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LE NUMÉRO CINQ DU QUAI MALAQUAIS.

La maison qui porte le n° 5 du quai Malaquais est encore aujourd'hui à peu près telle qu'elle fut construite vers 1628 ou 1630. L'harmonie de ses proportions, la belle hauteur du premier étage, l'élégance de forme des fenêtres, de l'escalier, de sa rampe de fer, tout un ensemble de bon goût et de sobriété de bon ton, charme au premier abord et fait que le regard s'y arrête avec plaisir. Avant d'en aborder l'histoire nous ne nous attarderons pas à exposer ce qui concerne l'ensemble de cette portion du quai. Nous avons déjà traité ce sujet dans des études parues précédemment'. Les origines, au temps où il n'y avait là que des prairies basses, nous sont connues ainsi que le Petit-Pré aux Clers et le Séjour de Nesle, annexe de l'Hôtel de Nesle, qui se trouvait tout à côté, mais dans l'intérieur des remparts; nous avons parlé dans les études précitées du pillage et de la destruction du Séjour de Nesle lors des émeutes de 1411 ainsi que de l'achat de ces terrains par l'Hôtel-Dieu et enfin de la revente en 1538 de tout l'îlot formé par la rue de Seine, la rue Bonaparte actuelle, le quai et, au sud, les terrains appartenant à l'Université. Nous savons que ce sont des spécu

1) L'Hôtel de Transylvanie, Le Manoir de Jean Bouyn, l'Ilôt de la Butte et Le Numéro 1 'du quai Malaquais; ces quatre études ont paru dans le Bulletin de la Société historique du VIa àrrondissement.

lateurs qui achetèrent et revendirent à des acquéreurs, qui eux firent bâtir. Ces premiers acquéreurs du terrain. occupé par le n° 5 du quai furent la veuve et les héritiers de feu Jehan Sollayne.

Tel est le renseignement que nous donne le censier de l'abbaye de Saint-Germain des Prés de 1547. Mais les dimensions et les dispositions de la maison qui s'éleva tout d'abord nous sont inconnues. On peut supposer que cette maison était dans le genre de celles qui garnissaient l'îlot de la Butte et qui prolongeaient en amont la façade du quai; maisons généralement à un ou deux étages, avec combles, comme nous le montre une gravure de Calot représentant la Tour de Nesle et où l'on aperçoit au premier plan à droite l'angle de la première maison du quai Malaquais; mais, répétons-le, tout ceci n'est que conjecture. Tout ce que nous savons par le cueilleret de l'abbaye de 1595, c'est qu'à cette dernière date, il y avait là non seulement une maison mais encore un jeu de paume et que pour les deux, Pierre Soublayne (ou plutôt probablement Sollayne) payait le jour de la Saint-Rémy 8 sols parisis de cens. Que fut cette famille Sollayne ou Soublayne? nous ne saurions le dire car nous n'avons retrouvé ce nom nulle part, ni sur les registres du Bureau de Ville, ni sur les listes des corps de métiers, ni ailleurs, bien qu'ils paraissent avoir été propriétaires de la maison depuis sa fondation. Il semble qu'ils la gardèrent jusqu'en 1605 où disparurent en même temps toutes les constructions de ce quai pour faire place au superbe hôtel que la reine Marguerite, la première femme de Henri IV, allait y faire bâtir à la suite d'événements que nous avons déjà racontés dans les publications déjà citées. Nous ne reviendrons pas non plus sur la vie qu'on menait

à l'hôtel de la reine Marguerite, sur la transformation de ce quartier naguère encore mal fréquenté, peu sûr, peuplé de débardeurs déchargeant des bateaux de bois et de charbon, et maintenant le rendez-vous d'une élégante compagnie de seigneurs et de gens de lettres. Cet état de choses. nous mènera jusqu'en 1615 où mourut la reine Marguerite. On sait la situation embarrassée qu'elle laissa, son testament en faveur du roi, la mise en vente de son hôtel pour couvrir le passif de sa succession et la démolition pour lotissement du palais de la reine défunte qui avait coûté si cher à construire et qui allait disparaître après une brillante et courte existence de dix ans à peine.

Ce fut un groupe de spéculateurs qui acheta l'hôtel de la reine Marguerite. Le terrain était énorme et s'étendait jusqu'à la rue des Saints-Pères, en bordure sur le quai, tandis que le parc se prolongeait jusqu'à la rue du Bac. Après une longue période occupée par d'interminables formalités de justice, un décret d'adjudication du 11 mai 1622 attribua la propriété des terrains en question et de l'hôtel à Jacques de Garsanlan, Jacques de Vassan, Jacques Pottier et Joachim de Sandras. Alors d'autres spéculateurs parurent, vinrent se joindre aux premiers et, quand on eut démoli l'hôtel et qu'on en vint au partage par lots, deux noms nouveaux parurent, ceux de Bryois et de Louis Le Barbier, le richissime traitant qu'on voit mêlé à tant de grandes affaires de cette époque, achats et revente d'offices, spéculations de terrains et autres. Quoi qu'il en soit, le dernier lotissement n'eut lieu que le 6 avril 1629 et c'est alors seulement que nous pouvons. déterminer le propriétaire du terrain qui nous occupe : ce fut Jacques de Garsanlan (1).

(1) Voir Berty et Tisserand, Topographie historique du Vieux Paris,

Comme ses coassociés, Jacques de Garsanlan était un financier et un homme d'affaires. Nous le trouvons désigné « écuyer, s' de Chambrezais (1), conseiller trésorier et receveur général des maisons et finances de Monsieur, frère unique du roi, demeurant à Paris, rue des Petits-. Champs, paroisse Saint-Eustache. Dans un factum, il est qualifié «< secrétaire du roi (2) ».

Le 28 décembre 1624, il signe une quittance comme «< adjudicataire général de l'ancien domaine et parties casuelles de Navarre (3) ». ». Nous voyons par là que ses intérêts étaient multiples. Il soutient des procès à propos de la perception des droits de franc-fief de l'ancien domaine de Navarre; avec l'Université à propos de son acquisition du quai, sur des questions de toisage et de mesurage (4); et pourtant malgré tant d'activité, Jacques de Garsanlan mourra en 1638 laissant une situation si obérée que sa fille renoncera à sa succession et que sa veuve et ses enfants se trouveront dans une position précaire; tous les biens de cette succession étaient en effet demeurés depuis son décès entre les mains de la justice et régis par des fermiers judiciaires (5).

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Un peu plus haut, en remontant la Seine, mais toujours sur cette rive gauche où Jacques de Garsanlan avait tant d'intérêts, habitait un président de la Chambre

région du Bourg Saint-Germain, p. 193. Ces auteurs et du reste quelques pièces contemporaines donnent par erreur Garsaulan au lieu de Garsanlan. Il existe dans l'Indre, commune de Valençay, un petit hameau du nom de Garsenland.

(1) Une localité du nom de Chambresais existe dans la Mayenne, commune d'Azé.

(2) Bibl. Nat. 4° F3, 13238.

(3) Bibl. Nat. Mss. Pièces originales, 1286.

(4) Bibl. Nat. 4° F3, 13240.

(5) Bibl. Nat. Recueil Thoisy, no 230.

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