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écrite en vingt endroits de ses lois. La loi des douze tables condamnait à une amende de 25 as celui qui mutilait un arbre, amende qui était autant de fois imposée qu'il y avait d'arbres mutilés'. Des peines sévères avaient été établies contre celui qui coupait en Égypte un sycomore dont le bois servait à construire les digues qui retenaient le Nil'. Les nombreux termes relatifs à l'aménagement des forêts que l'on rencontre dans les lois romaines, prouvent d'ailleurs que les Romains étaient fort avancés dans l'économie forestière. Telles sont les expressions de sylva materiaræ et cedua, par lesquelles ils distinguaient les forêts de haute futaie et les bois taillis; celles de sylva regerminans, reputtulans, renascens, stolones radicibus emittens, qui s'appliquaient aux différents bois taillis, d'arbores grandes, arbores tonsiles, etc., et qui distinguaient les différents genres d'arbres".

Mais nonobstant l'administration prévoyante des Romains, on doit croire que, tant que dura leur domination, la prédominance marquée des

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1 Lex XII Tabul. VIII, ad calcem Element, juris romani Heineccii, edit. Giraud, p. 491. Cf. Gaius, Inst. comment. IV, § 11. Digest., 1. XLVII, tit. 21, 1. 10, ex Ulpian. de offic. proc. Déjà chez les Grecs, au temps de Xénophon, l'action de couper un arbre chez autrui était regardée comme un acte d'hostilité. Libanii Orat. VII pro Aristoph., p. 220, éd. Morell. Xenoph. Hist. Græc., lib. IV.

3 Behlen, o. c., p. 31.

intérêts de l'agriculture, le besoin impérieux de produits alimentaires firent hâter et étendre les défrichements, et restreindre d'une manière notable l'extension, auparavant presque indéfinie, de la végétation forestière. L'établissement des ordres religieux, la propagation de la vie cénobitique et anachorétique exercèrent ensuite une influence marquée sur la mise en culture des forêts. De pieux solitaires fondèrent, au cœur de plusieurs d'entre elles, des monastères qui devinrent autant de centres agricoles. Ils défrichèrent des lieux boisés et marécageux qui n'avaient été jusqu'alors que le repaire des bêtes fauves et qui répandaient au loin la stérilité. La vie de plusieurs saints fondateurs d'ordres monastiques, d'abbés, d'ermites, témoigne des services que ces hommes de Dieu rendirent à l'humanité. Ainsi nous lisons, dans la Vie de saint Fiacre', que les hauteurs de la Brie, sur lesquelles se retira ce solitaire, étaient couvertes d'une épaisse forêt qui se rattachait à la forêt de Jouarre (Jotranum, Juranum), dont probablement les bois de Meaux et la forêt du Mans sont encore des restes. Saint Fiacre défricha

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1 Ad prædictum locum reversus est Fiacrius et avulso nemore monasterium in honorem B. Mariæ construxit. Bolland., XX, Aug., p. 606. Le lieu où s'établit saint Fiacre s'appelait Le Breuil, c'est-à-dire le bois. Cf. Act. s. s. Bened., t. II, p. 618.

2 Ce sont vraisemblablement ces bois dans lesquels, au

une grande partie de ces lieux, qui, depuis longtemps, forment un des plus riches cantons de la Brie1. On doit de même à saint Deicol ou Diel le défrichement d'un canton des forêts des Vosges, celui de Luthre ou Luders, aujourd'hui Lure, qui était alors infesté de bêtes fauves. C'est dans ce canton qu'il éleva la célèbre abbaye de Lure, où vint le visiter Clotaire II, que la chasse du sanglier avait amené dans cette contrée 2.

Ce rôle civilisateur, cette action agricole des moines' ne cessa que lorsque, enrichis par leurs efforts et leurs travaux, ils ne songèrent plus qu'à jouir paisiblement de leurs biens et abandonnèrent à des serfs le soin de cultiver le sol dont ils consommaient les produits. L'opulence amena la paresse, et, loin d'imprimer à la marche de l'agri

x siècle, le moine Richer raconte qu'il se perdit, en se rendant de Reims à Chartres. Richer, Histor., lib. IV, c. L.

