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membre de l'Académie des sciences. Ce nouveau propriétaire de la maison de la rue du Cherche-Midi, habitait peut-être déjà chez son oncle dont il était presque le fils adoptif. En tous cas, il y garda le domicile de l'académicien, et, en 1733, dans sa déclaration de propriété (1), il indiquait là sa demeure. Il épousa en 1739 Marguerite-Charlotte de Pape de Saint-Auban, dont il eut deux filles nées en 1740 et 1743. C'était, dit-on, un homme d'esprit et de mérite et un excellent officier. En 1747 il était colonel du régiment Royal-Comtois lorsqu'il mourut de ses blessures le 21 mai à Gênes. L'inventaire dressé à Paris le 27 juin suivant constate qu'il avait quitté sa maison de la rue du Cherche-Midi et pris domicile rue de Grenelle.

L'ancienne habitation des Leriget de La Faye était alors occupée par la marquise Anne-Renée de Senicourt de Sesseval, veuve de Messire Henry-Louis, marquis de Lameth. Elle y mourut le 8 décembre 1747 (2). L'inventaire sommaire dressé par le commissaire exigea une série de vacations qui se prolongèrent jusqu'en mai 1748 ; c'était donc une très large installation. Les héritiers étaient nombreux; le commissaire mentionnait entre autres la marquise de Saint-Simon de Sandricourt, née Gabrielle de Gourgues, les conseillers de Gourgues et de Pomereu, et le marquis de Clermont-Tonnerre.

L'immeuble était devenu la propriété des deux petites filles âgées de sept ans et quatre ans, seules héritières des Leriget de La Faye, sous la tutelle de leur mère. L'une d'elles, la plus jeune, mourut en 1755; l'aînée, FrançoiseHippolyte, héritant de sa sœur, devenant par là. seule

(1) Arch. nat. S. 2847.

(2) Arch. nat. Y. 13-372. Papiers du commissaire Grimperel.

propriétaire, épousa Lucretius-Henry-François-Charles Latour-Dupin-Lachaux-Montauban, issu de la branche très nombreuse des Latour-Dupin-Montauban. Cette union ne fut pas heureuse; la jeune femme perdit la raison et fut déclarée interdite par jugement du Châtelet du 13 mars 1778; elle n'eut pas d'enfants, et avec elle s'éteignit, en 1814, le nom des Leriget de La Faye.

Dès 1778 probablement, et à partir de 1782 certainement, vinrent demeurer dans cette maison portant alors le no 76, la marquise de Verdelin et ses gendre et fille le vicomte et la vicomtesse Le Veneur de Tillières. Ces nouveaux habitants méritent l'attention.

Marie-Louise-Madeleine de Brémond d'Ars, fille du comte d'Ars, riche propriétaire de la Saintonge, avait épousé, en 1750, à l'âge de vingt-deux ans, par suite de convenances et d'anciennes relations de famille, le marquis de Verdelin, dont Jean-Jacques Rousseau trace le portrait que voici (2) :

Mlle d'Ars, fille du comte d'Ars, homme de condition, mais pauvre, avait épousé M. de Verdelin, vieux, laid, sourd, dur, brutal, jaloux, balafré, borgne, au demeurant bon homme. quand on savait le prendre, et possesseur de quinze à vingt mille livres de rente auxquelles on la maria. Ce mignon jurant, criant, grondant, tempêtant et faisant pleurer sa femme toute la journée, finissait toujours par faire ce qu'elle voulait; et cela pour la faire enrager, attendu qu'elle savait lui persuader que c'était lui qui le voulait et que c'était elle qui ne le voulait pas.

Ce marquis de Verdelin ayant acheté une maison de campagne près de Montmorency, Rousseau eut occasion

(1) Confessions de J.-J. Rousseau, Partie II, livre X (t. VI, p. 404 et suiv.).

de faire la connaissance de Mme de Verdelin, qui devint pour lui une amie sûre et dévouée en même temps qu'une correspondante assidue. Sainte-Beuve a consacré à cette liaison, purement spirituelle, un chapitre entier de ses Nouveaux lundis, qui commence ainsi (1):

Mme de Verdelin mérite d'être distinguée entre les diverses dames amies de Rousseau, en ce qu'elle n'était nullement bel-esprit, ni bas-bleu, ni rien qui en approche; qu'avec un esprit fin elle n'avait nulle prétention à paraître; qu'elle aimait l'écrivain célèbre pour ses talents et pour son génie sans doute, mais pour lui surtout...

