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HABITANTS

(Suite.)

Nos 2, 4, 4 bis, 4 ter, 6, 8, 10, 12 (anciennement n° 92 à 78, puis 313 à 296).

Les huit premières maisons du côté droit de la rue du Cherche-Midi faisaient partie, jusqu'à la Révolution, d'une seule grande propriété comprenant un vaste triangle dont les deux côtés étaient formés par la rue du Cherche-Midi jusqu'au no 12 actuel, et la rue de Sèvres jusqu'au no 13, et dont le sommet, largement tronqué, donnait sur la place de la Croix-Rouge (1). Leur histoire est donc commune jusqu'au moment du lotissement opéré par l'Administration du Domaine national sous la Révolution, après quoi chacune d'elles appartenant à un propriétaire différent, commença une existence distincte. Il y a donc lieu de faire un seul grand chapitre de la première période, puis de diviser en chapitres séparés ce qui concerne chacune de ces propriétés depuis la Révolution.

(1) Voir le plan cadastral de la Ville de Paris, reproduit à la page 66 de la 1 livraison de l'année 1909 du Bulletin de la Société.

1re PÉRIODE

(1590-1790)

La tuilerie Guignard.

Les Bouchardeau.

Le docteur René Chartier. - Les Prémontrés et leurs locataires.

Nous savons déjà qu'au xvre siècle, aux deux côtés de l'entrée de la rue, étaient de grandes tuileries. Vers l'an 1590, celle de droite appartenait, comme celle de gauche, à ce Guignard dont nous avons déjà parlé. On se rappelle que cet habitant notable du faubourg, se signala en fournissant, avec quatre de ses voisins, l'argent nécessaire pour entretenir un poste de guetteurs dans le clocher de l'Abbaye afin d'éviter les surprises de l'armée du roi Henri IV. Puis, en 1592, il est mentionné dans les Registres de la ville comme un des adjudicataires des maisons et héritages confisqués sur les propriétaires disparus.

En 1595, ce Guignard (dénommé tantôt Guillaume, tantôt Bernard) était décédé; sa veuve, Julienne Bouchardeau, avait hérité de lui, et s'était remariée avec un sieur Guillaume Debrye. Dans le «< cueilleret » dressé par Claude Locquet Delespine, fermier de l'Abbaye pour la perception des droits de cens, la propriétaire de ce terrain d'encoignure de la « rue des Vieilles Thuylleryes aultrement dict Cherche-Midy, » était ainsi portée sur la liste des contribuables (1) :

Dame Julienne Bouchardeau, femme de M'Guillaume De

(1) Arch. nat. S. 3058, p. 94.

brye au lieu de Guillaume Guignard marchant thuillier, pour une grande maison, courts, granges, estables, assises audict Sainct Germain, faisant le coing de la dicte rue des Vieilles. Thuylleryes et de la rue allant à l'hospital, tenant aux dictes deux rues et par derrière à Debray changeur et aultre, qui doibt le cens à Saint-Remy.

Trente-deux ans plus tard, en 1627, les héritiers ou représentants de Julienne Bouchardeau mirent leur propriété dite «< La Thuyllerye » en vente publique, et elle fut adjugée le 3 février à Messire René Chartier, savant médecin, traducteur d'Hippocrate et de Galien, et professeur de pharmacie et chirurgie. Agé de cinquante-cinq ans environ, ce savant docteur avait sans doute une bonne clientèle, car, en cette même année 1627, nous l'avons déjà rencontré rue de Buci, achetant une autre grande propriété comprenant « quatre corps d'hostel », à côté de la petite maison de l'historien Sauval. René Chartier fut attaché, dit-on, au roi Louis XIII comme professeur de pharmacie, et devint même son médecin ordinaire, mais ce ne fut sans doute qu'après la mort de Jean Héroard, survenue en 1628, car celui-ci, qui ne néglige aucun détail, n'en parle pas dans son Journal. Il continua d'exercer sa profession jusqu'à l'âge de quatre-vingt-deux ans, et mourut subitement le 29 octobre 1654, revenant de faire ses visites, à cheval sur sa mule, comme le raconta le surlendemain le gazetier Loret (1) :

Certain disciple d'Hippocrate
Un peu sujet au mal de rate,
C'est assavoir Monsieur Chartier
Médecin de notre quartier (2),

(1) Muze historique de Loret, t. I, lettre du 31 octobre 1654.