1 Cf. Vit. S. Columbani, ap. D. Bouquet, Hist. de France, t. III, p. 481-513.

2 Voy. Baillet, Vies des Saints, t. II, p. 245 et suiv., 18 janv. Saint Diel, dont le nom a été altéré plus tard en celui de saint Diey ou Dié, vivait au commencement du vir siècle. Le lieu des Vosges où il se retira, appartenait à Weifhar, seigneur de la cour de Thierry, roi de Bourgogne,

On doit aux moines divers travaux agricoles fort impor tants. Ce sont eux notamment qui ont créé une foule d'étangs dans la Brenne et dans la Bresse. Voy. de Marivault, Précis de l'histoire générale de l'agriculture, p. 311, note (Paris,

culture une salutaire impulsion, les religieux obéirent alors aux influences nouvelles et toutes différentes qui se faisaient sentir.

Ces influences, c'était aux barbares qu'elles étaient dues. Les populations germaniques, sorties d'un pays encore plus boisé que la Gaule, avaient pour leurs forêts un respect religieux. C'était dans leurs profondeurs, sous leurs épais ombrages, qu'elles sacrifiaient à leurs divinités; c'était dans les forêts que les Germains passaient une partie de leur temps, occupés à la chasse, qui leur offrait incessamment une image de la guerre, dont elle rappelait les émotions et les hasards.

Originairement les forêts germaines constituaient une propriété commune. Tout le monde avait sur elles le droit d'usage, et elles servaient à tous de lignes de démarcation pour les champs et les propriétés1. Les abus auxquels avait donné lieu un pareil état de choses, ne tardèrent pas à faire naître une législation plus protectrice, qui arrêta quelque peu les dévastations.

Les lois ripuaires défendent expressément le vol dans les forêts royales et communales'. La loi șalique réitère ces défenses, fixe des châtiments

1 Anton, Geschichte der Teutsch. Landwirthschaft, t. I, p. 141.

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Lex Ripuariorum, tit. LXXVIII, p. 468, ed. Lindenbrog.
Lex salica reformata, tit. XXIX, art. 16, 27, 29, p. 136,

contre ceux qui porteraient du feu dans les forêts ou qui y causeraient du dommage, établit l'usage de marquer des arbres à abattre, porte des peines contre ceux qui les écorceraient sur pied, et défend sévèrement l'abatage des arbres fruitiers1. Les lois des Lombards' ordonnaient que celui qui abattait un arbre de réserve ou qui en enlevait seulement la marque, eût le poing coupé ou perdît la vie. Aux motifs d'utilité publique qui engageaient les peuples barbares à défendre l'abatage des arbres se rattachait sans doute encore le respect religieux, l'espèce de culte dont certains arbres, les arbores sacrivæ, étaient entourés dans le paganisme germanique',

Le passage de cet état communal des forêts à l'état de propriété privée était un fait grave, qui allait à l'encontre d'habitudes invétérées chez la race germanique, et qui ne pouvait par conséquent s'opérer d'un coup. Ce fut graduellement que les fo

ed Canciani. La loi des Visigoths fait la même défense, lib. VIII, p. 153, ed. Canciani.

1 Lex Bajuvariorum, cap. vii, tit. XXI, p. 395, ed. Canciani.

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Leges longobardica, lib. I, cap. 1, art. 138 et suiv., p. 71 et suiv., ed. Canciani. Elles défendirent aussi d'incendier les forêts, p. 206, ed. Canciani,

Cf. Leges longob., lib. VI, c. 1, art. 30, p. 120, ed. Canciani; Ducange, Gloss., s. v° Sucrivus. Voy. sur les Arbores sacrive, Muratori, Antiquitates italicæ medii ævi, t. V, p. 66 et

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