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et une allée. Après le percement de la rue de Seine prolongée, ce furent jusqu'en 1850 les n° 23 et 25.

D'après la Topographie historique de Berty et Tisserand, il y aurait eu là, en 1595, une grande maison portant pour enseigne : l'Albanoys, et appartenant à J. de Messe conseiller d'État.

Ce qui résulte seulement pour nous des pièces déposées aux Archives, c'est que, en 1650, cette maison, sans indication d'enseigne, était la propriété de Claude Refuge conseiller du roi, maréchal de camp, lequel la tenait de sa femme Marie Berzeau et des parents de celle-ci. Le 12 juillet 1650 les époux Refuge la vendirent à François de Beyne, marchand de bois, qui y mourut. Le 9 novembre 1672, Pierre de Beyne fils s'en rendit adjudicataire et continua d'y demeurer. Ce fut un personnage notable du quartier, échevin de la ville de Paris et marguillier de la paroisse Saint-Sulpice. Il mourut dans sa maison de la rue de Buci le 15 mars 1700, à l'âge de soixante-six ans. L'acte d'inhumation, dressé à Saint-Sulpice le 17 mars, mentionne ses titres de conseiller du roi, doyen des Quarteniers de la ville de Paris, administrateur de l'Hôtel-Dieu et de l'hospice des Incurables, ancien échevin et ancien marguillier de la paroisse. Les témoins signataires de l'acte, étaient ses deux fils, Pierre de Beyne docteur de la maison et Société de Sorbonne, et Jacques de Beyne, marchand; son gendre, Joseph Bretonnier avocat au Parlement; et son beau-frère, Joseph Sauvage Procureur en la cour et tiers référendaire.

Jacques de Beyne conserva et continua d'habiter le logis paternel. Dans ses déclarations à l'Abbaye, en 1716 et 1727, il exposait que sa propriété comprenait deux maisons se joignant, formant, sur la rue de Buci, deux corps

Sté que DU VIo. — 1904.

I I

de logis, quatre boutiques, plusieurs étages au-dessus, cour et bâtiments par derrière en aile, porte cochère et allée. Comme son père, Jacques de Beyne fut Premier échevin de la ville de Paris, notable commerçant du quartier, et mourut dans sa maison patrimoniale. Son fils, Jérôme-Jacques de Beyne lui succéda. Une déclaration de propriété, faite par celui-ci en 1747, ne mentionnait aucuns changements dans la maison dont à son tour il avait fait sa demeure. Il y mourut le 26 mai 1783, comme ses père, grand-père et arrière-grand-père, offrant ainsi un exemple de fidélité au logis familial, bien rare de nos jours.

Cette fois, la lignée masculine des de Beyne paraît avoir été éteinte. La déclaration de succession fut faite le 22 novembre 1783 par Jean-Jacques Le Gonestier de Montconel (ou Montcorné) agissant au nom de sa femme, née demoiselle Maréchal, et par une autre demoiselle Maréchal de Montfleury, toutes deux en qualité d'héritières sous bénéfice d'inventaire du défunt Jérôme-Jacques de Beyne. Elles déclaraient recueillir dans sa succession « une maison en deux parties» située rue de Buci, estimée 80.000 livres. Les demoiselles Maréchal restèrent propriétaires jusque vers 1809.

A ce moment, nous touchons à l'importante opération de voirie qui est venue, sur ce point, modifier l'état de l'antique rue de Buci. Longtemps déjà avant la Révolution, au milieu du xvIIe siècle, il avait été question de prolonger la rue de Tournon pour la rattacher à la rue de Seine. Rien n'avait été décidé. Un arrêté du 29 vendémiaire an XI (20 octobre 1802) ordonna pour la première fois ce prolongement, en invitant la Ville de Paris à acquérir à cet effet les immeubles dont ce projet devait entraîner la

démolition. Cependant, ce ne fut qu'en 1806, par un arrêté du 30 mai, que le Préfet Frochot commença de s'occuper des acquisitions à faire dans la rue de Buci. Les négociations durèrent encore environ quatre ans, car, en 1809, les demoiselles Maréchal, dont la maison devait forcément tomber, étaient encore inscrites comme propriétaires sur le Registre foncier de l'Administration de l'Enregistrement.

Enfin, en 1810, les démolitions commencèrent, et, le 5 juillet 1812, le Moniteur publiait l'entrefilet suivant :

La communication vient d'être ouverte entre le Palais du Sénat et celui des Beaux-Arts, par les rues de Tournon et de Seine; déjà de nouvelles constructions s'élèvent de l'un et de l'autre côté de la rue qui établit cette communication, laquelle est à la fois un embellissement et une amélioration utile à ce quartier.

L'ancienne propriété de Beyne avait disparu en partie, il n'en restait que deux morceaux séparés par la nouvelle rue. La fraction qui se trouvait à l'angle de gauche, fut vendue, le 2 mars 1810, par la Ville à un sieur Dumont. Celui-ci la revendit le 2 avril 1812, encore à l'état de terrain nu, au sieur Meunier, qui fit construire la maison d'angle, telle qu'elle est encore actuellement. Cette maison neuve reçut alors le n° 23 sur la rue de Buci et le n° 77 sur la rue de Seine.

Meunier eut la chance de trouver tout de suite un excellent locataire en la personne de M. Désabie qui fonda en cette maison le magasin, devenu bientôt célèbre, des Deux Magots. Cette enseigne bizarre était expliquée par un grand tableau non sans valeur, représentant deux Chinois lutinant une jeune Chinoise de fantaisie. Clément de Ris, dans son ouvrage sur les Enseignes de Paris, affirme avoir

entendu raconter par Abel de Pujol lui-même qu'il était l'auteur de ce tableau. Une reproduction malheureusement assez imparfaite servit d'en-tête aux factures de M. Désabie et nous en donnons, faute de mieux, un spécimen.

Les Deux Magots prirent un rapide essor et furent populaires dans tout Paris. On fit des plaisanteries sur l'enseigne; des anecdotes circulèrent; on raconta que certain mauvais plaisant s'étant adressé au patron lui demanda à voir le deuxième Magot. Mais les affaires prospéraient car le 27 décembre 1818, M. Désabie acheta l'immeuble où il s'était établi comme locataire, et il s'agrandit successivement sur les n° 17 et 19, comme nous l'avons vu.

Vers 1840, M. Désabie céda son fonds de commerce à MM. Levasseur, Debeauchamp et C, en restant propriétaire de l'immeuble. A partir de 1860 la maison déclina peu à peu, et elle se liquida en 1873. De nouveaux associés cherchèrent alors à la remonter en la transportant dans un autre local, place Saint-Germain-des-Prés ; ils ne réussirent pas, et, depuis longues années, en cet endroit, le magasin de nouveautés a été remplacé par un café-brasserie qui a gardé pour enseigne Aux Deux Magots. En même temps, un ancien associé, ou employé de MM. Levasseur et Cie, alla fonder à Alger une maison de commerce sous cette même enseigne. A travers ces péripéties, qu'est devenu le tableau d'Abel de Pujol qui a si longtemps attiré les regards sur ce coin de la rue de Buci? Nous avons acquis malheureusement la certitude qu'il n'a été conservé, ni par les propriétaires de l'immeuble, ni par les deux établissements de la place Saint-Germain-des-Prés et d'Alger, qui en ont seulement gardé le titre, et, qu'en 1873, le nouveau gérant au moment de quitter la rue de Buci, trouvant la toile et le cadre en trop mauvais état, les a détruits sans pitié,

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