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Les forêts de Compiègne et de Senlis (en latin Sylvanectum) étaient comprises dans les embranchements de l'Ardenne. Toute l'étendue forestière contenue entre le Laonais et le Parisis avait reçu des Latins le nom de Silvacum. Ce nom fut altéré plus tard en celui de Servais, et il est resté à deux cantons situés, l'un dans le Parisis, l'autre dans le Laonnais. A deux lieues de Louvre, près Paris, se trouve encore un village qui porte le nom de la Chapelle-en-Servais1. Le palais Silvacum, dont il est si souvent fait mention dans les Capitulaires, était bâti sur l'emplacement actuel de Servais, village du Laonais. Cette forêt se terminait aux marais tourbeux qui occupaient le Ponthieu, dans lesquels les eaux de la Samara entraînaient les troncs déracinés et les rameaux détachés par le vent 2.

Aux confins du Cambresis et du Vermandois se trouvaient les deux forêts Theoracia et Aroisia, dont le défrichement a donné naissance, vers le vir siècle, aux pays de Tiéraisse ou Thiérache et d'Arouaise3.

1

Carlier, Histoire du duché de Valois, t. I, Hincmar, Annales, ap. Pertz, Monum. germ., 477. On dit aujourd'hui par corruption Serval.

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t. I,
, p. 467,

2 Voy. sur les anciens marais du Ponthieu, le mémoire de M. Girard sur l'histoire physique de la vallée de la Somme, Journal des mines, no 10, p. 15.

3 Voy. Li Romans de Raoul de Cambrai et de Bernier, publié par Ed. Le Glay, p. 341, 348 (Paris, 1840).

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Lutèce se trouvait environnée au nord par ces dernières ramifications des Ardennes. A l'est son territoire était borné par les forêts des Meldi, au sud et à l'ouest par celles des Senones et des Car

nutes 1.

Une ligne de forêts courait de Trèves à Vesontio, et constituait en quelque sorte une seconde Ardenne.

Telle était l'impression profonde que cette immense forêt d'Ardenne avait, par sa majesté et son horreur, laissée dans les esprits, qu'on voit, dans tout le cours du moyen âge, son souvenir se rattacher aux aventures chantées par les romanciers, et qu'on en fit le théâtre de mille fictions. On la représente comme le repaire de bêtes féroces inconnues à nos climats, tels que lions, tigres, léopards:

« Devers Ardene vit venir uns leuparz,

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dit la chanson de Roland'. Dans le roman de Parthenopex de Blois, ce chevalier et le roi Clovis sont représentés chassant dans cette forêt, dont on donne la description suivante :

« Ardane ert moult grans à cel jor,
Et porprendoit moult en son tor;
Car plus duroit dont li convers

'Cæsar, De bell. Gall., I, 9; III, 28; V, 3; VI, 5; VIII, 7.

* Édit. Francisque Michel, stance LVI, p. 29.

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N'i ossoient pas ariver,

Por elefans, ne por lions,

Ne por guivres, ne por dragons,
Ne por autres mervelles grans
Dont la forest ert formians.

Ele estoit hisdouse et faée
La disme pars n'en ert antée.
Li paissant i missent mers
De tant con duroit li convers.
Ne passoit gaires nus les sains
Qui là revenist dont mut ains.
Oltre les sains n'avoit convers,
Chievrels ne dains, bisce ne cers,
Ne beste nuls fors maufés
Qui mangeoit les esgarés.
Cil Cloevis, cil rices rois,

Á la cacier en Ardenois1. »

Cette naïve description, qui accuse l'ignorance du romancier en fait d'histoire naturelle', montre

1 V. 499 et suiv., éd. Crapelet, t. I, p. 18, 19.

2 Les romanciers étaient généralement fort ignorants sur ce chapitre. C'est ainsi qu'Adenès, dans son roman de Berte aux Grans Piés, place un olivier dans la forêt du Mans :

C'est la forest du Mans, ce oy tesmoigner

de combien de fables la ténébreuse forêt d'Ardenne était l'objet. Dans les sombres clairières, les paysans croyaient entendre le bruit du cor et de la meute du chasseur nocturne. Puis tout à coup ils voyaient tomber morts à terre des sangliers, des daims et des cerfs frappés par son invisible épieu1. Ces crédules habitants de la forêt s'imaginaient que c'était saint Hubert, apôtre de cette contrée, qui continuait son ancien métier de chasseur. Une légende célèbre rapportait sa conversion miraculeuse dans cette forêt3.

Au reste ces traditions féeriques n'étaient pas les seules qui s'attachassent aux forêts. Dans presque toutes, l'imagination populaire, amie du merveilleux et gardienne des anciennes croyances druidiques, plaçait des aventures analogues. C'était dans les forêts que les fées aimaient à faire leur séjour. Raymondin rencontra Mélusine dans celle de Colombiers en Poitou. C'est dans celle de Léon en

Lors se sont arrestées dessous un olivier.

(Édit. Paulin Paris, p. 34.)

1 Voy. la légende de Die wilde Jagd in den Ardennen, dans l'ouvrage de J.-W. Wolf, intitulé: Niederlandische Sagen, p. 616, Leipzig, 1843.

2.

2 Bolland., Act. sanctor., 2 octob., p. 528, col. 2.

3 Voy. mon Essai sur les légendes pieuses du moyen áge, p. 172.

4

* Voy. l'Histoire de Mélusine, par F. Nodot, p. 19 (Paris, 1698).

Bretagne que Gugemer, étant en chasse, trouva la fée qui joue un si grand rôle dans sa mystérieuse aventure1. C'est dans une autre forêt que Graelent vit celle qui l'enleva dans son séjour d'Avallon3. On connaît les merveilles de la forêt de Brécheliande, dont nous parlerons plus loin, et où résidait l'enchanteur Merlin. En Lorraine, un petit bois, sur la route de Tarquimpol à Marsal, porte encore le nom de Haye des Fées. Une dame blanche ou fée se montrait, au dire des paysans, près des forêts qui environnaient la Roche au Diable, où un menhir appelé Kunkel, la Quenouille, atteste l'existence ancienne du culte druidique *. La célèbre Roche aux Fées, se trouvait jadis dans la forêt du Teil en Bretagne; mais aujourd'hui son emplacement a été déboisé. C'était au pied des arbres que les fées aimaient à se montrer. Témoin cet arbre aux fées où, au temps de Jeanne d'Arc, les superstitieux habitants de Domremy faisaient chanter la messe pour éloigner ces esprits malfaisants".

1

Voy. le Lai de Gugemer, dans les Poésies de Marie de France, publiées par de Roquefort, t. I, p. 54.

"Voy. le Lai de Graelent, dans les Poésies de Marie de 'France, t. I, p. 538, 539.

3

Voy. H. Lepage, Le département de la Meurthe, t. II, p. 247.

Ce lieu est près d'Abreschwiller. Voy. H. Lepage, o. c., t. II, p. 6.

5 Mémoires de l'Académie celtique, t. V, p. 379, 381.

6 Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque du roi,

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