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nous semble-t-il, mérite d'être raconté et éclairci. Hoche, dont l'enfance s'était passée aux Écuries du roi à Versailles, avait dû y connaître Marat, alors médecin attaché à cet établissement. Or, en arrivant à Paris, désireux de signaler les fautes qui avaient causé la déroute de l'armée, il trouve justement dans le journal le Publiciste, rédigé par Marat, un article sur ce sujet. Immédiatement il adresse à l'ancien médecin des Écuries la lettre suivante qui fut insérée le 9 avril dans le susdit journal (1):

Mon cher Marat,

Ajoutez à la suite de l'article sur Valence et Égalité dans votre numéro 162, ces questions:

Pourquoi Valence n'a-t-il pas tenu les hauteurs de Liége. jusqu'à ce que nos magasins fûssent évacués?

Pourquoi ne s'est-il pas donné la peine de voir les dispositions du siège de Maestricht du côté de Vick? etc., etc...

Mais ces critiques techniques sous forme de questions, étaient insuffisantes pour éclairer la Convention et l'opinion publique. Hoche avait à dénoncer les trahisons, les lâchetés, les friponneries ou l'ignorance de prétendus patriotes créés officiers généraux par la faveur de la Convention. Il dut avoir quelque peine à se faire écouter, et être plus d'une fois éconduit, car son séjour à Paris se prolongea plus d'un mois sans résultat réel. Enfin, le 12 mai, écœuré des faux-fuyants et des vaines promesses dont on le berce, emporté par la colère, il adresse au journal le Publiciste, la deuxième lettre que voici, publiée le 16 mai (2):

(1) Bibl. nat., Lc2-227. Le Publiciste de la République française par l'Ami du peuple (no 164).

(2) Ibid. (no 194).

Ami du peuple,

Est-il vrai ou faux que nous soyons régénérés? Est-il vrai ou faux que les leçons que nous venons de recevoir puissent tourner à notre avantage et que, désormais, nous réglerons notre conduite en songeant au passé? S'il est vrai, nous ne verrons plus les traîtres, les fripons et les intrigants en place; nos armées ne seront plus commandées par des hommes lâches, ignares, cupides, ivrognes, et sans aucune aptitude à leur état; nos chefs connaîtront leurs devoirs, se donneront la peine de voir leurs soldats, et s'entoureront de gens de l'art... Par qui venons-nous d'être trompés? par des intrigants couverts d'un voile patriotique. Dumouriez dut-il être jamais aristocrate? Quel intérêt pouvait avoir Thouvenot en trahissant son pays? Cet homme, naguère toiseur de cailloux, est parvenu au grade de général de brigade en six mois; qu'était, au commencement de la guerre, ce Beurnonville élevé au ministère, non par un roi, mais par la Convention Nationale...

...

... Voulez-vous que moi, soldat depuis mon enfance, je puisse croire que notre régénération ne soit pas un mot? Verrai-je ce Virion, chargé par Dumouriez d'arrêter son général, recevoir pour prix de son obéissance aux ordres d'un traître, le grade de colonel de gendarmerie? Verrai-je de sangfroid accorder à Marolle, parent et ami de Valence, celui d'adjudant-général? A peine ferait-il un caporal passable...

Il continue ainsi avec violence, dénonçant l'impéritie ou l'indignité des favoris de la Convention, puis il réclame hardiment, << aux termes de la loi, une place d'adjudantgénéral », en rappelant ses services depuis l'âge de quinze ans, et termine comme on va le voir :

Dites-moi maintenant, mon cher ami du peuple, si, c'est ainsi que veut nous le persuader le Conseil exécutif, on ne peut réclamer contre l'injustice quoique étant à Paris. Le général Le Veneur, dont vous connaissez l'aventure, vient de recevoir l'ordre de se rendre à l'armée pour commander sous un fort brave homme à la vérité, mais qui était colonel alors

que lui était déjà général de division; le général Le Veneur, tout en obéissant, propose à ses concitoyens de vouloir bien répondre à ce dilemme ou il jouit de la confiance, ou il ne la possède pas. Dans le premier cas, il doit prendre son rang, il lui est dû; dans le second, il ne doit point être employé. J'ose pourtant vous répondre que, s'il existe trois généraux patriotes, il en est un. Son seul défaut est de ne point envoyer de courriers pour faire savoir que trente hommes en ont battu vingt-quatre, qu'on a tué deux chevaux ou fait un prisonnier; il a la maladresse de dire qu'un courrier coûte 300 livres à l'État.

