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le duc de Biron, légataire universel et le 25 juin 1727 l'hôtel lui était adjugé (1).

L'histoire ne dit pas si la duchesse de Lauzun le pleura beaucoup, mais ce qu'on sait, c'est qu'elle paya cher le vilain petit calcul qu'elle avait fait en se mariant. Elle fut parfaite pour son mari, sut conserver une humeur égale devant ses boutades et ses bizarreries et ne prêta jamais à la critique. Quand elle devint veuve elle avait quarante-trois ans et sa jeunesse était passée, mais il lui restait somme toute ce qu'elle avait désiré dès son jeune âge, une situation à la cour, de la fortune et le titre de duchesse. Elle continua cette existence de parade, de coteries, d'esclavage et de supériorité sur tout ce qui n'était point de la cour. C'était là son élément; elle s'y comportait bien et y vivait à l'aise. On la voit encore le 15 mars 1737 avec sa parente, M de Duras, présenter à la cour Mile de Sabran d'une grande famille. de Provence qui venait d'épouser un M. de Marcussia, marseillais. Mais la noblesse insuffisante du mari soulève les protestations de tous les rigoristes de l'étiquette, qui ne prennent point le change quand il s'agit de compter les quartiers; et, avec ce que nous savons de la duchesse de Lauzun, nous imaginons qu'elle n'a point dû demeurer en reste d'intrigues, et que son petit appartement que le roi lui a donné à Versailles, au château, dans les bâtiments de la surintendance, a dû donner asile à plus d'un de ces petits complots de couloir ou d'antichambre qui suffisaient à remplir le cœur et l'esprit de tous ces beaux messieurs à talons rouges.

Dix ans après la mort de son mari, l'âge venant et

(1) Acte de vente de l'hôtel de Lauzun du 12 octobre 1733. Minutes de M. Bertrand-Taillet, titulaire actuel.

n'ayant plus le goût de recevoir à Paris, elle vendit son hôtel du quai Malaquais dans des conditions que nous relaterons plus bas. Elle avait eu du reste des difficultés avec sa voisine la duchesse douairière de Gramont, propriétaire de l'ancien hôtel de Transylvanie, qui avait contrevenu à la servitude réciproque de ne rien construire contre le mur mitoyen qui séparait les deux propriétés. Elle dut lui faire un procès qu'elle gagna du reste par arrêt du 21 juillet 1727, aux termes duquel la duchesse de Gramont était condamnée à lui payer les 10.000 livres à titre de dommages et intérêts, prévus dans la constitution même de la servitude. La campagne l'attirait; trouvant trop près de Paris la maison qu'elle s'était fait bâtir à Passy, elle la vendit à Mme de Saissac et acheta pour sa vie durant à M. d'Ecquevilly sa terre d'Olainville, près de Châtres où, avec une vue superbe, elle trouvait le vrai calme des champs.

Elle mourut le jeudi, 19 mai 1740, âgée de soixante ans. Olainville revenait naturellement à M. d'Ecquevilly. Son neveu, le duc de Randan, héritait de 60.000 livres, outre les 20.000 qu'elle lui avait déjà données en le mariant à Mlle de Poitiers. Tous ses meubles allaient à M. le comte de Lorges, frère du duc de Randan, plus 8.000 ou 10.000 livres de rente. Sa sœur, Mme la duchesse de Saint-Simon, héritait de 10.000 livres et le maréchal de Biron, des 14.000 livres de rente qu'il lui payait pour son douaire (1).

(1) Mémoires du duc de I uynes.

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Hque DU Vie. 1910.

15

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En sortant des mains de la duchesse de Lauzun, l'hôtel allait rentrer dans les biens de la maison de Conti qui l'avait déjà possédé un siècle auparavant. En effet, par acte du 12 octobre 1733 passé devant Billeheu, notaire, la duchesse de Lauzun vendait son hôtel à Louise-Adelaïde, de Bourbon-Conti, princesse de La Roche-sur-Yon, princesse du sang.

C'était une vieille fille de trente-sept ans, fort riche et qui, se trouvant mal logée dans son appartement des Tuileries, voulut être chez elle et racheta à cet effet l'hôtel de son grand-père que nous y avons déjà vu dès 1660.

