Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

s'efforcent d'unir l'utile à l'agréable par un mélange de fiction amusante et de détails scientifiques, on peut signaler le Voyage au fond de la mer, par M. H. de La Blanchère. C'est un conte de fée écrit pour les enfans, et qui aura le mérite d'instruire les jeunes lecteurs auxquels il est destiné. La Maison rustique des enfans, par Mme Millet-Robinet, a un but plus pratique. C'est l'histoire d'une mère qui, née elle-même à la campagne, y retourne avec ses enfans, qui ont grandi à Paris; elle répond à leurs étonnemens et les familiarise peu à peu avec la vie des champs et avec les travaux de l'agriculture. Ce cadre léger est bien rempli; une foule de petites aventures spirituellement racontées fournit les prétextes de ces douces leçons que les mères savent si bien donner, et les idées saines et sages que respirent ces entretiens font de la Maison rustique des enfans un livre d'éducation qui mérite d'être recommandé.

Signalons enfin la Vie des animaux illustrée, par M. Brehm, dont le premier volume vient de paraître. Cet ouvrage est d'une lecture fort attachante l'auteur, naturaliste et voyageur infatigable, a observé de près la plupart des animaux dont il a entrepris de peindre les mœurs. Il nous parle de ses lions, de ses panthères, de ses singes, comme d'autres parlent de leurs chevaux et de leurs chiens, et il confirme ce que disent tous les hommes qui ont vécu dans l'intimité des bêtes féroces, à savoir qu'elles sont beaucoup plus faciles à apprivoiser qu'on ne le supposerait. Ainsi M. Brehm raconte l'histoire d'une lionne qu'il a gardée pendant deux ans à la ferme qu'il habitait dans le Soudan oriental, et qui circulait librement. Elle suivait son maître comme un chien et se laissait corriger sans en garder rancune; seulement elle s'était arrogé un droit absolu sur tout ce qui vivait à la ferme, et traitait les autres animaux avec un dédain marqué, les inquiétait et les harcelait sans cesse pour se distraire. Elle taquinait aussi les hommes de la maison, mais sans jamais leur faire de mal. Des récits de ce genre, que l'on rencontre à chaque page du livre, des descriptions de grandes chasses et une foule de détails inédits sur la vie et les habitudes des animaux sauvages, assurent au livre de M. Brehm une place honorable parmi les nombreuses publications analogues que l'on possède déjà dans toutes les langues. En somme, le mouvement qui a porté, il y a quelques années, le grand public vers les connaissances scientifiques se continue et se régularise. Un nombre immense de lecteurs se montre décidément sensible à l'attrait sérieux que les observations de la nature offrent à des esprits cultivés. Plus on va, plus les livres que le succès consacre ont un caractère rigoureux; c'est là un bon signe qui montre combien s'est élevé le niveau du savoir général.

R. RADAU.

L. BULOZ.

N

UN

ROI CONSTITUTIONNEL

LEOPOLD Ier, ROI DES BELGES.

I. Histoire populaire du règne de Léopold Ier, roi des Belges, par M. Hymans, membre de la chambre des représentans.

II. La Belgique sous le règne de Léopold Ier, par M. Tho-
III. Léopold Ier, roi des Belges, d'après des

nissen, professeur à l'université de Louvain. documens inédits, par M. Théodore Juste.

On sait de quel mot cynique Napoléon Ier, parlant du plan de Sieyès, définissait le rôle d'un souverain constitutionnel. Et pourtant, à juger d'après les services rendus aux peuples, je crois que nul homme sensé n'hésitera à préférer un roi constitutionnel à un conquérant, quelque prodigieuse qu'ait été sa carrière. Léopold Ier n'a gouverné qu'un bien petit pays, et il n'avait rien du foudroyant génie qui a fait de Napoléon Ier le plus extraordinaire d'entre les fils des hommes. Néanmoins, quand l'équitable postérité, s'occupant des princes vraiment utiles à leurs sujets, viendra à comparer ces deux monarques, je doute que ce soit au second qu'elle accorde la palme. Le plus grave reproche qu'elle adressera au victorieux capitaine, ce ne sera pas, j'imagine, d'avoir, sans résultat durable, sacrifié tant de sang et d'or, des hommes par millions et des écus par milliards, car les uns et les autres se remplacent, ce sera d'avoir laissé à sa chute l'intelligent et généreux peuple qu'il avait eu la bonne fortune de tenir dévoué et docile en ses mains 15 JANVIER 1869.

