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1722 et mourut à dix-neuf ans, comme il venait d'être reçu mousquetaire à la 2o compagnie.

Le marquis de Laubespine n'avait donc plus qu'un fils, Charles-François, qu'il maria en 1743. Ce fut un grand mariage jamais ce terme ne fut plus justifié : le jeune homme épousait Madeleine-Henriette-Maximilienne de Béthune-Sully, la fille de Louis-Pierre-Maximilien de Béthune, duc de Sully, pair de France, chevalier de la Toison d'or, marquis de Courville, comte de Nogent le Béthune, baron de La Chapelle d'Angillon, vicomte de Champrond, Sr de Villebon, La Gastine et autres lieux, et de Louise Desmaretz, duchesse de Sully, son épouse. La dot de la mariée était belle: 400.000 livres, et de plus le jeune ménage devait vivre et être hébergé chez le duc de Sully, en son hôtel, enclos de la paroisse du Temple; il pouvait même amener ses domestiques personnels, un valet de chambre et une femme de chambre. La dot du futur était moins brillante; elle se ressentait sans doute des prodigalités de la famille depuis plusieurs générations Charles-François de Laubespine apportait en dot la maison du quai Malaquais, 800 livres de rente au principal de 40.000 livres au denier cinquante, une somme de 10.0000 livres, une autre somme de 22.500 livres pour acheter un régiment, et enfin la terre de Varize en Beauce. Mais parmi ces libéralités, celle de la maison du quai était moins importante qu'elle n'en avait l'air, car, le donateur, Louis-François, marquis de Laubespine, s'y réservait son logement qu'il occupait alors au second et au troisième étage, plus des écuries pour quatre chevaux et des remises pour deux carrosses, avec encore cette clause qu'en cas d'éviction son fils lui servirait en compensation une rente de 1.500 livres. Les libéralités des

Sté Hque DU VIo.

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Laubespine se terminaient par un douaire de 6.000 livres en faveur de la future, en cas de veuvage.

On parla beaucoup de ce mariage à la Cour et la famille royale signa le contrat. Le 19 février 1743 l'acte était présenté au roi, à la reine, au dauphin, à Mesdames de France, au duc d'Orléans, à la princesse de Conti, au comte de La Marche, à Mlle de Conti, à Mlle de La Ro-. che-sur-Yon. Deux jours après, le 21 février, la famille et les amis étaient réunis à l'enclos du Temple, chez le duc de Sully et signaient à leur tour entre les mains du notaire Doyen les Beauvilliers de Saint-Aignan, parents de la mère du marié, les Laubespine, apposaient leurs signatures sur la page qui suivait celle où s'étalaient la grande et élégante signature de Louis XV et des membres de la maison de France. Plus bas encore, venaient d'autres signatures illustres, entre autres celles du marquis de Sourches, du maréchal de Biron, du duc de Charost, du maréchal de Maillebois, et enfin de Maupeou qui n'était encore que conseiller au parlement et devait devenir le fameux chancelier Maupeou (1).

Nous savons donc que le nouveau propriétaire CharlesFrançois de Laubespine ne demeura point dans la maison du quai et s'en fut chez ses beaux-parents, les Sully, tandis que le marquis de Laubespine, Louis-François, y resta encore plusieurs années. Mais il ne l'occupait pas tout entière car, dès 1748 l'évêque de Valence figure comme locataire du premier et du deuxième étage; en 1749, Louis-François de Laubespine, le donateur, se désista de son droit de logement (2); en 1751 enfin, l'im

(1) Minutes de Me Nottin qui a eu l'obligeance de nous communiquer cette pièce.

(2) Par acte du 18 janvier 1749, devant Doyen, notaire à Paris.

meuble sera vendu comme nous le verrons plus loin, et sur l'acte, le vendeur, Charles-François de Laubespine, donnera son adresse « en son hôtel rue de la Chaise ». La famille n'était donc demeurée ni chez les Sully ni dans la maison du quai dont la vente était sans doute décidée d'avance.

