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dans ces régions némorales la nature, par sa seule puissance, maintient et régénère ce qu'elle a créé. Là, de vieux lauriers, minés par le temps, finissent par s'affaisser sous leur propre poids, augmentent la masse de l'humus, et de nouvelles races naissent de leur décomposition. Le terreau de la forêt, incessamment engraissé par tant de dépouilles végétales, nourrit les espèces qui couvrent le sol et conserve dans son sein les germes de celles qui doivent le remplacer. La nature préside à ces associations, et règle la marche lente de leurs alternances. Des arbres aussi anciens que la terre qu'ils ombragent, dominent tous les autres, comme ces baliveaux qu'on laisse croître au milieu des taillis; leur tronc et leurs branches sont couverts de mousses et de lichens; au-dessous de ces dômes de feuillages, les fougères et les autres plantes des bois entretiennent une humidité fécondante. Tantôt des masses de la même espèce entourent ces vétérans de la forêt, et tantôt des groupes d'espèces diverses cernent l'espace qu'ils semblent avoir conquis depuis des siècles. Ces arbres séculaires sont le point de départ de la végétation environnante, et leur existence vient jeter quelques clartés sur les mystères des alternances1. >>

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Ces forêts présentent en effet les mêmes phéno

Coup d'œil sur les Forêts canariennes, sur leurs changements et leurs alternances, Paris, 1836, in-4°, p. 6 et suiv.

mènes que nous venons de rencontrer dans le nouveau monde. Des myrica faya succèdent aux vieux troncs abattus par le temps ou par le colon; puis viennent des bruyères, qui remplacent le pteris aquilina (helecho), que remplacent à leur tour des arbustes, jusqu'à ce qu'enfin la terre, rendue à sa constitution première, après plusieurs régénérations successives, se recouvre encore des mêmes espèces qu'auparavant.

Par leur caractère atlantique, les forêts canariennes n'ont presque plus rien de commun avec celles de nos climats; elles offrent en général des points de vue très-variés, se groupent de la manière la plus pittoresque sur les pentes des montagnes, garnissent le fond des ravins et les anfractuosités de leurs berges. Placées sur les confins de la zone tempérée, elles ont déjà de grandes analogies avec celles des contrées les plus chaudes des deux hémisphères. Les lauriers y croissent en masse comme aux Antilles et dans quelques îles de l'archipel d'Asie; plusieurs arbres exclus des régions septentrionales s'annoncent comme des espèces dont les nombreuses congénères se retrouveront plus loin. Les mocans s'y montrent pour la première fois, tandis que, par leurs belles dimensions, d'ondoyantes fougères se rapprochent de certaines espèces d'Amérique et de l'île Bourbon.

Les lauriers abondent partout et forment quatre espèces bien distinctes auxquelles viennent s'unir

d'autres arbres de haute futaie et plusieurs beaux arbustes : ce sont les arbousiers, les myrsines et les ilex dee Canaries, l'ardisia excelsa, le rhamnus glandulosus, le visnea mocanera, le myrica faya, le viburnum rugosum, l'erica arborea, le cerasus hixa, le boehmeria rubra et l'olea excelsa, si différent de notre olivier d'Europe. Toutefois, au milieu de ce mélange d'espèces, les lauriers dominent toujours et forment le type caractéristique de cette région que M. Berthelot appelle laurifère. Répartis le plus souvent en divers groupes, ils semblent s'être réunis par espèces. Les singularités dans le mode de répartition des lauriers, s'observent à Ténériffe pour les bruyères en arbre, pour l'ilex perado, pour les cerisiers (cerasus hixa), les arbousiers, les ardisiers et les fayas, pour les mocans dans l'île de Fer, à Canaria pour les tils.

Les forêts, quelque belles, quelque étendues qu'elles soient, ne nous offrent pourtant pas tout à fait l'image de l'ancien état forestier de l'Archipel.

Avant la conquête des Canaries, la région laurifère devait s'étendre jusque dans le voisinage du littoral, partout où l'exposition et les autres causes influentes étaient venues favoriser le développement des arbres. Les premiers navigateurs qui visitèrent ces îles en ont parlé comme d'un pays boisé jusqu'à la mer; mais aujourd'hui, les forêts sont loin du rivage. Lorsque Pedro de Vera et Alonzo de Lugo restèrent maîtres de la partie occidentale de

l'Archipel, ils voulurent exploiter à leur profit ce sol encore vierge, et les répartitions de terre entre les chefs et les soldats, furent les premiers résultats de la victoire. Alors, à la guerre de spoliation succéda la dévastation des forêts; pressés de jouir de leur conquête, les nouveaux maîtres eurent recours à l'incendie comme au moyen le plus propre pour accélérer les défrichements, et poursuivirent ce système d'exploitation avec un acharnement inouï1. Bientôt tout changea d'aspect; les arbres indigènes cédèrent leur ancien poste aux plantes exotiques, la végétation primitive fut refoulée par les cultures dans les sites les plus anfractueux, et les forêts entamées de toutes parts s'ouvrirent en vastes clairières.

Des localités qui ont conservé des noms de plantes indiquent encore les anciennes limites de la région des bois. Telles sont celles qu'on appelle la vega de los mocanes (vallon des mocans), à Canaria, le Madroñal (les arbousiers) mot qui dénote l'ancienne présence des arbousiers, a l'ouest de la Ciudad de las Palmas, le pic du Laurier à Ténériffe, lequel n'est plus couvert que de bruyères.

Entre les îles du groupe des Canaries, Gomère est aujourd'hui la plus peuplée d'arbres, l'île de Fer n'a plus guère que des massifs de genévriers, de pins et de mocans. Ténériffe, dans sa partie nord-est, offre

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une grande ligne forestière qui prend les différents noms de forêt de la Laguna, forêt de la Goleta, de Taganana. Au nord s'étend la magnifique forêt d'Agua Garcia, que M. Berthelot a si bien décrite 1. Dans l'île de Canaria, la forêt de Doramas est célèbre par le rôle qu'elle a joué dans l'histoire de cet archipel. L'île de Palma a aussi ses forêts séculaires. Les pins de la Caldera font l'étonnement des voyageurs'. Ces pins des Canaries (pinus canariensis) constituent une des essences forestières caractéristique de cet archipel. Toutefois, Lancerotte et Fortaventure en sont dépouillés, car cet arbre n'aime que les hauteurs dont ces deux îles sont dépourvues. Leur végétation rappelle celle de l'Afrique, dont elles ne sont éloignées que de quelques centaines de milles.

L'Afrique n'est point aussi privée de forêts qu'on le croit généralement, bien qu'il y ait loin de sa végétation forestière à celle de l'Amérique. Sur la côte occidentale de ce grand continent, les voyageurs ont signalé quelques forêts. Au nord de la Sénégambie et du lac Cayor, sur la côte habitée par les Trarzahs, se rencontrent plusieurs vastes forêts de gommiers, entre lesquelles celles de Lebiar, d'Alfatah, de Sahel sont les plus importantes. A l'embouchure du Sénégal, les mangliers forment

1 P. 43.

2 Berthelot, p. 57.

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