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produit le même effet que nos frimas. Les bois se dépouillent de leur verdure, et le voyageur qui les traverse, est brûlé par les feux ardents de la zone équinoxiale, en ayant sous les yeux la triste image de nos hivers. On a vu la sécheresse se continuer deux années, et les arbres rester deux années sans feuillage. Pour compléter l'analogie qui existe entre les hivers de sécheresse de ces pays et nos hivers de froid, on voit les bourgeons se défendre de même de la gelée et du soleil. Dans les déserts de San-Francisco, des écailles les protégent comme dans la Finlande et la Norwége'.

Quand l'air est ainsi embrasé, les forêts si luxuriantes durant la période d'humidité, semblent une vaste nécropole. Laissons parler un voyageur qui nous a fourni déjà quelques-unes des descriptions précédentes «<Tout ce qui nous entourait, écrit M. de Martius, présentait un aspect particulier, à nous inconnu, et remplissait l'âme de tristesse. L'épaisse forêt n'était plus qu'un tombeau, car la saison de la sécheresse l'avait totalement dépouillée de sa parure de feuilles et de fleurs. On voyait seulement grimper çà et là quelques smilax épineux où les tiges serpentantes de cissus, garnies dans leur partie supérieure de feuilles isolées. Ici se dressaient entre les branches les magnifiques panicules

1 Aug. de Saint-Hilaire, ibid.

2 Aug. de Saint-Hilaire, o. c., p. 217. 3 Reisen in Brasilien, t. II, p. 449.

de fleurs du bromelia. Le tronc des arbres ne se détachait que davantage sur l'azur du ciel de tout cet entourage, de ces branches qui les enlaçaient comme des bras de géants. On voyait en grand nombre des acacias épineux, des andires et des copaïfères aux rameaux multipliés, des figuiers blancs de lait; mais ce qui nous frappait par-dessus tout, c'étaient les troncs gigantesques du chorisia ventricosa renflés comme d'énormes tonneaux..... Des myriades de fourmis ont suspendu leurs demeures, véritables labyrinthes, au tronc de ces arbres, et leur contour, de plusieurs pieds d'étendue, contraste par sa couleur foncée avec le gris clair des branches dépouillées de feuillage. La forêt, frappée d'immobilité durant l'automne, retentissait du cri de nombreux oiseaux, et surtout du coassement des araras et des perroquets. Nous rencontrions des tatous et de craintifs fourmiliers au

milieu des hautes murailles de capims qu'élève en creusant l'industrie des fourmis. A nous se présentaient les paresseux suspendus léthargiquement aux rameaux blancs de l'ambamba (cecropia peltata). On entendait de loin la troupe bruyante des singes. >>

Tel est le caractère des catingas (sylva decidua durant la saison de la sécheresse. Dans le district de Minas-Novas et sur les larges plateaux qui le recouvrent, il est un autre genre de forêts appelé carascos par les habitants. Là les arbres ont totale

ment disparu, et l'on n'a plus sous les yeux qu'une foule d'arbustes d'un mètre à peu près de haut, entre lesquels le mimosa dumetorum se fait remarquer par son feuillage élégant'. Entre les catingas et les carascos se placent les carrasquenos, qui forment comme une transition des uns aux autres.

Outre ces forêts, que la saison des pluies transforme en de vastes étangs couverts d'arbres, le Brésil a aussi ses forêts marécageuses par excellence, formées en partie de mangliers, comme celles des Moluques et de l'Inde Le rhizophora mangle, qui pousse dans les terrains vaseux des bords de l'Océan, semble suspendu dans les airs sur des espèces de cordes obliquement tendues. Son tronc ne commence qu'à huit ou dix pieds au-dessus du sol, que vont chercher en descendant de grosses fibres radicales 2.

Bien que les progrès de la civilisation aient aujourd'hui quelque peu réduit cette magnifique parure forestière du Brésil, leur masse résistera certainement longtemps à la hache du colon. Rio de Janeiro est encore ceinte d'une vaste barrière de forêts qui s'étend à plus de cinquante lieues. Les massifs d'arbres qui entourent la baie de la capitale du Brésil

Aug. de Saint-Hilaire, Tableau géographique de la Végétation primitive dans la province de Minas-Geraes, Nouv. Annal. des Voyag., année 1837, t. III, p. 174.

2 Aug. de Saint-Hilaire, Morphologie végétale, p. 90, Voyage dans le district des diamants, t. II.

transporte le voyageur d'enthousiasme. « Les fleurs les plus élégantes, les fruits les plus beaux y attirent à l'envi les regards. Ici les mimosa balancent leurs longues panicules odorantes; là de nombreuses tiges de palmiers s'élancent avec noblesse, en étalant leur front toujours couvert de fleurs et de fruits. Plus loin, des carica et des cecropia à larges feuilles lobées, d'immenses araucarias à fruits savoureux qui, malgré leurs dimensions tropicales, semblent être cependant des transfuges des régions du nord, par la ténuité et la teinte sombre de leur feuillage. Des bananiers à fleurs nectarifères et à régimes dorés, de charmants rhexia et des melastoma à fleurs purpurines, des eugenias à drupes succulents, des morus, des achras, des lecythis, des geoffræa, des hymenaa, des laurus sassafras, des psidium offrent leur ombrage protecteur contre l'action du soleil brûlant1. »

Tout est gigantesque dans la végétation du Brésil, les forêts comme les prairies couvertes d'herbe (campos). Lorsque ses vastes mers d'herbe entourent des bouquets d'arbres moins étendus que les mattos virgems ou les catingas, bois que l'on nomme capoes ́, l'œil est frappé d'un admirable contraste qui fait ressortir davantage tout ce que les

2

1 Gaudichaud, Botanique du Voyage de l'Uranie, p. 10. 2 Aug. de Saint-Hilaire, Tableau géographique de la Végétation primitive, p. 175.

végétaux ont d'imposant dans cette contrée, quelque hauteur qu'ils s'élèvent d'ailleurs.

à

La physionomie des forêts du nord de l'Amérique méridionale, de la Nouvelle-Grenade, du Venezuela, de la Guyane rappelle beaucoup celle des forêts que nous venons de décrire. M. de Humboldt dit que le beau dessin de M. de Clarac représentant une forêt vierge des bords du Rio-Bonito au Brésil, lui a rappelé les plus douces impressions de son voyage à l'Orénoque 1. Cependant malgré cette ressemblance, la végétation arborescente conserve dans chacune de ces deux contrées des traits qui lui sont propres. Et pour compléter la revue que j'ai entreprise des forêts des deux mondes, je demanderai au grand voyageur que je viens de nommer, quelques-unes des couleurs qui me serviront à peindre cette nature sylvestre.

Le sol du nord de l'Amérique méridionale présente comme trois zones distinctes ayant chacune leur végétation particulière. On trouve d'abord des terrains cultivés le long du littoral et près de la chaîne des montagnes côtières; c'est la zone qui est connue sous le nom de tierras cultivadas. Viennent ensuite les savanes qui constituent la zone des pâturages, zona de los pastos, enfin au delà de l'Orénoque, se déploie la zone des forêts (zona de los

1

A. de Humboldt, Tableaux de la Nature, trad. Eyries, 2e édit., t. II, p. 148.

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