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prête un ton de fatuitė brutale, qu'il n'aura pas même osé dire, s'il ne nomme pas la soubrette, qu'elle était une personne d'un très-haut rang? (C'est en effet la jolie comtesse de Forcalquier qui jouait les soubrettes, tandis que Duclos jouait les valets). N'est-il pas visible que ce discours a été arrangé à plaisir pour ridiculiser le personnage qu'on met en scène en supprimant ce qui pourrait le faire valoir? Peut-être Mme d'Épinay avait-elle commencé par écrire plus exactement la conversation, puis son ami Grimm, ennemi de Duclos comme de Rousseau, et qui revoyait son manuscrit, sera venu, en un tour de main, ôter ce qui pouvait être flatteur pour Duclos, et disposer le reste de manière à lui donner l'attitude et les intonations d'un sot grossier. Or, s'il était parfois grossier, il est trop reconnu qu'il n'était pas un sot pour que l'on s'en rapporte sur lui aux peintures suspectes de Mme d'Épinay ou de Grimm.

III

LES ACTEURS ET LES ACTRICES DE L'HOTEL DE BRANCAS. LES COMEDIES DU COMTE DE FORCALQUIER

Revenons maintenant aux comédies de société représentées à l'hôtel de Brancas, et donnons la liste générale des acteurs et des actrices en commençant par celles-ci. Nous rencontrons d'abord la comtesse de Rochefort, qui joue les rôles d'ingénue. Ceux de grande coquette sont remplis par la marquise, depuis duchesse et maréchale de Mirepoix, personne charmante de figure, d'esprit et de caractère qui a inspiré à Montesquieu des vers enthousiastes, quoique assez médiocres d'exécution. Restée veuve très-jeune du prince de Lixin, tué en duel par Richelieu, remariée par goût au marquis de Mirepoix, irréprochable dans sa conduite privée, elle fut malheureusement entraînée par l'amour conjugal et, après la mort de son mari, par le

désir de faire avancer sa famille, à des actions peu honorables qui avaient alors à peu près la même signification que certaines bassesses politiques d'aujourd'hui, lesquelles sont souvent aussi le résultat d'une application immorale de l'esprit de famille. C'est elle qui, dame du palais de la reine, tendrement aimée de cette princesse, se laissa séduire par l'amitié plus avantageuse de Mme de Pompadour, et conquit ainsi pour son mari la charge de capitaine des gardes. C'est elle enfin qui plus tard, pour se maintenir en crédit, ne craignit pas de descendre jusqu'à courtiser Mme du Barry, méritant ainsi le jugement sévère que porte sur elle son amie Mme du Deffand dans une lettre à Walpole du 21 février 1771. « La pauvre Mme de Mirepoix joue un rôle pitoyable!... Rien n'est plus digne de compassion. Une grande dame, une très-bonne conduite, beaucoup d'esprit, beaucoup d'agrément, toutes ces choses réunies, ce qui en résulte, c'est... d'être l'esclave d'une infâme. »

Il est plus que probable que Mme de Rochefort désapprouva, quoique moins durement sans doute, l'attitude de Mme de Mirepoix; mais l'affection trèsintime qui les unissait n'en fut point altérée, car nous retrouverons en cheveux gris au Luxembourg les deux amies de jeunesse. Au moment où nous sommes, Mme de Mirepoix est surtout pour nous l'une des plus séduisantes actrices de l'hôtel de Brancas. Après elle vient la comtesse de Forcalquier, qui joue les soubrettes dans les comédies de son mari. Dans une seule

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pièce, elle est remplacée comme soubrette par la duchesse de Luxembourg; ce n'est pas celle qui, après avoir eu sous le nom de duchesse de Boufflers une jeunesse scandaleuse, devint dans sa vieillesse, et remariée au maréchal de Luxembourg, la terreur des femmes trop légères et la protectrice de J.-J. Rousseau. Il s'agit ici de la première femme du maréchal, fille du marquis de Seignelay. Elle était, dit le président Hénault, d'une figure charmante, dansait admirablement, et jouait la comédie avec beaucoup de feu et d'intelligence. « A cette liste d'actrices de l'hôtel de Brancas, il faudrait ajouter, d'après le président, Mme du Deffand; mais nous ne la trouvons point parmi les dames qui jouent dans les six comédies dont nous avons le manuscrit sous les yeux. Elle a probablement figuré dans les pièces que le président composa de son côté pour l'hôtel de Brancas. Dans la notice sur Mme du Deffand qui précède sa correspondance avec la duchesse de Choiseul, M. de SainteAulaire parle d'un divertissement inédit, sous forme de comédie, intitulé l'Apothéose de M. de Pont-deVeyle, joué le 1er mars 1741, où figure comme actrice, avec Mmes de Rochefort et de Luxembourg, Mme du Deffand; mais, si celle-ci a joué quelques rôles, nous sommes porté à croire, d'après une lettre du recueil publié en 1809, qu'elle a peu pratiqué ce genre d'amu

1. Les comédies du président Hénault ont été publiées sous l'anonyme, en 1770, en un volume avec ce titre : Pièces de théâtre en vers et en prose.

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sement, parce qu'elle n'y réussissait pas. Dans cette lettre, qui n'est pas datée, M. du Châtel, le père de Mme de Choiseul, explique à Mme du Deffand avec beaucoup de compliments pourquoi ses talents d'actrice ne se développeront pas. « Vous êtes faite, lui dit-il, pour attraper la nature du premier bond aussi propre qu'elle à créer, vous n'entendez rien à imiter.»Les acteurs sont un peu plus nombreux. Nommons d'abord le marquis d'Ussé, que nous connaissons déjà, et qui joue les pères nobles. Les rôles d'amoureux et de petit-maître sont tenus par le duc de Nivernois, alors fort jeune, ensuite par le duc de Duras, le marquis de Gontaut, le marquis de Clermont d'Amboise, le marquis d'Adhémar et le comte de Forcalquier, qui joue dans une de ses pièces. C'est Duclos qui remplit presque toujours les rôles de valet.

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La première comédie, en trois actes, intitulée les Blasés, roule sur un genre de ridicule qu'on ne s'attendrait pas à rencontrer en France entre 1740 et 1745. Le mot lui-même n'est pas absolument nouveau, puisqu'il se trouve dans les poésies de Mathurin Regnier; mais il s'y trouve avec un sens exclusivement matériel, tandis qu'il paraîtrait, d'après la comédie de M. de Forcalquier, que ce mot commence seulement alors à être adopté avec la signification d'une maladie morale. Voici le canevas de la pièce. Géronte-d'Ussé a deux nièces; l'une, l'aînée, Chloé-Mme de Mirepoix, jeune veuve du marquis de Saint-Phar, est engagée depuis longtemps pour un second mariage avec le

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