Page images
PDF
EPUB

tion, dont la construction paraît remonter à la seconde moitié du seizième siècle, et qui ne pouvait appartenir qu'à des gens aisés, tenant, dans leur petite ville, un bon rang1. Telle était en effet la situation des parents de la Fontaine. Son père, Charles de la Fontaine, était maître particulier des eaux et forêts au duché de Château-Thierry, conseiller du Roi. Le père de celui-ci, Jean de la Fontaine, avait possédé la même maîtrise dans la juridiction des eaux et forêts, après avoir été marchand, peut-être marchand drapier, comme l'avait été son bisaïeul, Pierre de la Fontaine. Charles de la Fontaine, dans son contrat de mariage (13 janvier 1617), est dit « écuyer, fils de noble homme Jean de la Fontaine'. » Les gros bourgeois prenaient souvent la qualité de noble homme. Les anoblis avaient droit au titre, moins insignifiant, d'écuyer. Appartenait-il vrai

Jean de la Fontaine, par Alphonse Barbey, brochure de 20 pages, in-8°, Paris, 1870. Cette maison, que la Société historique et archéologique de Château-Thierry avait songé la première à acquérir, a été achetée, en 1875, par le conseil municipal de Château-Thierry voyez le Journal officiel du 27 mai 1875. Elle est dans la rue dite anciennement de Beauvais, puis des Cordeliers au temps du poëte, plus tard du District, aujourd'hui enfin de Jean de la Fontaine, nom qu'elle porte depuis 1792.

1. Walckenaer, aux Pièces justificatives de son Histoire de la Fontaine (tome II, p. 291-293, 4o édition, 1858), établit ainsi la généalogie de notre poëte: PIERRE DE LA FONTAINE, marchand drapier à Château-Thierry, a eu pour fils PIERRE DE LA FONTAINE, qui eut de Martine Josse, son épouse, Nicolas de la FONTAINE, Jean de la Fontaine, Barbe de la Fontaine, Marie de la Fontaine, et Louis de la Fontaine. L'aîné de ses fils, NICOLAS DE LA FONTAINE, contrôleur des aides et tailles à Château-Thierry, eut pour fils JEAN DE LA FONTAINE, marchand, puis maître particulier des eaux et forêts, qui épousa Catherine Longval et eut pour fils CHARLes de la Fontaine, lequel succéda à sa charge et fut père du fabuliste. Parmi les fermes appartenant aux la Fontaine, on en trouve une nommée la Fontaine-Regnaud (paroisse de Chierry dans le canton de Château-Thierry). Quelques-uns ont pensé que le nom de la Fontaine en vient.

2. Ce contrat de Charles de la Fontaine et de Françoise Pidoux appartient à M. le vicomte Héricart de Thury, qui a bien voulu le mettre sous nos yeux.

ment à Charles de la Fontaine et à son fils? Ce que nous savons, c'est qu'il causa à notre poëte un chagrin, que, pour sa part, il était bien incapable de s'être volontairement attiré. Peu de temps après l'ordonnance du 8 février 1661 contre les faux nobles, les traitants découvrirent qu'il avait été qualifié d'écuyer dans deux contrats et le firent condamner, pour usurpation de titre, à une amende de deux mille livres. Cette malheureuse écurie (c'est son expression 1) le ruinait. Dans une jolie épître en vers, il supplia le duc de Bouillon de solliciter la remise de la peine. Il avait signé, sans les lire, les deux maudits contrats :

La cour, Seigneur, eût pu considérer

Que j'ai toujours été compris aux tailles,
Qu'en nul partage, ou contrat d'épousailles,
En jugements intitulés de moi,

[ocr errors][ocr errors]

Je n'ai voulu passer pour gentilhomme 2.

Il n'était certes pas un escroqueur de titres,

Lui le moins fier, lui le moins vain des hommes,

Qui n'a jamais prétendu s'appuyer

Du vain honneur de ce mot d'écuyer,

Qui rit de ceux qui veulent le parêtre,

Qui ne l'est point, qui n'a point voulu l'être3.

