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Gaule. Lorsque, abordant sur la côte de Massilia, le Romain pénétrait dans notre pays et s'avançait dans la direction du nord, il rencontrait des bois de plus en plus épais, de plus en plus étendus. A peine avait-il passé la Druentia et entrait-il dans la Viennoise qu'il se trouvait dans de vastes forêts où le souvenir des cérémonies druidiques subsistait il n'y a pas deux siècles1. Au delà et à l'ouest, s'étendait la chaîne boisée des Cévennes où l'abondance des forêts avait fait vouer un culte particulier au dieu Sylvain'.

Au centre de la Gaule, le pays des Arverni rappelait par son nom ar, article, et vern, aune, les innombrables aunes qui poussaient sur son sol de trachyte et de granite. Cette essence très-robuste se contente, comme on sait, de terrains secs et légers.

L'Aquitaine présentait une suite de dunes chargées de forêts de pins et d'essences alpestres qui s'étendaient jusqu'aux Pyrénées. Au delà de la

1 Chorier, Histoire générale du Dauphiné, t. I, liv. I, p. 60 (Grenoble, 1661).

'D. Martin, Religion des Gaulois, t. I, p. 190.

› Vern, aune; en bas-breton gwern. De là sont dérivés les noms de Leguern, Penvern, Vernes, Vernet, Verney, Verneuil, Vernoy, Duvernoy, Vergnes, Vergniaud, Guerneaux, etc. Voy. Radlof, Neue Untersuchungen des Keltenthumes, p. 417 (Bonn., 1822).

*Festus Avienus, Ora maritima, 271.

Loire, dans la partie de la Gaule occupée par la race kymrique, les Lyonnaises et les Belgiques, l'Armorique, les deux Germanies, la Séquanaise étaient presque totalement couvertes de forêts. Les territoires des Atrebates, des Ambiani, des Morini, des Nervii, des Veromandui, des Ambivariti, qui répondaient aux provinces de Boulonnais, de Santerre, d'Artois, de Flandre, de Hainaut, étaient envahis par d'immenses masses d'arbres1. Ces forêts se liaient à celle des Ardennes, la plus vaste et la plus célèbre de la Gaule, circonstance qui, d'après certains érudits, lui avait valu son nom, lequel signifie la profonde, de ar, article, et denn, profond2.

1 Cæsar, De Bell. gall., III, 28.

2

Voy. sur cette forêt, Cæsar, De Bell. gall., V, 3; VI, 29. Strabon., IV, 4, § 5. Tacit., Annal. III, 42. Il existe cependant d'autres étymologies de ce nom qui ne paraissent pas moins fondées. Selon certains érudits, ce nom viendrait du celte dan, dean, forêt. Cette étymologie qui semble confirmer certains faits, nous paraît la plus vraisemblable. Ainsi, il y avait jadis au diocèse de Bayeux une abbaye d'Arden qui était située au milieu des bois (Piganiol de la Force, Nouvelle description de la France, 3e édit. t. XI, p. 60). Deux forêts. importantes de l'Angleterre s'appelaient Dean et Arden. Ce radical celte Dan, Den, pourrait fort bien être l'étymologie de tous ces noms. Les Anglais traduisaient le nom d'Ardenne par Sylva danica. Ogier le Danois est appelé, dans le roman de Raimbert de Paris, Ogier l'Ardenois (Voy. la préface de ce roman, édit. Paris, 1842, p. iij); ce paladin était, en effet, non du Danemark, mais du pays d'Ardenne.

Longtemps cette impénétrable forêt se conserva dans toute sa majestueuse horreur, et André Thevet en fait encore, dans sa Cosmographie universelle', la description suivante: « La forest d'Ardenne ayant une grande estendue, va depuis Treves du Rhin avant, jusqu'aux limites de Treves jusqu'aux Nerviens (qui est le comté de Hainault et Artois) contenant plus de cent lieues de longueur. Quant à cette large forest tant célébrée, c'est peu de chose aujourd'hui qu'il n'y a seigneur y prétendant droit qui ne la fasse abattre et démolir, pour en tirer du profit. Jadis elle embrassait les pays de Hainault, Luxembourg, Bouillon, Bar, Lorraine, Limbourg, Metz, Namur, Mayence, Confluents et Cologne, voire encore à elle, soubz soy la plus part du pays de Liege, tirant à l'ouest... Et vers les Belges, l'extrémité de ceste forest est prise aux rivières de Meuse et l'Escault; car quant à la Moselle, du costé de l'est, elle est encore ombragée de cette forest de la part de Treves. >>

Au temps de Charlemagne, suivant la remarque de M. Bernard Sainte-Marie, cette forêt paraît avoir été déjà divisée en plusieurs, puisqu'un diplôme de l'an 802, en faisant donation de deux localités peu distantes de Trèves (Cerviam et Cerviaco) interdit la chasse dans les forêts voisines.