TOME LXXIX.

18

affolé de gloire militaire, avide de domination extérieure, fasciné par les coups de la force, plein d'admiration pour un gouvernement tout-puissant, plié à l'obéissance non par l'empire des lois, mais par le bras de fer d'un soldat, c'est-à-dire très mal préparé à supporter un gouvernement pacifique ou à fonder par lui-même un gouvernement libre. Léopold au contraire a eu ce rare mérite de permettre à une nation de se gouverner elle-même et d'introduire sur le continent une institution plus favorable à la grandeur politique des peuples que la vapeur et l'électricité ne le sont à leur bien-être, je veux dire le régime parlementaire, entendant par là le régime où les affaires d'un pays sont administrées par un ministère responsable devant une assemblée librement élue, ce qui n'est rien moins que le règne de la parole et la condition de toute liberté. L'excellence d'un gouvernement se mesure, a dit très bien M. Stuart Mill, à la somme de qualités morales et intellectuelles qu'il répand dans la nation. Un gouvernement qui rend les hommes aptes à se diriger eux-mêmes est bon; celui qui les rend impropres à se conduire seuls est mauvais, car, pour n'obéir qu'aux lois qu'ils font eux-mêmes, il leur faut plus de prévoyance, plus de vertu, plus de sagesse, que pour obéir à un maître.

Au moment où le régime parlementaire est introduit dans des états nouveaux comme la Grèce, l'Italie, la Roumanie, la Serbie, et semble avoir quelques chances de s'implanter dans des états anciens, comme l'Autriche, la Prusse, la France ou même l'Espagne, il peut être utile d'examiner à quelles conditions ce régime a heureusement fonctionné en Belgique pendant un temps qui paraît long au milieu de tant et de si profonds bouleversemens. L'examen de la vie du roi Léopold nous aidera à faire cette étude. Les événemens de son régne avaient déjà été racontés avec talent, au point de vue libéral, par M. Hymans, écrivain d'esprit, auteur d'une histoire de Belgique appréciée en France même non moins que dans son pays, et au point de vue catholique par M. Thonissen, professeur à l'université de Louvain. Récemment un historien belge dont l'impartialité n'est contestée par personne vient de publier, d'après des documens inédits, une très intéressante biographie du roi Léopold, qui, sans nous introduire encore dans l'intimité de ce souverain, nous permet cependant de saisir l'ensemble de sa carrière. Notre but n'est pas de la retracer à notre tour; nous voudrions seulement montrer comment le premier roi des Belges a compris ce rôle difficile de monarque constitutionnel. Pour le détail des faits, nous renvoyons aux ouvrages que nous venons de citer.

I.