C'est donc lui-même qui passe condamnation sur sa noblesse, ne regrettant que de payer l'amende. Nous prendrions avec la même facilité notre parti de l'en croire. Toutefois, au siècle suivant, sa famille protestait, disant qu'il était réellement gentilhomme d'extraction, et que sa paresse seule l'avait empêché de rassembler et de produire ses titres, au temps de la recherche des nobles par la généralité de Soissons. Peut-être

1. Épître 4 M. le duc de Bouillon, vers 23. Voyez le Dictionnaire de Littré, à l'article ÉCURIE. Le mot est employé dans la scène que nous citons ci-après de la comédie de Claveret.

2. Même épître, vers 70-75.

3. Ibidem, vers 48-52.

4. Voyez les Mémoires de Trévoux (juillet 1755, p. 1717). La lettre datée du 15 juin 1755, qui y est insérée, est probablement de son petit-fils. Voyez aussi les mêmes Mémoires, février 1759, p. 393.

avait-il en effet renoncé trop facilement à l'honneur de l'écurie. Il est certain que les partisans ne se faisaient aucun scrupule de chercher alors de mauvaises chicanes à des familles dont les titres n'étaient point faux. Cela est assez plaisamment exprimé dans ce passage d'une comédie du temps1:

Il se trouve assigné parmi les Écuyers,

Et l'on croit que les rats ont mangé ses papiers.
Comment prouvera-t-il sa gentilhommerie,
Parmi des éveillés venus de Barbarie,

Qui s'inscrivent en faux, pour tourmenter les gens,
Contre de bons contrats faits depuis trois cents ans ;
Qui les trouvent tous chauds, qui blâment l'écriture,
La marque du papier, l'encre, la signature,

Flairent le parchemin d'une mine rebelle,
Contestant chaque mot, une virgule, un point?

Si le prince à Bousseau ne s'oppose,
Écuyer et Phénix vont être même chose.

Ce Bousseau, avocat des fermiers généraux, est précisément celui que la Fontaine nomme comme ayant obtenu contre lui un arrêt par défaut :

Sa vigilance en tels cas est extrême ?.

Mais, attendu que celle de la Fontaine ne l'était pas, on s'est cru en droit de penser qu'il eût pu se défendre autrement qu'en déclinant toute prétention à quelque gentilhommerie, et qu'il était en mesure, s'il avait voulu en prendre la peine, de fournir des preuves de la légitimité de cette prétention.

Sa mère était Françoise Pidoux, sœur de maître Valentin Pidoux, bailli de Coulommiers. Il y avait en Poitou une branche de la famille des Pidoux qui n'était pas sans quelque illustration. Elle avait donné au roi Henri II un médecin, dont, à son tour, le fils, Jean Pidoux, fut médecin de Henri III et de Henri IV, et acquit de la célébrité par ses études sur « la

1. L'Écuyer ou les faux nobles mis au billon..., par le sieur de Claveret (Amsterdam, 1665, sur l'Imprimé à Paris), acte II, scène 1. Épître 4 M. le duc de Bouillon, vers 64.

2.

vertu et les usages des fontaines de Pougues », objet d'un de ses traités. Parmi ses savants travaux, il avait quelque commerce avec les Muses. Il eut un fils, François Pidoux, médecin aussi, se mêlant de même de faire des vers1. Celui-ci, qui mourut en 1662, à l'âge de soixante-dix-huit ans, avait été maire de Poitiers. On peut voir, dans l'Histoire du Poitou de Thibaudeau, que la mairie de Poitiers était, depuis l'an 1575, comme héréditaire dans cette famille. Ces Pidoux étaient une forte race, d'une rare longévité, la Fontaine en a fait la remarque', et elle se trouve confirmée par Thibaudeau, dans une Liste historique des maires de Poitiers".

