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La réalisation de ce programme qui allait fournir des aliments nouveaux aux recherches et aux études des érudits exigeait un travail long et pénible qui ne pouvait être accompli sans discernement, et pour lequel le concours de l'autorité judiciaire était indispensable. J'eus, à plusieurs reprises, la bonne fortune de me voir déléguer une mission que le sentiment du devoir, et je n'hésite pas à le confesser, une certaine curiosité aussi, me fit accepter d'abord sans trop de répugnance. De ce moment, je devins un chercheur intrépide: à la curiosité succéda bientôt l'intérêt, qui lui-même ne tarda pas à céder la place à une véritable passion, passion qui ne fit que se développer et grandir le jour où il me fut donné de pouvoir la satisfaire en l'appliquant à des matières qui se rattachent à l'histoire de notre vieille province.

Tout ce qui touche au pays natal a pour nous un charme sans égal, et je l'ai éprouvé aussi vivement que personne, lorsque, dès mon retour dans notre belle contrée, je me mis à rechercher et à étudier tout ce qui avait trait aux anciennes juridictions, chargées de distribuer, à diverses époques, la justice dans notre grande cité picarde.

J'eusse aimé, Messieurs, pour payer ma bienvenue parmi vous, pouvoir vous apporter une étude sur l'une de ces juridictions, sur le Présidial d'Amiens. La création de ce siège de justice dans notre cité, avait été la conséquence des progrès et du développement de nos institutions judiciaires. Lorsqu'après la période des épreuves superstitieuses, du jugement de Dieu, le pouvoir royal avait organisé ses justices, les rouages avaient été d'une extrême simplicité. Le magistrat de première instance, absorbé plus tard par le bailliage, avait été le bailli. Les appels de ses sentences se portaient au Parlement. Peu à peu le nombre des Parlements s'accrut, mais l'éloignement de la plupart des sièges bailliagers de leur ressort rendaient les appels des plaideurs ruineux surtout pour les procès de minime importance.

Frappé de cet inconvénient, Henri II organisa les Présidiaux, juridictions d'appel intermédiaires entre les Bailliages et les Parlements, plus nombreux et par suite plus rapprochés des justiciables, et chargés de vider en dernier ressort les affaires qui ne méritaient pas les honneurs des débats devant une Cour Souveraine.

Notre cité qui était déjà le siège d'un bailliage considéré avec raison comme l'un des plus importants du royaume, était naturellement désignée pour recevoir un Présidial, qu'un édit du roi ne tarda pas à lui accorder.

J'avais pensé qu'une étude sur cette ancienne juridiction qui permettrait de mettre au jour un certain nombre de documents inédits et de faire connaître des détails et des traits de mœurs judiciaires des derniers siècles de notre histoire ne serait pas sans présenter quelqu'intérêt. Résumer les archives d'un ancien corps judiciaire, c'est, ce me semble, faire une œuvre qui ne saurait être ni stérile ni monotone. Chaque siège du temps passé a en effet sa vie propre, ses traditions et ses coutumes distinctes des traditions et des coutumes des sièges voisins. Il n'a d'attache ni avec la noblesse, ni avec le clergé, ni avec le tiers-état, que parfois il tient en échec. Il forme pour ainsi dire un quatrième corps dans l'état, jaloux de ses franchises jusqu'à devenir ombrageux, et, osons le dire, quelquefois même puéril.

Les archives du Greffe de notre Cour d'Appel m'avaient paru renfermer un certain nombre de documents intéressant le Présidial d'Amiens, et depuis quelque temps déjà, mettant à profit les rares loisirs que me laissaient les devoirs de ma charge, je m'étais appliqué avec ardeur à recueillir, au milieu du désordre où ils se trouvent encore épars, les matériaux nécessaires à l'étude que je projetais. Les circonstances ont momentanément interrompu le travail auquel je me livrais, et si je ne puis, quant à présent, réaliser mon désir, j'ai, du moins, le ferme espoir d'ar

river à vous retracer un jour le souvenir d'une juridiction qui, pendant de longues années, a occupé le premier rang dans notre cité.

La bienveillance avec laquelle vous avez daigné accueillir un premier essai en ce genre, sera pour moi le plus précieux des encouragements, et aussi le plus puissant stimulant à mes efforts.

Ce discours est vivement applaudi.

M. le Président répond en ces termes :

MONSIEUR,

Je constate, non sans un légitime orgueil, que, du jour de sa fondation, les hommes les plus distingués de la Cour et du Parquet se sont tenus honorés de figurer parmi les membres de la Société des Antiquaires de Picardie.

