Page images
PDF
EPUB

nombreuses; ailleurs les plantes grimpantes étalent toute la bizarrerie de leurs formes; en quelques endroits ce sont les bambous qui à eux seuls forment toute la masse de la végétation, et dans d'autres l'on voit dominer les palmitos (euterpe oleracea) et la fougère en arbre.

Lorsqu'on a atteint les bords du Parahyba et qu'on s'avance vers l'équateur, on voit les forêts vierges reparaître. La chaleur pénétrante des rayons du soleil de plus en plus verticaux donne à la terre une force de production prodigieuse. Ses créations, sous l'influence de ces feux dévorants, ont quelque chose de monstrueux et de gigantesque. Depuis l'embouchure du fleuve des Amazones jusqu'à plusieurs centaines de milles à l'est, règne une forêt impénétrable, véritable chaos végétal. Une extrême humidité, jointe à une température dévorante, imprime à la végétation une activité presque désordonnée. Au temps des gelées, les arbres et les arbrisseaux se dépouillent de leurs fleurs éclatantes. La végétation subit un stase, et des masses d'acide carbonique s'échappant du sol forment une atmosphère délétère sur toute l'étendue de la forêt1. Les feuilles luisantes du tillandsia répandent sans cesse sur le sol l'eau qu'elles distillent, et mille autres arbustes versent de leurs tiges des gouttes de pluie, qui, en se vaporisant, chargent l'air d'une incroyable humidité.

1 Martius, o. c., p. 11.

Dans les vallées basses de la rivière des Amazones, ces forêts prennent durant la saison des pluies un aspect particulier. Le fleuve et les lacs qui l'avoisinent inondent au loin le sol des forêts par d'innombrables canaux naturels (sangradoudesagoadeiros), et les troncs des arbres sont plongés dans l'eau à plusieurs pieds de profondeur. Le voyageur qui navigue sur un des nombreux affluents de l'Amazone, court risque de s'engager dans ce labyrinthe de canaux, et parfois il a passé plusieurs jours à retrouver le lit du fleuve1. On ne saurait peindre par le langage l'étrange spectacle offert par ces vastes massifs qui nagent au-dessus d'une mer immense, sur laquelle le frêle esquif du voyageur se guide à grand'peine à travers les futaies et les bosquets qui lui barrent sans cesse le passage. Lorsque le vent agite les flots et les branches, le paysage prend une physionomie qu'un pinceau même ne saurait exprimer. Les végétaux ont alors quelque chose d'aérien, et les branches des hyménées, des myrtes, des styrax, des caryocar, quise balancent au-dessus de la tête des voyageurs, semblent descendre des cieux. Lorsque les eaux se re

1 Martius, o. c., p. 12. Le savant botaniste bavarois raconte que, remontant la rivière de Japura en décembre 1819, il s'engagea dans ces canaux, et qu'il passa trois jours avant de retrouver le lit du fleuve. En Picardie, les hortillonnages qui entourent la Somme, et qui sont formés par les tourbières, peuvent nous donner une idée quoique faible de ces dédales d'eau,

tirent, elles laissent sur le sol un limon d'une extrême fertilité, où le cacaoyer trouve des éléments d'une croissance rapide et d'une production abondante. On voit reparaître les rives escarpées (barrancos). Les plages sablonneuses se couvrent rapidement de hautes graminées. Les graines lèvent de toutes parts, et l'hélosis, cette parasite charnue et de forme analogue à l'éponge, s'élance du sol sur les racines.

A l'embouchure du Maranon, aux environs de Macapa, le majestueux almendron ou juvia (Bertholettia excelsa) forme des forêts qui se retrouvent aussi jusqu'au pied du Cerro Mapaya, sur la rive droite de l'Orénoque, jusqu'aux rapides de Cananiracâri1. Cette immense contrée forestière de l'Amazone part de la rive nord de ce fleuve, en prenant au sud-ouest des llanos de Macapa, couvre la moitié nord-ouest de la grande île de Marajo, formée au milieu des eaux douces, et s'étend du versant méridional de la chaîne arénacée de Paru et du chaînon granitique qui sépare le Brésil de la Guyane française jusqu'au Rio-Negro. Elle règne sans interruption jusqu'aux montagnes de granite de la Serra de Parima. Des forêts de moins d'étendue garnissent les rives des trois fleuves latéraux de l'Amazone, le Tapajos, le Xingu et le Tucantins.

On ne saurait comparer à ce prodigieux district

1 Humboldt, Voyage aux Régions équinoxiales, t. VIII, p. 40, 178.

forestier les forêts qui s'étendent sur les autres provinces du Brésil. Toutefois, trois lignes de forêts presque aussi étonnantes se développent à l'ouest de cet empire. La Matta da Corda, formée en partie de catingas, en partie d'arbres de fort brin (madeiras reaes ou de ley), couvre la portion occidentale de la province de Minas Geraes. La seconde ligne porte le nom de Matto Grosso1, le grand bois; elle se détache des forêts des Cordillères, et court dans la province de Goyaz, le long du Corumba et des autres tributaires du Parahyba, jusque dans les déserts habités par les Indiens Cajapos. Enfin, la troisième ligne, qui traverse également la capitainerie de Matto Grosso, forme une immense forêt qui longe le Guaporé, le Madeïra et le nord des marais de la Vargeria, d'où l'Arinos prend sa source. C'est dans cette troisième forêt, que se rencontrent particulièrement les arbres qui donnent le baume de copahu (copaïfera officinalis) et la fève pichurim ( persea pichurim2).

1 La première partie de cette forêt offre comme un immense taillis déjà âgé, au milieu duquel on aurait laissé un grand nombre de baliveaux. La seconde offre une végétation beaucoup plus belle, les lianes y couvrent les arbres et les bambous et y forment d'épais berceaux. Au milieu du Matto grosso existent de grandes clairières où croît uniquement du capim gordura, graminée d'une odeur fétide. Aug. de Saint-Hilaire, Voyage aux sources du rio San-Francisco et dans la province de Goyaz, t. II, p. 54.

2 Martius, p. 15.

Des catingas se présentent surtout dans la province de Ceara, Rio Grande do Norte, Pernambuco, Piauhi, Goyaz et Bahia. Ils se plaisent sur le terrain granitique, calcaire, jurassique ou sablonneux'. Sur ce dernier terrain, les arbres sont tous d'une moyenne grandeur, se pressent au point d'offrir de véritables haies arborescentes, sur lesquelles la Bougainvillea brasiliensis étale en septembre ses longues grappes de fleurs purpurines, qui font encore ressortir les feuilles roides et uniformes des bromelia et des tillandsia 2.

Bien que dans ces forêts la végétation soit maintenue dans une activité continuelle par ses deux agents principaux, la chaleur et l'humidité, il existe des arbres, tels que certaines bignonées qui chaque année perdent, comme les nôtres, toutes leurs feuilles à la fois, mais immédiatement après ils se couvrent de feuilles, et bientôt reparaît leur feuillage. Mais pour quelques végétaux arborescents qui offrent ce phénomène, la majorité garde toujours son feuillage, et le nombre de ces arbres verts est d'autant plus grand, que l'on s'éloigne du tropique. Mais il n'en est point ainsi dans les catingas. Là la sécheresse non interrompue durant six mois

1 Martius, p. 16..

2 Aug. de Saint-Hilaire, Voyage dans le district des diamants, t. II, p. 69.

p.

3 Aug de Saint-Hilaire, Leçons de Morphologie végétale, 181.

« PreviousContinue »