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cette fois que l'habitude et le goût. Par une étrange anomalie qui fait plus d'honneur à l'espèce humaine qu'aux individus qui la composent, il se trouve en effet qu'aux plus lugubres époques de l'histoire, même aux heures mauvaises où la liberté ne leur souffle plus ses généreuses inspirations, où la publicité a cessé de les défendre contre les honteuses tentations, par cela seul qu'ils siégent ensemble, les membres d'une réunion délibérante ne peuvent jamais. mettre en commun que leurs plus honnêtes sentimens. Exigez-en tout ce que vous voudrez; ne leur demandez pas de se déshonorer, n'essayez même pas d'en obtenir le moindre sacrifice de ce qui constitue leur esprit de corps. Ils ne vous l'accorderont point. Abordé isolément, chacun d'eux vous octroiera, en fait de concessions fâcheuses, au-delà peut-être de ce que vous aurez souhaité; pris ensemble, ils ne vous céderont plus quoi que ce soit. Il leur faut la complicité du silence et les mystères du tête-à-tête pour accepter les vilains marchés et consentir aux dégradans sacrifices. Au milieu des nombreuses tristesses qui vont aller s'accumulant dans notre récit, ce sera presque une consolation pour nous de constater que l'influence énervante de Napoléon ne gagna guère de terrain pendant la tenue régulière des séances du concile. S'il resta le directeur à peu près absolu de la conscience des trois ou quatre évêques que nous avons déjà nommés, jamais l'empereur ne parvint à faire de recrues au sein du concile, aussi longtemps du moins qu'il fut permis à ses membres de se réunir et à quelques évêques opposans plus courageux que leurs collègues de réfuter hautement les doctrines du chef de l'état. Admises sans conteste par le cardinal Maury, par l'abbé de Pradt, par MM. de Barral, Duvoisin, et préparées de concert avec eux dans les conférences tenues à Saint-Cloud, ce fut le sort commun à toutes les propositions impériales d'être fortement contredites et le plus souvent amendées au sein des commissions particulières pour venir se transformer plus complétement encore ou échouer définitivement devant la majorité réunie en congrégation générale. Telle est, à vrai dire, toute l'histoire du concile national de 1811, et notre prochaine étude aura presque uniquement pour objet de raconter à nos lecteurs comment, pour se procurer les défaillances épiscopales désormais nécessaires à l'accomplissement de ses desseins, l'empereur en faut réduit non-seulement à faire conduire trois des membres principaux du concile au donjon de Vincennes, mais à dissoudre le concile lui-même, et, le concile dissous, à procéder à l'égard de chacun de ses membres par voie de captation individuelle.

D'HAUSSONVILLE.

HISTOIRE NATURELLE

GÉNÉRALE

ORIGINES DES ESPÈCES ANIMALES ET VEGETALES.

II.

THÉORIE DE DARWIN (1).

II. De la Variation des

I. De l'Origine des especes, par C. Darwin, traduction de Mlle Royer.
animaux et des plantes sous l'action de la comestication, par C. Darwin, traduction de
M. Moulinié. · III. L'Homme avant l'histoire, par sir John Lubbock, traduction de M. Bar-
IV. De la Place de l'homme dans la nature, par Th. H. Huxley, traduction de

bier.

M. Dally.

V. Mémoire sur les microcéphales ou hommes-singes, par C. Vogt. — VI. Animaux fossiles et géologie de l'Attique, par M. A. Gaudry.

I.

Darwin nous apprend lui-même comment il a été amené à s'occuper du problème des espèces, combien il a mis de temps à en chercher la solution. C'est en Amérique, et lorsqu'il faisait partie de l'expédition scientifique du Beagle (2), que son attention fut pour la première fois éveillée sur ce point par quelques observations de géographie zoologique et de paléontologie (3). Dès 1837, il com

(1) Voyez la Revue du 15 décembre 1868.

(2) Cette expédition quitta les côtes d'Angleterre le 27 décembre 1831 sous les ordres du capitaine Fitz-Roy. Elle dura près de cinq ans.

