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Mme de Rochefort qu'il se permet la moindre critique à l'adresse de M. de Nivernois. Il sent très-bien qu'auprès d'elle l'enthousiasme pour son ami est de rigueur et que, si elle laisse entrevoir quelquefois que ce vaporeux ami exerce un peu sa patience, elle trouverait fort mauvais qu'on abondât trop dans son sens le soin avec lequel le marquis, réprimant sa verve sarcastique, peint M. de Nivernois toujours en beau et attrayant même dans ses vapeurs, quand il parle de lui à Mme de Rochefort, ne nous laisse aucun doute sur l'intensité du sentiment de prédilection que l'heureux duc inspire à cette excellente femme.

Après M. de Nivernois, la personne de la famille qui intéresse le plus vivement Mme de Rochefort et qui semble le plus intimement liée avec elle, ce n'est pas la femme, c'est la belle mère de son ami, la vieille comtesse de Pontchartrain.

Il est sans cesse question d'elle dans les lettres de Mme de Rochefort, et toujours avec l'accent de la plus vive tendresse. Si elle est malade, celle-ci écrira : » Je ne saurais vous dire combien cette femme que nous aimons tant, et trop pour nous, m'occupe, m'inquiète et m'attendrit. » Si c'est Mme de Rochefort qui souffre, elle nous apprend que Mme de Pontchartrain malgré son grand âge est venue à son tour la soigner. « La bonne Mme de Pontchartrain écrit-elle au marquis de Mirabeau le 29 octobre 1764, est toujours aussi fringante que nous la désirons. Elle a eu bien soin de moi pendant ma petite maladie, elle ne m'a pas quittée tous

les soirs, cela est de bon exemple et de bonne espérance pour madame votre mère. Pendant la belle saison Mme de Pontchartrain vit dans une jolie résidence à Saint-Maur près du château aujourd'hui démoli du prince de Condé, et c'est là que Mme de Rochefort vient tous les ans s'établir à poste fixe avec le duc de Nivernois, tandis que la duchesse dont la maison de campagne est à Montrouge ne vient à Saint-Maur que de temps en temps. C'est Mme de Rochefort qui fait en quelque sorte les honneurs du logis aux parents et aux amis de Mme de Pontchartrain. Nous allons bientôt, écrit-elle, avoir le tourbillon à Saint-Maur, les Maurepas y arrivent à la fin de la semaine et leur planète a beaucoup de satellites 1. ›

Si Mme de Pontchartrain paraît aimer beaucoup l'amie de son gendre, celui-ci le lui rend bien; car, non content de nous offrir le phénomène peu commun au dix-huitième siècle d'un poëte qui chante sa femme, le duc de Nivernois, se montre à nous sous l'aspect non moins rare d'un gendre à qui les perfections de sa belle-mère inspirent des vers très-enthousiastes. Dans la partie de ses œuvres publiée par lui-même on lit une gracieuse épître à Mme de Pontchartrain; assez singulièrement placée à coté d'une ode très-éro

1. L'ex-ministre de Louis XV, le futur ministre de Louis XVI était le beau-fils de Mme de Pontchartrain, seconde femme de son père. Sa maison de campagne à lui était à Pontchartrain, où Mme de Rochefort va de temps en temps avec le duc de Nivernois. Elle visite aussi parfois le seul frère qui lui reste, le marquis de Brancas au château de Crosne, mais Saint-Maur est son séjour préféré.

tique comme s'en permet quelquefois l'aimable devancier de Boufflers, et, dans ses œuvres posthumes, on rencontre encore une pièce de vers intitulée la Romance de Saint-Maur, et consacrée à célébrer la douceur, l'esprit, l'amabilité d'Hélène (c'est le prénom de Mme de Pontchartrain).

Autrefois, les fêtes de famille, dans toutes les classes de la société, ne se passaient jamais sans une certaine dépense d'esprit destinée à l'assaisonnement des cadeaux. Les compositions de ce genre sorties de la plume du duc de Nivernois sont assez nombreuses et figurent dans ses œuvres, nous ne nous y arrêterons donc pas en ce moment, mais la fête d'Hélène a inspiré à Mme de Rochefort une production qui, ayant été imprimée seulement dans le petit volume non publié, dont nous avons déjà parlé, peut être considérée comme inédite et que par conséquent nous croyons devoir reproduire. Les amateurs exclusifs du genre grandiose ou du genre profond, dédaigneront probablement cette bluette; cependant, comme il est démontré par nos citations précédentes que la personne qui l'a écrite était capablede métaphysique aussi bien que la femme la plus virile de notre siècle, il n'y a peut-être aucun inconvénient à prouver qu'elle savait aussi être gracieuse et caressante même avec une petite nuance de mignardise. Le badinage qui suit est, d'ailleurs, d'une forme

1. Nous avons pu constater ce fait dans la modeste famille de l'horloger Caron, père de Beaumarchais, comme nous le constatons ici dans la famille d'un duc et pair.

assez singulière (puisque c'est un chat qui en est supposé l'auteur) pour exiger une courte explication préalable.

