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tué lorfque Rofni n'avait que treize ans. Rofni fut depuis miniftre et favori d'Henri IV. Comment donc fe pourrait-il faire que j'aie retranché de la Henriade ce Rofni pour y fubftituer l'amiral de Coligni? Le fait eft que j'ai mis Duplesfis-Mornai à la place de Rofni. Rousseau ne fait peut-être pas que ce DuplessisMornai était un homme de guerre, un savant, un philofophe rigide, tel, en un mot, qu'il le fallait pour le caractère que j'avais à peindre; mais il faut passer à un simple rimeur d'être un peu ignorant. Venons à des chofes plus effentielles.

Vous allez voir, Meffieurs, qu'on entend quelquefois bien mal le métier qu'on a fait toute fa vie ; et vous ferez furpris que Rousseau ne fache pas même calomnier. L'origine de fa haine contre moi vient, dit-il, en partie de ce que j'ai parlé de lui de la manière la plus indigne, (ce. font fes termes,) à M. le duc d'Aremberg. Je ne fais pas ce qu'il entend par une manière indigne. Si j'avais dit qu'il avait été banni de France par arrêt du parlement, et qu'il fefait de mauvais vers à Bruxelles, j'aurais, je crois, parlé d'une manière trèsdigne. Mais je n'en parlai point du tout; et pour le confondre sur cetté sottise, comme sur le refte, voici la lettre que je reçois, dans le moment, de M. le duc d'Aremberg.

Anguien, ce 8 feptembre 1736.

"Je suis très-indigné, Monfieur, d'appren,,dre que mon nom eft cité dans la Biblio, thèque, fur un article qui vous regarde. On " me fait parler très-mal à propos et très" fauffement, &c. Je fuis, Monfieur, votre ❞ très-humble et très-obéiffant ferviteur,

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LE DUC D'AREMBERG.

Voyons s'il fera plus heureux dans fes autres accufations. Je lui récitai, dit-il, une épître contre la religion chrétienne, Si c'est la Moïfade dont il veut parler, il fait bien que ce n'eft pas moi qui l'ai faite. Il affure qu'à la police de Paris j'ai été appelé en jugement pour cette épître prétendue. Il n'y a qu'à confulter les regiftres; fon nom s'y trouve plufieurs fois, mais le mien n'y a jamais été. Rousseau voudrait bien que j'eufse fait quelque ouvrage contre la religion, mais je ne peux me réfoudre à l'imiter en rien.

Il a ouï dire qu'il fallait être hypocrite pour venir à bout de ses ennemis, et je conviens qu'il a cherché cette dernière refsource.

Rouffeau fujet au camouflet

Fut autrefois chaffé, dit-on,
Du théâtre à coups de fifflet,
De Paris à coups de bâton ;

Chez les Germains chacun fait comme

Il s'eft garanti du fagot;

Il a fait enfin le dévot,

Ne pouvant faire l'honnête homme.

Ce n'eft pas affez de faire le dévot pour nuire; il y faut un peu plus d'adreffe: je remercie DIEU que Rouffeau foit auffi mal adroit qu'hypocrite: fans ce contrepoids, il eût été trop dangereux.

Les prétendus fujets de la prétendue rupture de ce galant homme avec moi, sont donc : que j'ai eu des diftractions à la messe; que je lui ai récité des vers dans le goût de la Moïfade; et que j'ai parlé de lui, en termes peu respectueux à M. le duc d'Aremberg. Hé bien, Meffieurs, je vais vous dire les véritables fujets de fa haine; et je consens, ce qui eft bien fort, d'être auffi déshonoré que lui, fi j'avance un feul mot dont on puisse me démentir.

Il récita à cette dame que j'avais l'honneur d'accompagner, et à moi, je ne fais quelle allégorie contre le parlement de Paris, sous le nom de Jugement de Pluton; pièce bien ennuyeuse, dans laquelle il vomit des invectives contre le procureur général et contre fes juges, et qui finit par ces vers, autant qu'il m'en fouvient :

Et

Et que leur peau fur ces bancs étendue,
Serve de fiége à tous leurs fucceffeurs.

Ces derniers vers font copiés d'après l'épigramme de M. Boindin contre Rouffeau, laquelle eft connue de tout le monde; la différence qui se trouve entre l'épigramme et les vers de Rouffeau, c'eft que l'épigramme eft bonne.

Il récita enfuite un ouvrage, dont le titre n'est pas la preuve d'un bon esprit ni d'un bon cœur. Ce titre est la Palinodie. Il faut favoir qu'autrefois il avait fait une petite épître à M. le duc de Noailles alors, comte d'Ayen. Dans cet ouvrage il difait :

Oh qu'il chanfonne bien !

Serait-ce point Apollon Delphien?
Venez, voyez, tant a beau le vifage,

C'eft-il fans faute ?

Cette pièce écrite toute de ce goût, fut fifflée, comme vous le croyez bien; cependant M. le duc de Noailles le protégea en le méprifant, et daigna lui donner un emploi. Savezyous ce qu'il fit dans le même temps? Il écrivit une lettre fanglante contre fon bienfaiteur. Cette lettre parvint jufqu'à M. de ***. Je ne dis rien que ce seigneur ne puiffe attefter; et Mélanges littér. Tome IV. Pp

j'ajoute qu'il pouffa la grandeur d'ame jusqu'à oublier l'ingratitude de ce poëte.

Rouffeau, hors de France, fit son ode de la Palinodie. Il avait raifon, affurément, de défavouer des vers ennuyeux : mais du moins il eût fallu que la Palinodie eût été meilleure. Malheureufement pour lui, toute la Palinodie confiftait à dire du mal de fon bienfaiteur. M. le maréchal de Villars, ami de ce feigneur offenfé, averti d'ailleurs de l'infolence de Rouffeau, en écrivit à M. le prince Eugène, et lui manda en propres mots : J'espère que vous ferez justice d'un *** qui n'a pas été affez puni en France. Cette lettre, jointe aux ingratitudes dont Rousseau payait les bienfaits de M. le prince Eugène, lui attira une difgrace totale auprès de ce prince. Voilà, Meffieurs, l'origine de tout ce que Rousseau a fait depuis contre moi. Il a cru que c'était moi qui avais fait frapper ce coup; que c'était moi qui avais averti meffieurs les maréchaux de Villars et de ***. Cependant il eft très-vrai que je ne leur en ai jamais parlé. Il est aisé de le savoir des perfonnes que le fang et l'amitié attachaient à M. le maréchal de Villars. La lettre avait été écrite à M. le prince Eugène, avant même que Rouffeau m'eût lu cette mauvaise ode de la Palinodie; et quand il me la lut, je me contentai de lui dire que je voyais bien que fon but n'était pas d'avoir des amis.

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