(3) Il est du reste facile de comprendre que l'esprit de Darwin devait être facilement accessible à tout ordre d'idées mettant en doute la fixité de l'espèce et proclamant la perfectibilité graduelle des êtres organisés. C'était là pour notre auteur une sorte de

mença de recueillir les faits en rapport avec le sujet de ses méditations; en 1844, il esquissa les conclusions qui lui apparaissaient comme les plus probables. C'est en 1858 seulement et à propos d'une communication de M. Wallace que, sur la demande d'amis communs, il fit imprimer pour la première fois quelques passages de ses manuscrits (1). Lorsque parut, l'année suivante, la première édition de son livre, Darwin ne la présenta au public que comme un extrait fort abrégé de ses immenses recherches; il s'engageait à compléter les preuves plus tard. Il a commencé à remplir cette promesse par la publication de deux volumes sur la Variation des animaux et des plantes sous l'influence de la domestication. Si j'insiste sur ces détails, ce n'est pas précisément pour rappeler un historique connu de tous les lecteurs de Darwin, c'est surtout pour montrer la consciencieuse persévérance apportée par l'auteur dans l'édification de son œuvre, pour faire ressortir l'esprit qui a présidé à ce vaste travail. Ce sont des faits que le savant anglais, déjà si riche de son propre fonds, a demandés à tous ses confrères, à toutes les branches de la science. Ces faits se pressent dans le livre où Darwin a exposé l'ensemble de ses idées; ils sont bien plus multipliés encore dans ses publications récentes, dans ses mémoires. C'est dire combien l'analyse de cet ensemble de travaux serait difcile, si je cherchais en ce moment à faire autre chose que de préciser tradition de famille. Son grand-père, Érasme Darwin, célèbre à la fois comme médecin et comme poète, en même temps qu'il était membre de la Société royale de Londres, ce qui atteste sa valeur scientifique, avait professé sur ces graves questions des doctrines qui rentrent par certains côtés dans celles que j'ai exposées. Elles ont pourtant assez peu de rapport avec celles de son petit-fils. Érasme Darwin admet entre autres la génération spontanée, repoussée par Charles Darwin, et le perfectionnement rapide des espèces, ce qui l'éloigne à la fois de Lamarck et de son descendant. Je ne vois d'ailleurs rien dans son livre qui autorise à penser qu'il ait cru à la dérivation des types provenant les uns des autres, et les exemples qu'il cite (pucerons, tulipes, etc.) rappellent plutôt un perfectionnement exclusivement individuel ou tout au plus borné à la famille physiologique. (Zoonomie, section XXXIX, 11.)

(1) Le mémoire de M. Wallace avait été adressé par l'auteur à Darwin lui-même. Or il renfermait sur les conséquences de la sélection naturelle relativement à la variation des êtres organisés une doctrine et des opinions bien semblables à celles qui préoccupaient depuis si longtemps notre auteur. On comprend combien il eût été pénible pour celui-ci de perdre le fruit de tant de veilles; mais ses recherches étaient connues par quelques-uns des naturalistes les plus éminens de l'Angleterre, et, malgré les modestes réticences de Darwin, il est facile de comprendre que c'est à leur entremise que fut due la publication simultanée qui sauvegardait tous les droits. Les extraits de Darwin et le mémoire de M. Wallace parurent ensemble dans le troisième volume des Mėmoires de la Société lionéenne de Londres. Ajoutons que le travail de M. Wallace est des plus remarquables au point de vue des idées qui lui sont communes avec Darwin, et que ce dernier a saisi toutes les occasions de rendre justice au confrère éminent qu'il put regarder un moment comme un concurrent prêt à le devancer, et qui est resté un de ses auxiliaires les plus dévoués.

TOME LXXIX. 1819.

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la doctrine générale et d'en indiquer quelques-unes des principales applications.

Constatons d'abord les limites entre lesquelles Darwin a très formellement circonscrit le champ de ses recherches; il se distingue par là de quelques-uns des écrivains dont on l'a souvent rapproché. Robinet et de Maillet rattachaient leurs spéculations à tout un système de philosophie ou de cosmogonie. Lamarck omettait, il est vrai, ce dernier point de vue; mais il cherchait à expliquer la nature même de la vie, admettait des générations spontanées, continuelles, et trouvait dans les êtres simples journellement engendrés le point de départ des organismes animaux et végétaux actuels et futurs. En outre il s'efforçait de montrer que tous les penchans, les instincts, les facultés, observés chez les animaux et chez l'homme luimême ne sont que des phénomènes dus à l'organisation. En d'autres termes, l'auteur de la Philosophie zoologique prétendait remonter aux origines et aux causes premières. Telle n'est pas l'ambition de Darwin. « Je dois déclarer, dit-il, que je ne prétends point rechercher les origines premières des facultés mentales des êtres vivans, pas plus que l'origine de la vie elle-mème. » Quant à la génération spontanée, voici comment il s'exprime en opposant sa doctrine à celle de Lamarck: « J'ai à peine besoin de dire ici que la science dans son état actuel n'admet pas en général que des êtres vivans s'élaborent encore de nos jours au sein de la matière inorganique. » Il se sépare ici de son illustre prédécesseur. En revanche, il s'en rapproche par ses doctrines physiologiques générales. Bien qu'ayant émis récemment des idées toutes personnelles sur le mode de formation des êtres, Darwin est en réalité épigéniste, comme l'était Lamarck, comme le sont tous les physiologistes modernes (1). Par