Mme de Pontchartrain et Mme de Rochefort avaient une passion égale, l'une pour une petite chienne nommée Thisbé, l'autre pour un chat qui portait le nom un peu bizarre de Merlou : on verra plus loin le grave Ami des hommes, accepter pour lui le nom de ce chat et s'honorer du sobriquet de gros Merlou qui lui est donné par Mme de Rochefort et par tous ses amis intimes. Merlou, faisant apparemment mauvais ménage avec Thisbé, n'était pas admis à Saint-Maur et restait au Luxembourg pendant les absences de sa maîtresse, dont la sollicitude est si grande qu'on la voit quelquefois faire tout exprès le voyage de Saint-Maur à Paris afin de vérifier si son chat ne s'ennuie pas trop, et, quand elle ne vient pas elle-même, c'est le complaisant duc de Nivernois qui ne manque jamais de passer chez Merlou pour rapporter de ses nouvelles. Il est venu quelques jours avant la fête d'Hélène, et l'on suppose que l'incomparable animal lui a remis une lettre adressée à Mme de Rochefort pour la charger d'offrir en son nom trois cadeaux à Mme de Pontchar train à l'occasion de sa fête. Nous laissons maintenant la parole à Merlou.

Lettre du chat Merlou à la comtesse de Rochefort.

» Je me suis réveillé, ma chère maîtresse, de la paresse où mon bon ami vous aura sans doute dit que j'étais plongé en

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pensant que c'était bientôt la fête d'Hélène. Je sais depuis que j'existe que c'est un jour mémorable et bien intéressant pour vous; à cette idée, je me suis étalé sur les genoux de ma chère Javotte, j'ai étendu mes quatre pattes, j'ai secoué mes oreilles, j'ai fait une petite toilette, et puis je suis parti comme un trait pour la chasse; mais je n'y ai pas été comme un fou, ou comme une bête, ce n'était pas la passion de la chasse qui me guidait, c'était celle de vous plaire ainsi j'ai choisi ma proie afin qu'elle fût digne de l'objet à qui vous la présenteriez; j'ai pris un petit bouvreuil bien gentil, bien privé qui chante et qui, de plus, a le bonheur, le seul bonheur que j'ai toujours envié, de pouvoir dire qu'il aime; il le dira donc pour moi à Hélène, et c'est tout comme s'il le disait pour vous, car tous mes sentiments me viennent de vous. Je prends aussi la liberté, toujours sous vos auspices, ma chère maîtresse, d'envoyer à Mme Thisbé que j'ai l'honneur de connaître, une preuve que je ne l'ai pas oubliée et en même temps qui doit me rappeler à son précieux souvenir; c'est mon portrait que j'ai attaché à un collier; si elle veut bien me faire la grâce de le porter, j'en aurai toute la reconnaissance dont je suis capable, et ce n'est pas peu dire, comme vous savez. Obtenez-moi aussi une faveur de Mlle Flore sa petite fille, c'est de recevoir une petite chaîne de fleurs que je me suis amusé à faire dans mon jardin de mes propres pattes, qui sont, comme vous le savez, fort adroites. Je n'imagine pas que la douce Hélène puisse donner d'autres chaînes que des chaînes de fleurs et je suis bien sûr qu'il n'en faut pas de plus fortes pour fixer auprès d'elle, puisque moi, avec toute l'indépendance du caractère chat, je sens que je serais soumis et assidu auprès d'elle comme un chien si j'avais le bonheur de la connaître autant que vous. Cette réflexion m'empêche, ma chère maîtresse, de vous faire des reproches sur votre longue absence. Vous êtes heureuse auprès d'Hélène, je ne dois pas me plaindre.

Après Mme de Pontchartrain, ce n'est pas encore la duchesse de Nivernois qui figure dans l'ordre des

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