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breux, qu'éclairent çà et là quelques percées faites par les vents1 ou dues à la caducité des rameaux, tous les fléaux animés ou inanimés semblent s'être donné rendez-vous. La mort plane sur ces solitudes ombreuses qui en évoquent incessamment la pensée. Les fièvres, les alligators, les serpents, les moustiques se disputent le malheureux qui s'égare dans ces jongles du nouveau monde pour aller frapper de sa hache leurs troncs séculaires. Mais aucun danger n'arrête l'avidité de l'homme, rien n'effraye l'entreprenant descendant de la race anglo-saxonne. Les lumberers se hasardent à travers ces marais empestés, et précipitent dans les eaux du Mississipi les troncs qu'ils ont déracinés.

Le Mississipi, cet antique père des eaux, est en effet le grand agent de destruction de ces forêts du nouveau monde septentrional; ses flots, surtout à l'époque de l'inondation, sont sans cesse chargés de masses énormes de bois, de gigantesques rafts qui encombrent son lit et qui se forment d'eux-mêmes avec plus de solidité qu'aucun radeau fait de main

1 Les ouragans produisent parfois des abatis considérables. Ils renversent les arbres dans toutes les directions. On donne aux parties des forêts ainsi dévastées le nom de hurricanes, ouragans. Flint, o. c., p. 34.

*T. Flint, o. C., ibid.

3 Voy. sur l'influence exercée par ces forêts marécageuses sur la santé humaine S. Forry, the Climate of United States (New-York, 1842), p. 363 et suiv..

d'homme. Ces trains d'arbres se remarquent surtout sur l'Atchafalaya, un des bras du Mississipi. On en rencontre également sur le Red River. Un des affluents de ce fleuve, le Washita, est interrompu durant l'espace de dix-sept lieues par une succession presque non interrompue de ces rafts1. M. de Humboldt a signalé l'existence du même fait dans l'Orénoque, dont le lit est sans cesse encombré par une masse de troncs qui sont comme piqués dans la vase2.

Ces forêts marécageuses, par l'action destructive de l'humidité, finissent par se transformer en de vastes tourbières qui offrent l'aspect de grandes plaines inondées et dont la surface serait couverte d'arbres entraînés par les eaux. Ces mares immenses, ces mers de boue fournissent encore un sol assez ferme pour que le cupressus thuyoïdes et le genévrier y végétent; ils offrent çà et là les seuls appuis que rencontre le pied des animaux qui errent dans ces solitudes aquatiques, les ours, les chats sauvages, les loups. Le plus célèbre de ces marécages est le Great Dismal, que nous a décrit M. Lyell dans son intéressant voyage aux États-Unis, et qui s'étend entre les villes de Norfolk (Virginie) et Weldon (Caroline du Nord)'.

1 Lyell, Principles of Geology, t. I, p. 356, 6o édit. Élie de Beaumont, Leçons de Géologie pratique, t. I, p. 507.

2 Voyage aux Régions équinoxiales, t. VI, p. 224.
• Revue britannique, 6a série, t. XI, p. 257 (an. 1847).

Sur les plans inférieurs des Alleghanies le rhododendron catawbiense et le kalmia latifolia étalent leurs fleurs élégantes. D'étages en étages la végétation se modifie; aux forêts de chênes succèdent les pins résineux (pinus rigida) auxquels se mêlent les magnoliers, les peupliers et différentes espèces de nyssa villosa1.

Ces forêts des Alleghanies appartiennent à une des quatre zones forestières qu'embrasse l'Amérique du nord. Elles s'étendent sur la côte sud-ouest jusqu'au sud de la baie de Chesapeak 2. Elles présentent pour essences principales les pins, les sapins, les cèdres et les cyprès.

La seconde zone qui répond à la région des magnoliers, des catalpas, des tulipiers, s'étend sur les Florides et la Louisiane, elle est caractérisée dans plusieurs de ses parties par les forêts de cèdres connues sous le nom de cedar-swamps3. Dans la Louisiane, le myrica cerifera mêle sa tige assez chétive aux rhodoracées.

Dans la Floride et la Caroline, des forêts appelées pine-barrens sont composées de pins gigantesques atteignant plus de 50 mètres de hauteur et rivalisant avec ceux qui garnissent la rive opposée du continent américain. Ces pine-barrens comprennent une large bande de terre de plusieurs centaines de

1 Revue britannique, 2o série, t. XIV, p. 254 et suiv.

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Macgregor, The Progress of the United States, t. II, p. 27.
Macgregor, 1. c.

milles de longueur. Derrière ces forêts de conifères qui forment comme la seconde ligne forestière que l'on rencontre en débarquant sur le rivage, la première étant composée de sveltes palmiers, viennent d'autres forêts non moins épaissés, mais composées de mille sortes de bois. « Là, écrit M. F. de Castelnau', le magnolier étale avec profusion ses feuilles semblables à d'immenses spatules, tandis que l'air est embaumé par ses belles et énormes fleurs si éclatantes de blancheur. Il est entremêlé de cent espèces d'ilots, de sassafras, de catalpas, de lauriers, de cèdres, de gommiers, au milieu desquels se distingue aussi le magnifique chêne vert. Partout le cornier de la Floride éblouit les regards par sa splendeur argentée; l'azalea prodigue sa corolle, semblable à un gracieux papillon et le sumac étale avec orgueil le magnifique éclat de ses bouquets écarlates. Tous ces arbres si variés sont étroitement entrelacés par des lianes sans nombre, véritables alliances de ces fiancées de la nature. »

La troisième zone forestière recouvre les collines et les petites montagnes des Carolines, de la Pensylvanie, et comprend les pentes des Alleghanies que nous venons de décrire. Le chêne, le bouleau, le mûrier, le sycomore, l'érable peuplent ses futaies. Le chêne à feuille de saule (Q. salicifolia),

1 Bulletin de la Société de Géographic, 2a série, t. XVII, p. 401, Essai sur les seminoles de la Floride.

l'orme et le châtaignier forment des forêts dans la Pensylvanie, dans le New-Jersey principalement, dans les environs de Hobochêne, des forêts séculaires courent parallèlement à la côte. Les deux parties de cet État forment au reste un frappant contraste; tandis qu'une végétation vigoureuse garnit les cantons septentrionaux, ceux qui s'étendent au midi n'offrent qu'un terrain sablonneux et aride, qui a ses essences propres et ses forêts spéciales '. Le haut Ohio coule sous un berceau de tulipiers et de platanes qui réfléchissent dans ses eaux leur feuillage élégant.

C'est surtout dans l'État d'Indiana, aux environs de New-Harmony, sur les bords du Wabash que les forêts de l'Amérique septentrionale se montrent dans toute leur magnificence. Elles offrent au milieu des grandes forêts du nouveau monde, un caractère particulier, et au nombre desquels il faut compter le défaut de plantes toujours vertes, à la seule exception du gui (viscum flavescens), de la bignonia cruciata, de l'equisetum hiemale et de la miegia microsperma. Quand les bois sont dépouillés, l'œil n'est frappé que par les feuilles de l'equisetum que je viens de citer, lesquelles atteignent 8 à 10 pieds de hauteur. Dans ces massifs d'arbres, le voyageur est frappé de platanes gigantesques, se ramifiant en un certain nombre de troncs creux

Revue britannique, 1. c.

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