Depuis les Guérard, les Le Serrurier, les Bisson de la Roque, et par une succession non interrompue, des magistrats lui ont constamment apporté le concours de leur profonde érudition, comme aussi le prestige de la considération qui s'attache aux graves fonctions dont ils sont investis.

Nous sommes heureux de penser, Monsieur, que ces traditions vont se perpétuer dans votre personne. Il vous a semblé que vous n'étiez pas quitte envers vous-même en étudiant la législation moderne ; il vous a fallu connaître l'histoire de la procédure ancienne; vous rendre compte de la façon dont on appliquait autrefois les lois. Aussi bien n'avons-nous pas oublié les éloges mérités que vous valut le discours prononcé, le 4 novembre 1879, à l'audience solennelle de la rentrée des tribunaux.

Pour les magistrats, vos collègues, l'étude sur la Justice Échevinale d'Amiens consacrait votre réputation de travailleur ; pour nous, elle révélait un futur collègue qu'il nous tarda dès lors d'associer à notre Compagnie.

Et du moment où, cédant à des convictions qu'il m'est interdit

d'apprécier, du moment, dis-je, où vous avez généreusement sacrifié une brillante carrière, votre première pensée fut de consacrer vos loisirs à l'étude de l'histoire locale, vous deviez accorder vos préférences à l'histoire trop peu connue de l'organisation judiciaire. Dès lors ne sommes-nous point surpris d'apprendre que vous recueillez les éléments d'un travail sur le bailliage et le présidial d'Amiens. Faire connaître la nature et l'esprit de ces institutions. les attributions et le caractère de ces juridictions; le fonctionnement des rouages multiples qui, sous des dénominations diverses, concouraient à assurer le respect de la loi échevinale, de la loi féodale, de la loi ecclésiastique, voilà certes un vaste champ ouvert à vos investigations. Si considérable qu'il paraisse, il n'est point au-dessus de vos forces. J'en veux pour preuve l'ardeur que vous apportez dans la préparation des matériaux qui vous sont nécessaires. A vous voir, chaque jour, parcourant avec zèle, j'allais dire avec amour, - les volumineux dossiers conservés aux archives et dans lesquels nos pères enregistraient les ordonnances royales et consignaient les arrêts de la justice, qui ne prédirait le succès réservé à votre œuvre.

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Vous nous rappellerez que, sous l'ancienne Monarchie, il n'y a pas de corps sans juridiction. Pour le clergé, c'est l'officialité; pour les vassaux du Chapitre d'Amiens, c'est la justice de la Barge; pour la noblesse, le tribunal des maréchaux de France; pour les possesseurs de fiefs, c'est le prévôt ou le bailli. Pas d'administration sans tribunal les intendants, les trésoriers de France, les membres des élections rendent des arrêts, ainsi que les maîtrises des eaux et forêts, les greniers à sel, les maréchaussées. Les marchands ont leurs juges-consuls. En outre, la plupart de ces autorités, réunissant les pouvoirs administratif et judiciaire, dépendent de juridictions supérieures tels que le Parlement, la Table de Marbre, la Cour des Comptes, la Cour des Aides, le Présidial et tant d'autres.

Vous nous rappellerez encore que Louis XIV essaya de supprimer en partie ces tribunaux dont les attributions, assez mal définies, donnaient souvent lieu à de regrettables conflits. A Paris, il voulut une seule loi : la sienne. Peu s'en fallut qu'il ne poussât hardiment du pied toutes les petites potences élevées autour de la royauté. C'eût été obéir à cet idéal de grandeur monarchique, le rêve constant de sa vie. L'impossibilité de racheter les charges de judicatures vendues dans un moment de détresse, put seule empêcher le grand roi de créer l'uniformité des juridictions.

Vous nous exposerez toutes ces choses, Monsieur, avec l'autorité et la compétence du magistrat. S'il est vrai, comme vous le proclamez, que l'histoire d'une région demande le concours de toutes les aptitudes, de toutes les bonnes volontés, à vous reviendra l'honneur de rédiger, dans l'histoire générale de notre province, le chapitre intitulé: l'Organisation judiciaire en Picardie.

Bientôt, je n'en doute pas, vous nous ferez profiter du résultat de vos patientes recherches et bientôt aussi nous pourrons, avec le grand Corneille, dire de notre nouveau collègue :

Il promettait beaucoup

Il donne plus encore !!

Ce discours est vivement applaudi.

- M. Angles, présenté dans la dernière séance, est admis en qualité de titulaire non résidant.

-Sur la proposition de M. Darsy, il est décidé qu'une Commission composée de MM. de Calonne, Garnier et Darsy, voudra bien s'entendre avec les autorités compétentes pour obtenir que les différents types d'entraves employées autrefois à la Conciergerie d'Amiens et décrits

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