière; Il épuise sa force à former un malheur,
Pour mieux se mesurer avec notre valeur; Et comme il voit en nous des ames peu communes, Hors de l'ordre commun il nous fait des fortunes,
Combattre un ennemi pour le salut de tous, Et contre un inconnu s'exposer seul aux coups, D'une simple vertu c'est l'effet ordinaire; Mille l'ont déjà fait, mille pourraient le faire. Mourir pour le pays est un si digne sort, Qu'on briguerait en foule une si belle mort. Mais vouloir au public immoler ce qu'on aime, S'attacher au combat contre un autre soi-même ; Attaquer un parti qui prend pour défenseur Le frère d'une femme et l'amant d'une sœur ; En rompant tous ces nœuds, s'armer pour la patrie Contre un sang qu'on voudrait racheter de sa vie; Une telle vertu n'appartenait qu'à nous, L'éclat de son grand nom lui fait peu de jaloux;
Et peu d'hommes au cœur l'ont assez imprimée, Pour oser aspirer à tant de renommée.
Il est vrai que nos noms ne sauraient plus périr. L'occasion est belle, il nous la faut chérir. Nous serons les miroirs d'une vertu bien rare : Mais votre fermeté tient un peu du barbare. Peu, même des grands cœurs, tireraient vanité D'aller par ce chemin à l'immortalité.
A quelque prix qu'on mette une telle fumée, L'obscurité vaut mieux que tant de renommée Pour moi, je l'ose dire, et vous l'avez dû voir, Je n'ai pas consulté pour suivre mon devoir; Notre longue amitié, l'amour, ni l'alliance N'ont pu mettre un moment mon esprit en balance; Et puisque par ce choix Albe montre en effet Qu'elle m'estime autant que Rome vous a fait, Je crois faire pour elle autant que vous pour Rome; J'ai le cœur aussi bon, mais enfin je suis homme. Je vois que votre honneur demande tout mon sang, Que tout le mien consiste à vous percer le flanc, Prêt d'épouser la sœur qu'il faut tuer le frère; Et que pour mon pays j'ai le sort si contraire Encor qu'à mon devoir je courre sans terreur, Mon cœur s'en effarouche, et j'en frémis d'horreur;
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J'ai pitié de moi-même, et jette un œil d'envie Sur ceux dont notre guerre a terminé la vie; Sans souhait toutefois de pouvoir reculer, Ce triste et fier honneur m'émeut sans m'ébranler; J'aime ce qu'il me donne et je plains ce qu'il m'ôte: Et si Rome demande une vertu plus haute, Je rends grâces aux Dieux de n'être pas romain, Pour conserver encor quelque chose d'humain.
Si vous n'êtes Romain, soyez digne de l'être; Et si vous m'égalez, faites-le mieux paraître. La solide vertu dont je fais vanité N'admet point de faiblesse avec sa fermeté; Et c'est mal de l'honnenr entrer dans la carrière, Que dès le premier pas regarder en arrière. Notre malheur est grand, il est au plus haut point, Je l'envisage entier, mais je n'en frémis point. Contre qui que ce soit que mon pays m'emploie, J'accepte aveuglément cette gloire avec joie : Celle de recevoir de tels commandemens Doit étouffer en nous tous autres sentimens ; Qui près de le servir considère autre chose, A faire ce qu'il doit lachement se dispose. Ce droit saint et sacré rompt tout autre lien. Rome a choisi mon bras, je n'examine rien.
Avec une allégresse aussi pleine et sincère Que j'épousai la sœur, je combattrai le frère; Et pour trancher enfin ces discours superflus, Albe vous a nommé, je ne vous connais plus.
Je vous connais encor, et c'est ce qui me tue; (56)
Si l'amour du pays doit ici prévaloir, C'est son bien seulement que vous devez vouloir; Et cette liberté qui lui semble si chère, N'est pour Rome, seigneur, qu'un bien imaginaire, Plus nuisible qu'utile, et qui n'approche pas De celui qu'un bon prince apporte à ses états. Avec ordre et raison les honneurs il dispense, Avec discernement punit et récompense; Et dispose de tout en juste possesseur, Sans rien précipiter de peur d'un successeur. Mais quand le peuple est maître, on n'agit qu'en tumulte; La voix de la raison jamais ne se consulte :
Les honneurs sont vendus aux plus ambitieux, L'autorité livrée aux plus séditieux.
Ces petits souverains qu'il fait pour une année, Voyant d'un temps si court leur puissance bornée, Des plus heureux desseins font avorter le fruit, De peur de les laisser à celui qui les suit. Comme ils ont peu de part au bien dont ils ordonnent, Dans le champ du public largement ils moissonnent, Assurés que chacun leur pardonne aisément, Espérant à son tour un pareil traitement. Le pire des états c'est l'état populaire. (58)
PHILIS, qu'est devenu ce temps, Où dans un fiacre promenée, Sans laquais, sans ajustemens, De tes grâces seules ornée
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