(1) Dans son dernier ouvrage, Darwin a exposé sous le titre de pangénèse une théorie destinée à expliquer le mécanisme de la reproduction, théorie qui présente un mélange assez singulier des notions généralement reçues aujourd'hui avec les idées de Buffon et celles de Bonnet. Adoptant avec raison les résultats qui ont démontré l'indépendance relative des élémens organiques, il admet entre autres que ces élémens peuvent donner naissance à une infinité de gemmules cellulaires, véritables germes d'une petitesse infinie, qui passent des ascendans aux descendans et circulent dans tous les tissus. Darwin touche ici à la panspermie de Bonnet. Les conséquences qu'il tire de cette première hypothèse relativement aux phénomènes de circulation, de reproduction des parties, rappellent presque exactement celles du philosophe genevois. Ces gemmules cellulaires sont d'ailleurs capables de s'agréger comme les particules organiques de Buffon, et nous voila tout près de la théorie de l'accolement. Elles peuvent en outre rester à « l'état dormant » pendant un nombre indéterminé de générations, et le développement tardif de ces gemmules expliquerait les faits d'atavisme, la génération alternante. On voit que ces gemmules se comporteraient comme les germes des évolutionistes, comme la matière vivante primitive de Buffon; mais l'auteur admet qu'elles se produisent épigénétiquement dans les élémens organiques, et par là il rentre dans le courant des idées modernes. Darwin n'a du reste proposé qu'à titre provisoire cette théorie, qui, quoique

là, il se sépare radicalement de de Maillet, de Robinet, dont toutes les hypothèses reposent sur celle de la préexistence des germes, et il est vraiment difficile de comprendre comment on a pu comparer ses conceptions aux leurs.

Comme Lamarck aussi, dès le début de son livre, Darwin signale la variabilité de l'espèce chez les animaux et les végétaux domestiques ou sauvages, et les faits généraux sur lesquels il appelle l'attention sont ceux-là mêmes qu'invoquait le naturaliste français, c'est-à-dire l'existence de nombreuses espèces douteuses, la difficulté qu'on rencontre souvent à distinguer l'espèce de la variété, la présence de nombreuses variétés héréditaires dans nos fermes, dans nos basses-cours, dans nos jardins, dans nos vergers. Toutefois Lamarck, préoccupé avant tout des problèmes de la méthode naturelle et des rapports des êtres vivans entre eux, mêle à ses études sur la variabilité des considérations étrangères à cette question, et les espèces sauvages l'entraînent d'abord. Darwin, tout entier à son sujet, étudie en premier lieu les espèces domestiques, c'est-à-dire celles où le fait qu'il s'agit de mettre hors de doute est le plus évident, le plus incontestable. Par cela même, il s'est montré à la fois plus logique et plus précis que son prédécesseur. Là est en effet le point de départ obligé de toutes les recherches analogues à celles dont il s'agit ici. Darwin l'a si bien compris que c'est encore par l'histoire des êtres soumis à l'empire de l'homme qu'il a commencé la publication de ses preuves détaillées. Le premier chapitre du livre sur l'origine des espèces est devenu un ouvrage en deux volumes où l'auteur étudie les phénomènes de la variation chez les animaux et les plantes sous l'influence de la domestication. L'analyser ici serait impossible; il suffira d'ailleurs d'un exemple pour montrer la nature des questions générales et le nombre immense de questions spéciales soulevées par cet ordre de recherches.

Le pigeon est un des animaux les plus anciennement domestiqués, et il a en outre attiré de tout temps l'attention des amateurs. D'après M. Birch, cité par Darwin, on reconnaît les pigeons parmi les mets d'un repas servi sous la quatrième dynastie égyptienne, c'est-àdire il y a cinq ou six mille ans environ. Au temps de Pline, de riches amateurs recherchaient les plus belles races avec un soin extrême, et la généalogie des pigeons était alors aussi régulièrement tenue à Rome que celle des chevaux l'est de nos jours en Angleterre. Plus tard, Akber-Kan, au milieu de ses triomphes, se livrait avec passion à l'élevage de ces oiseaux, se faisait suivre partout de volières portatives, et surveillait lui-même le croisement des di

s'inspirant de la science actuelle, me semble rappeler à bien des égards celle d'Érasme Darwin. (Zoonomie, section XXXIX.)

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