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BODI

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DE NAPOLÉON

DE SA FAMILLE ET DE SON ÉPOQUE.

CHAPITRE QUATRE-VINGT-NEUVIÈME.

TROISIÈME COALITION.

LES PRÉLIMINAIRES DE L'EMPIRE.

Danger que court l'Angleterre.

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Napoléon, mal secondé par ses amiraux, n'en poursuit pas moins le projet qu'il a conçu. Expéditions de la Martinique, de Sainte-Hélène et de Surinam. Le nord de la baie de Locksully désigné pour point de débarquement. Ouverture de la session du Corps législatif par Napoléon. Sa lettre au roi d'Angleterre et réponse évasive du cabinet de SaintJames. Débats dans le sein du parlement; Fox se montre favorable à la paix et blâme le ministère de repousser les propositions du gouvernement français. Réunion à Paris de la consulte d'État italienne. - Elle offre la couronne d'Italie à Napoléon qui l'accepte. · Eugène Beauharnais désigné pour gouverneur vice-roi d'une partie de cette péninsule. sur cette grande mesure politique. État de l'opinion publique.

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Communication faite au sénat par l'Empereur

Baptême du fils d'Hortense aux Tuileries.

L'Empire a son idéal, son Olympe militaire, beau à rêver dans les nuits étoilées du bivouac.

LÉON GOZLAN.

Napoléon se voyait à la veille de résoudre son grand problème contre l'Angleterre. Malheureusement les hésitations du ministre de la marine, l'incapacité, l'esprit d'incertitude ou de vertige de quelques chefs lui faisaient subir des alternatives constantes de crainte, de doute et d'espérance. Il voulait que tous les jours les vaisseaux en rade de Brest levassent l'ancre, afin d'exercer les

TOME IV.

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équipages, de harceler l'ennemi et de permettre la réunion générale des petits navires dont se composait la flottille; plusieurs caïques accompagnaient chaque vaisseau, que montaient deux cents hommes habiles à la nage ainsi qu'aux manœuvres basses, et qu'on tenait approvisionné d'obusiers de 36, chargés avec la roche à feu, qui ne devaient servir qu'à petite portée. « Accordez, écrivait l'Empereur au ministre Decrès, des prix aux soldats qui monteront sur les vergues, et faites sentir aux contre-amiraux et aux capitaines des vaisseaux qu'il n'est rien que des chefs ne puissent obtenir des sentiments d'honneur et de l'émulation dont le soldat français est animé. Je n'ai pas besoin de rappeler que l'amiral ne doit point avoir de logement à Brest, et qu'il doit passer des mois entiers sans quitter la rade; que les capitaines de vaisseau ne doivent jamais aller à terre, et que les officiers de corvée doivent toujours être des officiers inférieurs '. » L'inexécution de ces ordres motiva le rappel du contre-amiral Truguet, qui fut remplacé par Ganteaume. «Il faut là, disait l'Empereur, un officier actif, ayant l'habitude des mouvements, qui soit allé depuis peu à la mer, à la mer, et qui et qui sache que la perte de plusieurs mois passés dans l'oisiveté est irréparable. Deux mois après, en mettant sous les ordres du viceamiral Latouche-Tréville l'escadre réunie le long des côtes de la Méditerranée, il lui donnait des détails précis sur les forces anglaises et sur les forces françaises, et manifestait l'espérance de le voir arriver vers le mois de septembre dans les eaux de Boulogne, d'où, pensait-il, le débarquement pourrait s'effectuer avant l'hiver sur les rivages ennemis. « Si vous trompez Nelson, il ira en Sicile, ou en Égypte, ou au Ferrol.... Que nous soyons

1 Lettre datée de Saint-Cloud, le 11 floréal an XI (1er mai 1804).

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maîtres du détroit six heures, et nous serons maîtres du monde.......... Je vous ai nommé grand officier de l'Empire, inspecteur des côtes de la Méditerranée; mais je désire beaucoup que l'opération que vous allez entreprendre me mette à même de vous élever à un tel degré de considération et d'honneurs, que vous n'ayez plus rien à désirer 1. >>

Autant Napoléon se montrait libéral envers ceux qu'il jugeait dignes de ses bienfaits, autant il traitait sévèrement des marins tels que Dumanoir, Linois, Larue. « L'escadre de Toulon, disait-il, ne peut être plus mal qu'elle n'est aujourd'hui entre les mains de Dumanoir, qui n'est ni capable d'y maintenir la discipline, ni de la faire agir 2. » Nous lisons dans d'autres lettres : « La conduite du général Linois est misérable; celle du capitaine de vaisseau Larue, plus misérable encore.... Linois a rendu le pavillon français la risée de l'Europe. Le moindre reproche qu'on puisse lui faire, c'est d'avoir mis beaucoup trop de prudence dans la conservation de sa croisière. C'est l'honneur que je veux qu'on conserve, et non quelques morceaux de bois et quelques hommes. Faites partir Larue pour l'Inde, Faites connaître dans tous les ports que je n'ai pas voulu le voir, parce qu'il a quitté son vaisseau.......... Témoignez-lui mon mécontentement et l'espèce de mépris que sa conduite m'inspire 3...»

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Trois expéditions lointaines préparées alors se liaient à la grande expédition de Boulogne: il s'agissait de mettre à l'abri de tout événement la Martinique, la

1 Lettre datée de la Malmaison, le 2 juillet 1804.

2 Lettre à Decrès datée du 28 août 1804.

3 Lettres à Decrès datées de Gueldre et de Cologne, les 14 et 15 septembre 1804.

Guadeloupe et Sainte-Lucie; d'enlever l'île Sainte-Hélène, et d'y établir une croisière pendant trois mois ; de prendre Surinam et les autres colonies hollandaises. Cette dernière entreprise devait être dirigée par le général Lauriston, la seconde par le général Reille, la première par le général Lagrange. Villeneuve était désigné pour commander l'expédition de Surinam, le contre-amiral Missiessy celle de la Martinique. Dans une longue lettre datée du 29 septembre 1804, écrite de Mayence au ministre de la marine, Napoléon trace avec soin le plan de cette triple expédition. « Les Anglais, dit-il, se trouveront attaqués en même temps en Asie, en Afrique et en Amérique. Accoutumés, comme ils le sont depuis longtemps, à ne pas se ressentir de la guerre, ces secousses successives sur les points de leur commerce leur feront sentir l'évidence de leur faiblesse. »

Les timides observations du ministre Decrès, son manque d'initiative, sa molle activité entravaient souvent les vues de l'Empereur. « Soyez donc ministre de la marine, lui écrivait le monarque; ne laissez point venir sous mes yeux les turpitudes de tel ou tel, je dois les ignorer; n'écrivez aucune lettre confidentielle à mes amiraux, aux capitaines généraux des colonies, aux préfets maritimes. Toutes les relations d'un ministre sont officielles.... » Mettant sur la même ligne de mérite, mais dans des rapports différents, Bruix, Villeneuve et Decrès, il savait leur rendre justice, profiter de leurs observations, et se créer une théorie maritime dont elles constituaient les premiers éléments. Ainsi la plupart des amiraux, Decrès notamment, ayant dit leur mot sur la descente en Angleterre, voici comment l'Empereur la concevait et la résumait :

Le nord de la baie Locksully est, à mon sens, le

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