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bâtir. Adieu les vertes prairies fraîches; ceux qui voudront chercher « les bords fleuris qu'arrose la Seine » du poète, devront désormais aller plus loin.

Peu de temps après, en 1541 nous voyons apparaître un nom que nous connaissons déjà, celui de Jean Bouyn, dont nous avons conté l'établissement dans nos parages, en un travail précédent (1). Ce fut sans doute le trio de spéculateurs dont nous avons parlé plus haut, Olivier, Guillard et Perdrier, qui recédèrent leurs droits et leurs obligations à Jean Bouyn. Nous reviendrons pourtant aujourd'hui sur ce personnage, tant parce que son clos englobait en partie la propriété voisine, objet de notre étude, que parce que nous pouvons préciser certains points qui nous avaient échappé.

D'abord, nous indiquerons le métier de Jean Bouyn : il était barbier-chirurgien (2). Les religieux de Saint-Germain-des-Prés avaient fait combler la petite Seine, cette sorte de canal qui rejoignait les fossés de l'abbaye à la Seine, et longtemps ce canal désaffecté servit de chemin creux. L'ayant fait encore niveler, les religieux en firent trois lots de terrain de 83 toises et demi chacun. Jean Bouyn prit celui qui commençait au quai, au coin même de l'ancien canal et y fit bâtir un clos et une maison couverte d'ardoises. La limite à l'ouest était formée par les fossés du Sanitat, ce projet d'hôtel-Dieu abandonné depuis des années. Berty nous apprend que cette maison était large de 7 toises et 4 pieds du côté du quai, que le jardin touchait à la borne d'encoignure du grand Pré-aux-Clercs, ce qui prouve que du côté de la rue

(1) L'Hôtel de Transylvanie.

(2) Arch. nat. S. 2856.

Jacob le jardin avait environ 17 toises de largeur (1). Nous savons les difficultés qu'éprouva le malheureux Jean Bouyn du fait du conflit qui s'éleva peu après entre l'Université et l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, l'émeute d'étudiants se précipitant sur les constructions nouvelles qui portaient atteinte à leurs prétendus droits sur le Pré-aux-Clercs, arrachant les toitures, les démolissant à demi, et causant au barbier-chirurgien un dommage «< de 1.000 à 1.200 écus pour le moins ».

Quand les procès nés de ces violences eurent reçu leurs solutions, quand Jean Bouyn lui-même fut mort à une époque que nous ignorons, ce fut son fils Prosper Bouyn qui entra en possession. Le barbier-chirurgien qui, par son métier même, s'était élevé au-dessus du commun des artisans, avait fait donner une bonne instruction à son fils, si bien que le jeune Prosper, gravissant d'un coup plusieurs degrés de l'échelle sociale, fut en mesure, tant par son instruction que par la fortune de son père, d'entrer dans la vie par une beaucoup plus large porte que ses aïeux. Il acheta une charge de conseiller au parle

ment.

Dès 1567, nous le voyons figurer parmi les électeurs qui, le 16 août, se réunissent au Conseil de Ville pour procéder à la nomination des nouveaux échevins (2). En 1591, il est désigné pour siéger en qualité de juge dans le procès retentissant de Brigart, procureur de la ville de Paris, arrêté pour concussions. Le 15 mai 1610, lors du lit de justice qui va proclamer la tutelle et la régence de la reine-mère, il fait partie de la députation composée d'un

(1) Berty et Tisserand. Topographie du Vieux Paris. Région du Bourg Saint-Germain, pages 15-16.

(2) Registres de Bureau de Ville.

Ste Hue DU VIo. · 1910.

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président et de trois conseillers du parlement envoyés à la rencontre de Marie de Médicis en grand deuil et du jeune roi monté sur sa petite haquenée blanche (1). Mais alors, il y a longtemps qu'il n'est plus propriétaire de la maison. bâtie par son père. En effet, dès 1585, le 7 septembre, Prosper Bouyn avait vendu sa maison du faubourg Saint-Germain à Hugues de Castellan, seigneur de Castelmore, chevalier servant de la reine de Navarre. Nous n'avons rien trouvé sur ce personnage. Peut-être était-il le fils de Honoré de Castellan, médecin italien attaché à Catherine de Médicis, dont Brantôme parle comme d'un homme à bonnes fortunes. La limite à l'ouest était alors la tranchée de l'égout qui passait à peu près au milieu de l'espace occupé aujourd'hui par l'école des Beaux-Arts. Deux ans après cette acquisition, Hugues de Castellan vendit toute la partie méridionale de sa propriété, réduisant ainsi considérablement son jardin. Ce fut l'Université qui racheta ces terrains pour en disposer et les vendre à d'autres particuliers.