La famille de Laubespine qui si longtemps habita sa maison du quai Malaquais appartenait à l'aristocratie. Ce sont des gens de Cour qui ont leur place dans les carrosses du roi. On trouve dans les gazettes ou les chroniques du temps la date de la présentation des femmes à la Cour. Au moment du mariage de Charles-François avec Mue de Sully, on vient en demander la permission au roi qui l'accorde; plus loin, c'est M. de Laubespine qui sert à l'armée et vient apporter au roi la nouvelle d'une victoire (1). Mais cette vie coûte cher et de génération en génération la tradition continue qu'il faut vivre noblement, d'abord. Nous avons vu que le grand-père était déjà criblé de dettes, elles n'ont point diminué et la maison du quai Malaquais est tellement hypothéquée que les Laubespine qui ont à payer de lourds intérêts trouvent avantage à la vendre pour payer leurs créanciers. C'est sans doute ce qui fut cause de l'acte du 4 avril 1751; il eut lieu par-devant Vatry, notaire à Paris. Charles-François, comte de Laubespine, mestre de camp de cavalerie, sieur de Varize, Orgères et autres lieux, demeurant en son hôtel rue de la Chaise, vendait sa maison du quai Malaquais à dame Angélique Beaudet de Morlet, veuve de Messire Nicolas Sézille, sieur de Goyancourt, secrétaire

(1) Mémoires du duc de Luynes et Grange de Surgères, Tables de la Gazette de France.

du roi, trésorier général des offrandes, aumônes et bonnes œuvres du roi, demeurant à Paris, rue des Lyons, paroisse Saint-Paul. Cet acte nous donne une description sommaire de l'immeuble: il se compose d'une grande porte cochère, un logement de portier, cour, puits, cuisine, écurie, remise; deux corps de logis, l'un en façade sur le quai, l'autre en aile sur la cour, composés d'entresol et trois étages avec greniers au-dessus, caves, escaliers et aisances et une boutique à côté de la porte cochère; tenant par devant sur le quai, par derrière, au jardin de la maison de M. Gilbert de Voisins, d'un côté à Messieurs de Chavaudon de Sainte-Maure et M. et Mme Aubin (c'est-à-dire le no 7 actuel du quai) et de l'autre côté à la maison ci-devant occupée par feu M. le Maréchal de Saxe (c'est-à-dire le no 3 actuel) (1). Le prix était de 100.000 livres que l'acquéreuse devait payer entre les mains des créanciers délégués. Les vendeurs allégeaient donc notablement le passif de la succession qu'ils tenaient de leurs parents et supprimaient de gros intérêts à payer, mais ce n'est que sous cette forme qu'ils s'enrichissaient, puisque le prix de la maison était versé directement aux créanciers sans même leur passer par les mains. M. de Laubespine père recevait un pot-de-vin de 1.200 livres de Mme Sézille, ainsi qu'il avait été convenu et ladite dame Sézille déclarait que ces 1:200 livres avaient été fournies en louis d'or de 24 livres et des de

(1) C'est ici le lieu de détruire définitivement la légende d'après laquelle le maréchal de Saxe aurait habité le numéro 5 du quai dont nous nous occupons. La mention explicite de l'habitation du maréchal au n° 3 dans l'acte notarié du 4 avril 1751 coupe court à toute discussion sur ce sujet, malgré le portrait récent qui orne l'escalier et qui est une copie due au pinceau du peintre Jean-Baptiste Guth, qui habite encore la maison.

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niers de M. Jules-Nicolas Duvaucel, seigneur de La Norville, son gendre (1).

Voyons maintenant qui étaient tous ces gens que nous voyons intervenir à l'acte de vente. Nous connaissons la famille du vendeur, les Laubespine; l'acquéreuse, Mme Angélique Beaudet de Morlet, était veuve, nous l'avons vu, de Nicolas Sézille, sieur de Goyancourt, secrétaire du roi, trésorier général des offrandes, aumônes et bonnes œuvres du roi. Ici, nous sommes loin de l'aristocratie des propriétaires précédents; c'est de la bourgeoisie. Nous avons une idée de la famille Sézille par un factum qui se trouve dans la collection Joly de Fleury (2). Il est intitulé: «< Factum pour Jean Sézille Dolé de Lildon, major à la suite du régiment de Champagne, intimé, défendeur et appelant, contre Jean Gaston de Sibleras, sergent aux gardes et Suzanne Sézille, sa femme, appelans, demandeurs et intimés ». Cette pièce non datée semble de 1716 ou environ. Il s'agit d'un procès entre le frère et la sœur. Ce factum nous apprend qu'ils étaient huguenots et avaient émigré au moment de la révocation de l'Édit de Nantes. On sait que Louis XIV avait fait injonction à ses sujets émigrés d'avoir à rentrer dans le royaume sous peine d'être considérés comme morts civilement et de voir leur succession ouverte et dévolue à leurs héritiers naturels. Jean Sézille Dolé de Lildon était militaire; il obtempéra à l'ordre du roi abjura probablement et en tout cas fut mis en possession des biens de ses frères et sœurs demeurés à l'étranger. Il vendit ses fermes et avec cet argent leva une compagnie dans le régiment de Châ

(1) Minute de l'étude de M. Dauchez.

(2) Bibl. Nat. Mss., Collect. Joly de Fleury. 2.300, fol. 9.

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