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gaudrioles du marquis de Mirabeau et insiste plus que jamais sur son retour à Paris en vue des circonstances qui se préparent. « Le séjour de Paris, lui écrit-elle, sera très-intéressant pour un bon patriote comme vous, car on nous annonce de grands événements pour le retour de Fontainebleau. »

IX

LES SOIRÉES DU LUXEMBOURG.

LE SECOND MARIAGE

ET LA MORT DE Mme DE ROCHEFORT.

Nous chercherons maintenant, à l'aide de cette correspondance et de quelques autres documents, à nous faire une idée exacte de l'ensemble des relations de Mme de Rochefort et de la physionomie de son salon. On a vu Walpole nous présenter ce salon comme un petit cercle d'admirateurs à la dévotion du duc de Nivernois. Il était cela à de certains jours, lorsqu'il s'agissait, par exemple, de lire en petit comité quelque nouvelle production du grand seigneur fabuliste. On réunissait alors ce que Mme de Rochefort appelle la petite société intime où figuraient, avec le marquis de Mirabeau, admirateur peu désintéressé mais très-expansif, d'autres amis plus ou moins protégés par le duc de Nivernois. C'est ainsi qu'un autre contemporain de

LA COMTESSE DE ROCHEFORT ET SES AMIS 217 Mme de Rochefort, dont le ton de mauvaise humeur trahit peut-être le dépit de n'être pas de sa société, a peint son salon en forçant encore le caractère étroit et exclusif que Walpole semble parfois lui attribuer. Nous voulons parler d'un abbé économiste, disciple du marquis de Mirabeau, et qui est mort fou, l'abbé Baudeau, duquel on a publié dans la Revue rétrospective un journal où se trouve la note suivante, à la date du 7 juin 1774:

<< On parle plus que jamais du Muy (pour la guerre) et du Vergennes (pour les affaires étrangères). Si le Nivernois avait voulu cette place, il l'aurait; et, si Mme de Rochefort, bégueule spirituelle, mais apathique, ne l'en avait pas détourné, il aurait accepté. Mais cette femme est bien aise de l'avoir le soir au Luxembourg à tenir un cercle de rébus et de nouvelles, prési lé par un prestolet d'abbé de Luzine, ci-devant précepteur du duc de Bourbon. »

Il est probable en effet qu'à cette date, au moment où son beau-frère Maurepas devenait le principal ministre, si le duc de Nivernois eût voulu entrer au ministère, cela lui eût été possible; mais, s'il est vrai que Mme de Rochefort l'en ait détourné, ce ne fut pas assurément par une égoïste indifférence pour les affaires publiques ou une futile préoccupation des agréments de son salon. Ses lettres de cette même année 1774 que nous venons de publier attestent qu'elle n'était rien moins qu'indifférente aux grandes questions qui s'agitaient alors. Quelle femme d'ailleurs préoccupée de son salon resterait insensible à l'idée

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de voir entrer au ministère un ami sur lequel elle est toute-puissante? L'assertion de l'abbé Baudeau, si elle est fondée, ferait donc le plus grand honneur à Mme de Rochefort, car elle prouverait tout simplement que, jugeant la situation trop difficile pour la frêle santé et peut-être même pour les aptitudes de son ami, elle aurait été capable de sacrifier les intérêts de son amour-propre à la sincérité de son affection. Il est certain que ce fut seulement après la mort de cette amie dévouée et sagace que le duc de Nivernois se laissa tenter bien tardivement par l'ambition d'entrer aux affaires comme ministre sans portefeuille, et il n'y gagna que des ennemis avec une aggravation de mauvaise santé. Mais revenons au salon de Mme de Rochefort, dont la note de l'abbé Baudeau nous a écarté, quoiqu'elle parût d'abord s'y rattacher.

En dehors de ces réunions intimes qui pouvaient avoir plus ou moins le caractère d'une petite coterie littéraire, les relations de l'amie du duc de Nivernois embrassaient une sphère assez étendue. On le voit par le grand nombre de personnes mentionnées incidemment dans la correspondance inédite. Tous les amis de sa jeunesse, tous les habitués survivants de l'hôtel de Brancas, gens de qualité hommes et femmes, et gens de lettres,

1. Peut-être aussi faudrait-il faire entrer en ligne de compte pour l'explication de sa conduite, dans cette circonstance, une nuance de dédain philosophique pour l'ambition qui perce dans la première lettre d'elle que nous avons citée.

les Maurepas, les Flamarens, les Mirepoix, d'Ussé, Bernis, Hénault, Duclos, sont restés dans un commerce habituel avec elle, et, quoique toutes les personnes que nous venons de nommer soient également liées avec le duc de Nivernois, il n'en est aucune à laquelle puisse s'appliquer la qualification d'admirateur dépendant employée par Walpole. Duclos, par exemple, n'était rien moins que dépendant, et la correspondance nous prouve que, jusqu'à sa mort en 1772, il comptait parmi les habitués du salon de Mm de Rochefort. Il est souvent fait mention de lui et de sa forte voix. Je vous prie, écrit le marquis de Mirabeau à Mme de Rochefort, de vous faire des maux fantastiques si vous voulez que je les chante, par exemple la mort d'une de vos tortues, des pannequets qui ne seront pas cuits ou une extinc

tion de voix à M. Duclos. 1>

Nous avons déjà rencontré dans les lettres de Mme de Rochefort, le président Hénault, que sa qualité de serviteur très-humble de Mme du Deffand n'empêche pas de cultiver assidûment l'ancienne amie de celle-ci, malgré la rupture absolue qui subsiste entre ces deux dames. Nous l'avons rencontré à l'état d'adorateur de Mme de Pailly. Le caractère frivole de l'auteur un peu trop

1. On a si souvent parlé du caractère exagéré de la voix de Duclos, qualifiée par M. Sainte-Beuve d'après Grimm, une voix de gourdin, que nous sommes tenté de constater ici, en passant, que les témoignages diffèrent sur la nature de l'organe dont Duclos abusait dans la discussion. Tandis que le mot de Grimm semble indiquer une grosse voix, l'abbé Baudeau, dans le journal que nous venons de citer, écrit cette phrase: « Duclos dit de son ton de fausset.

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