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neur à lui-même, car elle prouve qu'il était capable d'amitié, sans préoccupation aristocratique, et capable aussi de préférer un caractère foncièrement honnête au vernis des belles manières. Duclos, trouvant, dit-il, ce portrait trop flattê, entreprit de se peindre lui-même, et le plaisant, c'est que, sans rien ajouter aux défauts que lui reproche M. de Forcalquier et en les atténuant au contraire, il précise, développe, grossit naïvement les qualités que son ami lui reconnaît. L'intimité entre eux était d'ailleurs assez grande pour que, dans cet état maladif qui rendit ses dernières années si pénibles, M. de Forcalquier acceptât en 1746 de se faire accompagner aux eaux de Cauterets par Duclos, qui assistait sa sœur, Mme de Rochefort, dans les soins qu'elle lui rendait. L'éditeur de la dernière édition des œuvres complètes de Duclos, imprimée en 1821, a public quelques fragments de lettres adressées à cette date par Mme de Forcalquier, qui était restée à Paris, à sa belle-sœur et à son mari. Elles nous montrent avec quelle ardeur les Brancas, après avoir aidé Duclos à entrer à l'Académie des inscriptions avant qu'il eût aucun titre à cette distinction, s'occupent de le faire arriver à l'Académie française.

Duclos n'avait encore publié que deux romans de peu de valeur, dont un très-licencieux, et son Histoire

1. Ce ne fut en effet qu'après avoir conquis le titre que Duclos s'occupa de le mériter en écrivant pour cette académie sur des matières d'érudition plusieurs mémoires qui ont du mérite.

de Louis XI, qui fit un certain bruit, mais qui n'a point survécu; il échoua. Cependant, quelques mois après, il fut élu, et prononça un discours qui donnait beau jeu à Louis XV pour dire à propos de cet académicien un mot que toutes les biographies répètent « Pour celui-là, il a son franc parler. » Il l'avait en effet, car il n'hésitait pas à employer en l'honneur de Louis XV la qualification, très-nouvelle alors, de roi citoyen; bien plus, il appelait ce triste roi un prince supérieur à la gloire même. C'était sans doute pour se donner dans l'avenir de la marge comme censeur qne Duclos commençait ainsi par pousser l'adulation jusqu'aux dernières limites. Malgré ces accès de courtisanerie qui tranchent parfois chez lui avec une humeur habituellement indépendante, il avait dû principalement à l'estime de Rousseau, qui ne la prodigue pas et 'qui dans ses Confessions le peint d'un trait: droit et adroit, de se maintenir jusqu'à nous avec la réputation d'un galant homme, un peu bourru, peu châtié dans son langage, capable d'habileté dans sa conduite, mais incapable de déloyauté et de bassesse. C'est seulement en 1818 que la publication des Mémoires de

1. On connaît ce joli mot attribué par Chamfort à l'abbé du Resnel entendant son confrère Duclos, secrétaire perpétuel de l'Académie française, parler par B. et par F. au sein même de l'illustre compagnie, et lui disant avec sa longue figure froide qui l'avait fait surnommer un grand serpent sans venin : « Monsieur, sachez qu'on ne doit prononcer dans l'Académie que des mots qui se trouvent dans le Dictionnaire. » Tout le monde connaît aussi cet autre mot qu'il vaut autant placer ici qu'ailleurs, par lequel Mme de Rochefort arrêta son ami Duclos au mo

Mme d'Épinay est venue mettre en question son honnêteté. Un juge redoutable, l'auteur des Causeries du Lundi, séduit d'abord par Mme d'Épinay, avait commencé par prononcer contre l'infortuné Duclos cette dure sentence « Il ne laissera plus désormais que l'idée d'un ami dangereux, d'un despote mordant, cynique et traîtreusement brusque; on aura beau faire et dire, le faux bonhomme en lui est démasqué, il ne s'en relèvera pas. » Heureusement pour Duclos, la sentence a été revisée et adoucie par le juge lui-même aussitôt qu'il a pu se dérober à l'influence de « ces grâces et de ces mollesses voluptueuses que Rousseau refuse à Mme d'Épinay, mais que Diderot, bon juge, dit M. Sainte-Beuve, lui accorde ». En changeant de sujet, c'est-à-dire en passant de Mme d'Épinay à Duclos, il est arrivé à l'éminent critique ce qui arriva au cardinal de Bausset, qui, dans son Histoire de Fénelon, penche involontairement pour Fénelon contre Bossuet, et subit l'attraction inverse dans son Histoire de Bossuet.