Ces forêts de la Flandre et du Hainaut se termi

1 Chap. XIII, p. 682, 683.

naient aux marais tourbeux qui longeaient l'Océan depuis l'embouchure de la Somme jusqu'à celles de la Meuse et du Rhin. C'était là que venaient s'immerger les troncs de chênes, d'ormes, de bouleaux, de pins que charriaient les ondes de ces fleuves et qu'on retrouve encore dans les tourbières de la Belgique1. Les eaux de la mer ont peu à peu envahi ces marais et gagné les forêts elles-mêmes', en faisant irruption à travers les dunes. Les forêts, qui couraient de Boulogne à Ostende, ont subsisté jusqu'au temps de Charlemagne3. Elles recouvraient toute la vallée de la Liane, se prolongeaient sur le territoire actuel de Boulogne jusqu'à Hardelot, Samer, Desvres, la Capelle, et garnissaient la ceinture de montagnes qui environne l'espace connu sous le nom de fosse boulonaise". Des vestiges de ces forêts subsistent encore dans la forêt de Boulogne,

1 Dans les tourbières des environs de Durren, sur la frontière de la Belgique, près d'Aix-la-Chapelle, on a trouvé des troncs entiers de pins. Voy. Belpaire, Sur les changements de la côte d'Anvers à Boulogne, mémoire couronné par l'Académie de Bruxelles, t. VI, p. 20 et passim, et un mémoire du même sur la ville d'Ostende (dans le t. X du recueil de cette Académie).

"Belpaire, mém. cit.; Dumont, Bulletin de l'Académie de Bruxelles, t. V, p. 643.

3 Belpaire, mém. cit. ap. t. X, de l'Académie de Bruxelles,

p. 4.

* Bertrand, Précis de l'histoire physique, civile et politique de la ville de Boulogne-sur-mer, t. I, p. 22 (Boulogne, 1828).

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qui était en 1666 de 4 433 arpents et qui n'en comptait plus, il y a vingt ans, que 3 9401, et dans celle d'Hardelot actuellement considérablement réduite. Le diocèse de Thérouane, dont Aire et Saint-Omer dépendaient, était presque partout revêtu de la forêt dite Tristiacensis sylva et vastus saltus et du bois de Beyla (Bailleul) situé entre Rudderwoorde et Thourout'. C'était dans leurs profondeurs que se réfugièrent les Ménapiens et les Morins, pour harceler l'armée romaine; César les débusqua en faisant opérer des abatis étendus'. Au moyen âge ces forêts marécageuses servaient encore de repaires à des brigands, ainsi que nous l'apprend la vie de saint Arnulfe, évêque de Soissons*. Il y est fait mention d'une tourbière située près de Ghistelle, et qui était devenue l'asile de brigands. Au

1 Bertrand, o. c., t. II, p. 170.

2 E. Bernard Sainte-Marie, Recherches sur les anciennes forêts de la partie N.-E. de la France (Annales forestières, an. 1850, p. 49). L'auteur de cet article, où sont consignées des recherches intéressantes, aurait pu s'épargner quelques-unes d'entre elles, s'il avait connu notre travail déjà publié depuis un an, dans les mémoires de la Société des Antiquaires de France. Mais ce premier essai lui était certainement inconnu, puisqu'il écrivait il y a trois mois : « Il y aurait un intéressant travail à faire sur les innombrables forêts gauloises détruites par les hommes ou par les éléments. »

3 Dio Cassius, lib: XXXIX, c. XLIV.

Cf. Acta s. s. Bened. sæc. II, part. II, p. 537, no XVII. Saint Arnulfe est mort à Oudenbourg en 1087.

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