5

La Fontaine savait que les Pidoux de Poitiers étaient ses parents; il les connaissait peu, se souvenant seulement de l'un d'entre eux, son cousin germain, qui l'avait « plaidé ». Dans son voyage de Paris en Limousin (1663), il rencontra un Pidoux à Châtellerault. Il y en avait eu un, du prénom de Pierre (nous ne savons si c'est le même), qui avait été lieutenant général au siége royal de cette ville. Ce que la Fontaine nous dit du parent dont il fit la connaissance n'est pas sans intérêt. C'était un vigoureux octogénaire, qui se plaisait encore aux violents exercices de corps et savait écrire; « l'homme le plus gai..., et qui songe le moins aux affaires, excepté celles de son plaisir.... Il y a ainsi d'heureuses vieillesses, à qui les plaisirs, l'amour et les grâces tiennent compagnie jusqu'au bout ». Quand il faisait ce portrait anacréontique, pouvait-il ne pas se dire « J'ai de qui tenir »? Il a laissé à sa correspondante le soin de noter la ressemblance. Mais il en avait

1. Biographie universelle, article PIDOUX, de Tabaraud. 2. Tome III, p. 404-422. Voyez encore la Bibliothèque historique et critique du Poitou de Dreux du Radier (3 vol. in-8°), tome II, p. 316-324. On y cite, à la page 317, des vers où Scévole de Sainte-Marthe célébrait, en 1606, le médecin de Henri IV, Jean Pidoux, et surtout la découverte, qu'on lui attribuait, des eaux de Pougues.

3. Lettre à Mlle de la Fontaine, du 19 septembre 1663. 4. Aux pages citées ci-dessus.

5. Même Lettre à Mlle de la Fontaine.

6. Histoire du Poitou, tome III, p. 416.

7. Même Lettre à Mlle de la Fontaine.

sans doute été frappé lui-même, tout autant que de celle-ci, qui se marquait dans les visages de cette famille: «< Tous les Pidoux, dit-il, ont du nez, et abondamment. » Il savait bien qu'il avait hérité du grand nez des Pidoux ; et quand, à Châtellerault, il s'amusait à reconnaître ce trait héréditaire, on peut croire qu'il n'aimait pas seulement à se retrouver par les côtés extérieurs dans ses parents maternels. C'est aujourd'hui une théorie en faveur, que tout homme de génie est surtout le fils de la mère. Nous ignorons si elle serait facile à démontrer, ni comment on s'y prendrait pour l'expliquer. Ceux qui cherchent à l'appuyer par des exemples auront du moins celui-ci à recueillir, comme assez vraisemblable.

Il est à regretter que, parmi ces renseignements sur les Pidoux, nous ne sachions à peu près rien de la mère de la Fontaine elle-même, et que, tout en croyant reconnaître ce qu'elle lui avait transmis avec le sang de sa race, nous ne puissions dire ce qu'il lui dut pour les soins donnés à ses premières années, pour l'éducation. Il était jeune quand il la perdit; mais nous ne trouvons pas une date précise. Elle vivait encore en 1634. Dans le registre des baptêmes de cette année, au dernier jour de mars, «< Françoise Pidoux, femme de M. Charles de la Fontaine, maître des eaux et forêts, capitaine des chasses, » a signé comme marraine. C'est le dernier en date des actes de ces registres de Saint-Crépin qui la nomment. La Fontaine avait alors près de treize ans. Il reste beaucoup de place entre 1634 et la fin de 1647, où, par le contrat de mariage de la Fontaine, nous apprenons que sa mère n'était plus. Tout ce que nous avons à dire d'elle, et ce que les précédents biographes n'ont pas su, c'est qu'elle était veuve lorsqu'elle épousa le maître des eaux et forêts de ChâteauThierry. Dans leur contrat de mariage, elle est nommée << dame Françoise Pidoux, veuve de feu honorable homme Louis de Jouy, vivant marchand et demeurant à Coulommiers,>>

«

1. Même Lettre à Mlle de la Fontaine.

2. Ce nom, dont la lecture est, dans le contrat, un peu douteuse, se lit tel que nous l'avons écrit, dans un factum, imprimé sous ce titre : « Pour Me Charles de la Fontaine, tuteur d'Aune de Jouy, fille mineure de deffunt Louis de Jouy et de Françoise Pidoux..., contre Jeanne Mondollot. »

« PreviousContinue »