(2) D'après l'acte de vente de 1661, Chartier devait demeurer rue de l'Eperon, paroisse Saint-André-des-Arts.

Étant à cheval sur sa mule,
Jeudy dernier, sans faute nule,
L'heure de la mort le pressa,
Et soudainement trépassa
Près de l'hostel de Longueville,
Comme il retournait de la ville.
De son manteau l'on le couvrit,
On l'emporta, puis on l'ouvrit.
Il était fort avant dans l'âge,
Voilà la fin du personnage.

Le docteur devait laisser une fortune importante, car la liquidation en fut longue. Par acte du 2 avril 1661, les sept-huitièmes de « la Thuillerye » furent adjugés à dame Marie Lenoir, veuve de défunt Messire René Chartier pour l'acquit d'une partie seulement de ses reprises matrimoniales. Le dernier huitième fut attribué aux enfants du docteur dont l'aîné Jean devint, comme son père, médecin ordinaire du roi.

Alors se présentèrent trois acquéreurs d'apparence bien humbles. C'étaient trois religieux venant de Verdun, grossièrement vêtus de bure, et modestement logés rue de la Huchette, près de Saint-Séverin, dans une auberge à l'enseigne du Barillet. Mais ils représentaient une congrégation déjà puissante et très recommandée en haut lieu, dite des Prémontrés de l'étroite observance.

En l'an 1119, saint Norbert cherchant un lieu désert pour y fonder un monastère de chanoines, s'arrêta dans un vallon perdu au milieu de la forêt de Coucy, près d'une ancienne chapelle abandonnée. La légende rapporte qu'ayant là passé sa nuit en oraisons, il vit apparaître la sainte Vierge qui lui montra le pré voisin, et lui ordonna d'y construire un couvent, puis disparut, suivie d'une procession de personnages habillés de blanc. De là le nom de

Prémontré donné à ce lieu, où saint Norbert établit son monastère, et le costume blanc des religieux qui s'y rassemblèrent (1). La règle de cette communauté, approuvée par le pape et par le roi Louis le Gros, était d'une austérité extrême, et fut, pendant longtemps, scrupuleusement observée. Mais, peu à peu, le relâchement se produisit. Les Prémontrés, au xvI° siècle, faisaient bonne chère, portaient du linge fin, des bas de soie, des manchettes de dentelles et se faisaient friser et poudrer, comme des abbés de cour (2). Alors, de divers côtés, en France et en Espagne, surgit un mouvement de réforme.

A Pont-à-Mousson, s'établit une communauté nouvelle où les antiques règles de pauvreté et d'abstinence furent sévèrement reprises et appliquées. Une autre maison semblable s'ouvrit à Verdun. Or, à Paris, existait, rue Hautefeuille, depuis plusieurs siècles, un couvent de Prémontés réfractaires à la réforme. On voulut les y ramener, et c'est dans ce but qu'en 1661, trois religieux étaient venus au faubourg Saint-Germain. C'étaient le R. P. Nicolas Guinot, docteur en théologie, abbé de Pontà-Mousson, vicaire général de la Congrégation de l'estroite observance et les abbés Aymond, Sauvage et Vincent Cunin. Ils ne furent pas bien accueillis, sans doute, par leurs frères de la rue Hautefeuille, et furent réduits à se loger dans une auberge. En revanche, Anne d'Autriche, très pieuse, les avait assurés de sa protection. Ils résolurent de fonder un nouveau monastère et d'acheter pour cela le vaste terrain de la Tuilerie du docteur Chartier. L'affaire fut vite conclue avec la veuve Chartier et, par

(1) Histoire des ordres monastiques, par le P. Hélyot, t. II, p. 156 et suiv. (2) HUYSMANS, De tout. Le n° 11 de la rue de Sèvres, p. 19 (in-12, Stock, 1902).

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