Cette charmante femme, à la mort de son mari en 1763, fut sollicitée d'épouser un M. de Margency pour qui elle avait depuis longtemps une tendre inclination. Rousseau l'y poussa beaucoup. Mais elle crut de son devoir de se consacrer entièrement à ses trois filles dont l'une était d'une santé précaire, et elle alla demeurer avec elles pendant plusieurs années à l'abbaye de Pentemont, rue de Grenelle. Sa fille aînée mourut jeune; la seconde se maria en 1773 avec le marquis de Courbon-Blénac; elle resta seule avec la troisième qui ne se maria qu'en 1778, alors que Rousseau mourait à Ermenonville. A ce moment, Mme de Verdelin avait depuis longtemps quitté Pentemont et, dans une lettre de septembre 1767, elle parlait de sa «< nouvelle maison (2) ».

Où se trouvait ce nouveau logis? Elle ne le disait pas. On sait seulement qu'elle était intimement liée avec la famille d'Esparbès de Lussan, et qu'en 1777 le marquis de

(1) SAINTE-BEUVE, Nouveaux lundis, t. IX, p. 402.

(2) Aug. REY, Jean-Jacques Rousseau dans la vallée de Montmorency, P. 234 et suiv.

Tillières, dont la femme était une dle d'Esparbès de Lussan, demeurait dans l'ancien hôtel de Montmorency, au no 15 actuel de la rue du Cherche-Midi. Or, c'est le fils de ce marquis de Tillières, Alexis-Paul-Michel Le Veneur, vicomte de Tillières, qui épousa le 15 juin 1778 HenrietteCharlotte de Verdelin, et l'almanach d'adresses de 1782 mentionne Mme de Verdelin au no 76 (no 16 actuel) de la rue du Cherche-Midi. Il est vraisemblable que lors du mariage de sa fille, dès 1778 sinon même auparavant, cette mère très tendre était venue se fixer dans cette maison. En tous cas, à partir de 1782, tout au moins, le vicomte et la vicomtesse de Tillières y demeurèrent avec la marquise de Verdelin qui, jusqu'à sa mort, vécut à côté de sa fille. Lorsqu'après la Révolution, sous le Directoire et sous l'Empire, M. de Tillières quitta Paris pour aller s'établir en Normandie dans sa propriété de Carrouges, il emmena avec lui sa belle-mère qui mourut auprès de ses enfants, âgée de quatre-vingt-trois ans environ, le 18 décembre 1810.

Le vicomte Le Veneur de Tillières, né en 1746, colonel du régiment de Neustrie au moment de son mariage, fut nommé en 1788 maréchal de camp, et continua, sous la Révolution, de servir fidèlement la France. Laissant en son logis parisien sa jeune femme, mère de cinq enfants, en compagnie de sa mère, il fit toute la campagne de 1792 et s'y rendit célèbre par son héroïsme à la prise de Namur. En février 1793, il fut chargé de remplacer Valence au commandement de l'armée des Ardennes devant Maestricht. Trouvant l'armée dénuée de tout, il eut l'idée de charger des approvisionnements un jeune capitaine dont il avait remarqué l'intelligence et l'activité, et qui se nommait Lazare Hoche. Celui-ci, âgé de

vingt-cinq ans seulement, fit des merveilles, si bien que le général se l'attacha en qualité d'aide de camp. Ainsi commencèrent une collaboration intime et une amitié qui eurent les plus heureux effets pour le futur Pacificateur de la Vendée; il apprit du vicomte de Tillières les principes de l'ancienne armée royale et l'estime que méritaient beaucoup de ces officiers de familles nobles servant la France républicaine. En mars 1793, Hoche, à côté de son général, eut à subir les plus dures épreuves. Par suite d'une série de fautes commises par le général Valence et de l'impéritie de certains officiers improvisés par la Convention, l'armée de Dumouriez fut battue à Neerwinden. Il s'en suivit une déroute effroyable pendant laquelle Le Veneur de Tillières et son jeune aide de camp, placés à l'arrièregarde, déployèrent une énergie extrême, tandis que Dumouriez négociait secrètement avec les Autrichiens. On sait le reste la Convention envoie des commissaires à l'armée; Dumouriez ordonne leur arrestation, et le 2 avril passe à l'ennemi avec Valence et quelques autres. Le général Le Veneur, resté à son poste, se trouvait à la tête d'une armée démoralisée qui lui inspirait les plus graves inquiétudes. Il chargea son aide de camp de se rendre tout de suite à Paris pour faire connaître à la Convention sa situation périlleuse et solliciter du secours. Dès les premiers jours d'avril Hoche était à Paris. Il reçut une aimable hospitalité dans la demeure de son général, où il fut accueilli par la vicomtesse de Tillières et sa mère, la marquise de Verdelin. C'est en effet de la rue du ChercheMidi no 294 (numérotage révolutionnaire), qu'il datait, le 18 mai 1793 une longue lettre à Marat qui lui a été durement reprochée par un historien moderne (1). L'incident, (1) Edm. Biré, Paris en 1793, chap. xxvi, p. 280. Lazare Hoche.

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