Dans l'excellent et substantiel travail qu'il a consacré à Duclos, M. Sainte-Beuve réduit les torts de celui-ci envers Mme d'Épinay à des torts d'impolitesse

ment où il s'évertuait à prouver par des histoires de plus en plus sca breuses que les femmes malhonnêtes s'effrayaient seules des libertés de la conversation : « Prenez-donc garde, Duclos, vous nous croyez aussi par trop honnêtes femmes. » Enfin, c'est encore à Duclos, discutant sur le paradis, que Mme de Rochefort adressa cette piquante saillie : • Votre paradis à vous, Duclos, je le connais, c'est du pain, du vin, du fromage et la première venue. »

et de brusquerie. Quant au grief de duplicité, il le tient pour douteux, et, s'appuyant sur l'autorité d'une personne très-distinguée qui probablement a traité la même question, il conclut avec elle que ce ne « serait que dans quelques occasions où Duclos était en lutte qu'il aurait eu du calcul et de la ruse, mais que, la plupart du temps, il est évident qu'il s'abandonnait ». Le second jugement nous paraît de beaucoup préférable au premier, et nous pourrions montrer, dans la partie des Mémoires de Mme d'Épinay où l'auteur prétend raconter jour par jour ses rapports et ses conversations, soit avec Jean-Jacques Rousseau, soit avec Duclos, plus d'un indice de fausseté. Ce journal, auquel d'ailleurs nous sommes convaincu que Grimm a mis la main, est d'autant plus perfidement arrangé que le ton des personnages et surtout celui de Duclos, quoique chargé, est assez bien imité, et que les propos qu'on lui prête ont été fort souvent tenus par lui, mais presque toujours défigurés dans la forme de manière à le rendre tantôt odieux, tantôt ridicule, et parfois l'un et l'autre. Nous ne citerons qu'un exemple de ce genre d'artifice, non qu'il soit le plus saillant, mais parce qu'il nous ramène à notre sujet, dont la figure de Duclos nous a un peu détourné, c'està dire aux comédies jouées à l'hôtel de Brancas.

Il est précisément question de ces comédies dans le journal de Mme d'Épinay. C'est en 1755, autant qu'on

1. Mme Guizot (Pauline de Meulan).

en peut juger, non par le journal, où les années ne sont point indiquées, mais par la correspondance de Rousseau. On joue la comédie à la Chevrette; Duclos y assiste, et voici ce que Mme d'Épinay lui fait dire « Nous avons joué aussi la comédie dans une société. J'étais très-bon, je faisais les valets, il y avait une petite soubrette qui était, par Dieu, charmante. Voilà pourquoi je jouais les valets. J'en étais amoureux, moi, de la soubrette, qui était charmante, et... (en souriant et me regardant fixement) nous jouions bien notre rôle tous les deux. (Un moment de silence, et puis, continuant de rire :) Il m'est arrivé de singulières aventures dans ma vie,... mais je dis uniques,... à ne pas croire. » Duclos n'en dit pas davantage dans le journal sur cette affaire. Il est évident que le propos a été bien réellement tenu par lui, car Mme d'Épinay, inférieure par la condition sociale aux Brancas, et qui n'avait aucun rapport avec eux, ne pouvait savoir que par Duclos qu'il avait joué chez eux les valets de comédie, et par conséquent le journal est exact quant au fond; mais est-il admissible que Duclos, présenté si souvent dans ce journal comme le plus vaniteux des hommes, ait poussé la modestie au point de se contenter de dire qu'il jouait dans une société en laissant supposer qu'il s'agit peut-être de bourgeois de la rue Saint-Denis, tandis qu'il jouait, ainsi qu'on le verra tout à l'heure, avec les plus grandes dames et les plus grands seigneurs de France ? Est-il probable, puisque l'arrangeur de ce discours lui

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