Quand le 4 juin 1831 Léopold de Saxe Cobourg-Gotha fut élu roi des Belges par le congrès national, il se trouvait parfaitement préparé à la mission qu'il était appelé à remplir. Né à Cobourg le 16 décembre 1790, sixième enfant de l'héritier présomptif du duché, Léopold avait été mêlé, tantôt comme militaire, tantôt comme négociateur, à tous les événemens extraordinaires du commencement de ce siècle. Engagé dès l'âge de quatorze ans dans l'armée russe par le crédit de sa sœur Julienne, femme du grand-duc Constantin, il prend part à la campagne de 1805, et assiste, parmi la suite de l'empereur Alexandre, à l'entrevue d'Erfürt. Napoléon l'oblige de quitter le service russe et veut se l'attacher comme aide-de-camp; mais le jeune cadet, quoique sans ressources, trouve dans son patriotisme blessé la force de se soustraire à un honneur que plusieurs princes ses compatriotes se disputaient. Il se dérobe en Italie à d'humiliantes faveurs; puis, quand a commencé en Allemagne la guerre de l'indépendance, il s'y jette avec enthousiasme. Il fut, comme il l'a rappelé plus tard, le premier prince allemand qui joignit l'armée libératrice. Placé à la tête d'un corps de cavalerie russe, il prend part à la campagne de 1813 en Allemagne et à celle de 1814 en France. En 1815, il assiste au congrès de Vienne et y obtient par son habileté des avantages pour le duché de sa famille. En 1816, il épouse la princesse Charlotte, la future héritière de la couronne d'Angleterre. Ce mariage se fit sous l'influence de sentimens romanesques, rares en ces hautes et froides sphères. En 1814, le prince Léopold avait accompagné l'empereur Alexandre dans sa visite à la cour de George III. La jeune Charlotte fut vivement impressionnée par l'esprit et la beauté de Léopold, le plus charmant cavalier de son temps au dire de Napoléon, qui s'y connaissait. Elle refusa le prince d'Orange, qu'on voulait lui faire accepter, et se promit de n'épouser que celui à qui son cœur s'était attaché. Cette heureuse union, enfin accomplie, ne dura guère. Un an après, la princesse Charlotte succomba en accouchant d'un enfant mort-né, et Léopold perdit ainsi, avec une femme qu'il adorait, la position de prince-consort, que son neveu, le prince Albert, devait remplir avec tant de distinction aux côtés de la reine Victoria. Quoique élevé à la dignité de membre de la famille royale et du conseil privé, il persista à vivre retiré dans son château de Claremont, suivant avec attention et réflexion les événemens qui se déroulaient sous ses yeux en Angleterre et sur le continent. Lors des négociations pour la constitution de la Grèce en 1829, il

fit preuve de cette prévoyance et de cette sagesse dont l'expérience avait doué son esprit naturellement sagace et juste. Le chef du gouvernement provisoire hellénique, Capodistrias, lui avait transmis l'appel de la Grèce, et les grandes puissances lui en avaient offert la couronne. Il accepta, mais à la condition qu'on accorderait au nouveau royaume des limites qui, en donnant satisfaction au sentiment national, lui permissent de se développer en paix. Il réclama avec instance les îles ioniennes et l'île de Crète. La Crète doit appartenir au maître des Dardanelles, répondit lord Aberdeen, et Léopold refusa de monter sur un trône chancelant, au milieu d'un peuple froissé dans son orgueil, mécontent de son sort, et aspirant à s'adjoindre les territoires qu'on lui avait imprudemment refusés. Les circonstances actuelles montrent combien les prévisions du prince étaient fondées. Pour avoir refusé de faire alors en Orient la juste part du principe des nationalités, les grandes puissances voient se redresser devant elles aujourd'hui la rivalité de la Grèce et de la Turquie précisément à propos de cette île de Crète, dont Léopold demandait l'annexion au royaume hellénique il y a quarante ans.

Quand la Belgique offrit à son tour la couronne à Léopold, il montra aussi quelque hésitation. Deux difficultés l'arrêtaient. La première était une question de limites: la Belgique prétendait conserver les deux provinces de Limbourg et de Luxembourg, qui voulaient rester belges. La conférence de Londres voulait les adjuger à la Hollande, qui les réclamait au nom des traités. La seconde difficulté provenait des dispositions de la constitution votée par le congrès, et qui, aux yeux des hommes d'état les plus expérimentés, ne semblait pas offrir assez de garanties à l'exercice du pouvoir royal. « Cette constitution, mal rédigée et presque inexécutable, serait la plus mauvaise de l'Europe, si celle de la Norvége n'existait pas, disait encore le prince de Metternich en 1848. Léopold demanda l'avis de son secrétaire, le baron de Stockmar. « Il est vrai, répondit celui-ci, que le pouvoir du roi et de ses ministres est fort limité. Il faudra voir si toutes ces libertés peuvent s'accorder avec l'ordre; essayez si vous pouvez régner dans l'esprit de la constitution en y apportant une grande délicatesse de conscience. Si les institutions nouvelles ne marchent pas, il sera temps de demander aux chambres de modifier le pacte fondamental. » — « On voit bien, dit un jour en souriant le prince aux délégués du congrès, que la royauté n'était pas là pour se défendre, car vous l'avez assez rudement traitée. Votre charte est bien démocratique. Cependant, en y mettant de la bonne volonté de part et d'autre, je crois qu'on pourra marcher. »

La constitution belge consacrait en effet une série d'innovations

« PreviousContinue »