On sait l'abominable période que traversa la France et particulièrement Paris pendant la Ligue; assassinats, exécutions, incendies, batailles sanglantes, tel fut pendant des années le bilan presque journalier de ce temps néfaste. La maison de Jean Bouyn devait s'en ressentir : elle avait été comme baptisée, peu après sa construction, par l'émeute des étudiants qui l'avaient à moitié démolie; elle semble avoir été vouée à ces sortes de violences. En effet, pendant qu'elle était la propriété de Hugues de Castellan, c'est-àdire après 1585, elle eut encore à su bir les colères dévastatrices des adversaires politiques de son maître qui tenait

(1) L'Estoile. Journal.

pour le roi et se trouvait sans doute absent au moment du siège de Paris. La maison fut complètement dévastée, et quand son propriétaire y rentra en 1594, au moment de la reddition de Paris, il ne retrouva qu'une masure, nous dit Berty, qui nécessita des réparations considérables. La maison se composait alors de deux corps d'hôtel, l'un sur le quai mesurant sept toises de large et trois toises et demi de profondeur, et l'autre en potence sur la rue.

Le 7 juin 1599, Renée Forget, femme de Hugues de Castellan était veuve; nous ne saurions dire depuis quand, mais ce jour-là elle vendit elle-même le domaine écourté qui lui venait de feu son époux à une autre veuve, Renée Lebeau, jadis épouse d'Étienne Hue dont nous n'avons pu relever aucune qualié. Renée Lebeau ne conserva pas elle-même longtemps cet immeuble et le revendit au sieur Gillet qui se le fit définitivement adjuger par décret du 18 février 1604. L'adjudication par décret était, comme on sait, un acte de procédure qui n'était pas indispensable à la transmission de propriété, c'était quelque chose d'analogue à la purge d'hypothèque, et qui pouvait se faire après la conclusion de la vente et l'ensaisinement. Ce fut le cas pour le sieur Gillet qui était vraisemblablement propriétaire dès 1603 au moins, car le dernier jour de février de cette année, il l'avait baillée à la congrégation des frères Saint-Jean de Dieu, autrement dit Frères de la Charité ».

Voilà donc notre maison transformée en hôpital. M. le Dr Laboulbène, dans la Gazette médicale de Paris de novembre-décembre 1878, et après lui M. Fernand Gillet, directeur de l'hôpital de la Charité, ont étudié l'histoire de cet établissement, et prouvent que ces frères étaient déjà installés quai Malaquais au moins en mars 1602, date des

lettres patentes rendues par Henri IV en leur faveur, à l'instigation de Marie de Médicis. Berty nous apprend que cette princesse paya d'abord le loyer de l'immeuble, puis l'acheta le 4 janvier 1605 et en fit don aux Frères de la Charité, le 5 février suivant. Nous citerons ici une pièce qui prouve le fait. Dans le cueilleret des cens dus à l'abbaye Saint-Germain-des-Prés du 18 avril 1595 (1) (fol. 124) voici ce que nous trouvons :

« Sur la rivière et ès environs :

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« De Monsieur Bouyn, loyer pour une maison assise « sur ladite rivière tenant d'une part à

<d'autre part à d'un bout par devant << sur ladicte rue et d'autre bout par derrière au petit Pré<< aux-Clercs qui doibt de cens chacun an ledit jour Sainct Remy XL sols parisis. Ceste maison est à présent << l'hospital appelé de la Charité. »

Cette pièce, sans nous arrêter à l'erreur qui cite Bouyn comme propriétaire en 1595, alors qu'il ne l'était plus depuis dix ans, semblerait de prime abord prouver que l'hôpital de la Charité existait en 1595, mais une mention à l'en-tête nous indique que nous n'avons en main qu'une copie du cueilleret de 1595 terminée en 1607 et sur laquelle on a relevé les mentions ajoutées en marge au cours des années.

Quoi qu'il en soit, dès le début du xviie siècle un hôpital tenu par les frères Saint-Jean-de-Dieu était installé au coin de la rue de la Petite-Seine absorbant tout le terrain du futur hôtel de Transylvanie et partie de celui où devait

(1) Arch. Nat. S. 3058 (registre).

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