Adieu je vous embrasse fraternellement.

L. HOCHE,

rue du Cherche-Midi, n° 294.

Trois jours après cette lettre, le 15 mai, avant qu'elle fût publiée, Hoche était nommé chef de bataillon et quittait Paris pour rejoindre son général. Mais, en son absence, Le Veneur avait été arrêté et incarcéré à Rouen sur l'ordre de Levasseur de la Sarthe. Hoche s'emporte alors en protestations indignées, si bien qu'il est lui-même dénoncé, arrêté, et traduit devant le Tribunal révolutionnaire de Douai (1). Il se défend pourtant si énergiquement qu'il est acquitté, et, à sa sortie de prison, en août 1793, il est envoyé à Dunkerque, dans un poste si dangereux, avec des ressources si insuffisantes, et tant de chances défavorables, qu'il est difficile de ne pas y soupçonner une disgrâce ou un piège. Quoi qu'il en soit, cette sorte d'épilogue du séjour de Hoche à Paris et de ses relations avec Marat suffirait à prouver que les dénonciations qu'on lui reproche n'étaient pas faites pour plaire aux puissants du jour et

(1) Cunéo d'OrNANO, Hoche, sa vie, sa correspondance, p. 56 et suiv.; voir aussi la Notice publiée en 1895 par M. Et. Charavay sur le général Alexis Le Veneur,

qu'il n'en tira guère profit. D'autre part, le général Le Veneur, malgré les protestations de Hoche, resta emprisonné pendant treize mois, ce qui n'empêcha pas la continuation de leurs relations amicales, et d'une correspondante confidentielle dans laquelle Hoche s'élevait contre « ces énugumènes qui croient avoir bien mérité de la patrie parce qu'ils ont vomi des discours furibonds et fait proscrire quelques têtes (1) ».

Le Veneur de Tillières fut réintégré dans son grade en 1795, et semble avoir conservé jusqu'à cette époque son domicile à Paris, car, en juillet 1795, le livre de commande du bijoutier Gravier que nous connaissons, mentionne encore une petite acquisition faite par la comtesse de Tillières qui, chaque année, depuis 1789, faisait de fréquentes visites chez ce commerçant. Puis, vers 1803, M. de Tillières a quitté Paris pour la Normandie; il est, en 1808, devenu maire de Carrouges et député au Corps législatif pour le département de l'Orne. En 1810 il est créé comte de l'Empire, et meurt en 1833 en son château de Carrouges.

Dans l'intervalle, à partir de 1804 au moins, et jusque vers 1807, deux autres personnages intéressants étaient venus habiter la propriété de la dernière héritière des Leriget de La Faye : c'étaient le botaniste Dupetit-Thouars et son beau-frère l'avocat Bergasse.

Tout le monde connait le célèbre marin Aristide Aubert Dupetit-Thouars qui, après avoir guerroyé de 1778 à 1783, entreprit d'aller à la recherche de La Pérouse, fut capturé par les Portugais, puis, revenu en France, prit part à l'expédition d'Egypte et fut tué à Aboukir le 1er août 1798. Son frère, Aubert de son prénom, né en 1756, avait la passion de la botanique. S'associant très (1) BERGOUNIOUX, Essai sur la vie de Lazare Hoche, p. 19.

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A Paris chez le S Dejabin éditeur de cette Collection Place du Carrousel 4

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