La désignation de l'immeuble est un peu plus complète que dans les actes précédents : ... « l'Hôtel de Lauzun consistant en une grande porte cochère, une grande cour d'entrée ornée de portiques autour de partie d'icelle et d'une terrasse au dessus desdits portiques; quatre grands appartements de maîtres, grand escalier dans œuvre, basse-cour, entrée dans icelle par une autre porte cochère sur le quay, écuries remises de carrosses appartements au-dessus, autre appartement étant un fond de ladite

basse-cour, caves, cuisines, offices, salles de commun, jardin derrière le grand bâtiment et autres appartenances circonstances et dépendances dudit hôtel, ainsi qu'il se poursuit et comporte... etc. » A l'est, le voisin est toujours. la duchesse de Gramont; à l'ouest l'hôtel de la Bazinière est devenu l'hôtel de Bouillon.

Le prix était de 336.000 livres « francs deniers ». On est étonné de la plus-value de l'immeuble, quand on compare ce prix à celui de la dernière mutation, en 1712, qui n'est que de 156.000 livres. Ce prix de 336.000 livres devait être délégué aux créanciers, MM. le duc de Biron, la duchesse de Rohan-Chabot, M. de Bienne (ou de Bièvre?), la comtesse de Feuquières, la princesse de Montbazon, M. du Franc, Mme d'Argenlieu, M. du Chastelet, Mme de Fontanieu. Tous ces créanciers se trouvaient ainsi remboursés de rentes constituées en leur faveur par Mme de Lauzun et gagées sur l'hôtel.

Pour cet acte, Me de La Roche-sur-Yon élisait domicile chez son trésorier, le sieur de La Croix, demeurant au petit hôtel de La Roche-sur-Yon, rue de l'Échelle, paroisse Saint-Roch. Il y avait donc à cette époque trois hôtels de La Roche-sur-Yon un à Versailles, celui du quai Malaquais et celui de la rue de l'Échelle, sans compter ses maisons de Charonne, de Fontainebleau, et ses châteaux de Vauréal et de Senonches, dont l'existence nous est révélée dans son testament.

Donc, pour la seconde fois, un membre de la maison de France allait vivre dans la maison bâtie par Le Barbier.

C'était une grande de la terre que M" de La Rochesur-Yon et on la voit figurer dans toutes les réunions de la cour et dans toutes les fêtes. Le 8 mars 1722 elle danse le menuet avec le roi; l'autre couple est formé par l'ambas

sadeur d'Espagne, le duc d'Ossonne et la duchesse de Brissac. L'année suivante, l'avocat Barbier la voit passer au bois de Boulogne, à la chasse qu'y donne le prince de Conti, et le duc de Chartres se fait remarquer par son assiduité auprès d'elle. C'est l'or, ce sont les grandeurs : estelle heureuse, cette vieille fille qu'on a essayé plusieurs fois de marier sans jamais y réussir? Le roi a même pensé pour elle au roi Stanislas, mais le sort l'a destinée au célibat. Elle était bonne, elle était laide, elle était peu intelligente et, derrière la pompe et les hommages officiels, on songe malgré soi à la solitude de cette vie austère par son élévation même, au milieu de la foule parfumée et galante, au vide de ce cœur de vieille princesse, rentrant toute seule dans son vaste hôtel du quai Malaquais, ulcérée peut-être de n'avoir point auprès d'elle une affection, comme elle en voit au plus petit de ses gens, ulcérée de se voir mesurer, sinon refuser les prérogatives de son rang. Une vieille fille ne représente point!

Nous en étions là de nos impressions sur Mlle de La Roche-sur-Yon, lorsque nous sommes tombés sur le passage suivant des mémoires du marquis d'Argenson qui annonce sa mort : « 22 novembre 1750.- Mlle de La Rochesur-Yon, princesse du sang, mourut hier, la nuit, de la petite vérole. C'était une bonne princesse et qui laisse beaucoup de bâtards. »

Il n'y a donc pas lieu de s'apitoyer davantage sur le vide de son existence.

En y regardant de plus près, voici du reste ce qu'annonce le journal de Barbier à la date du 24 octobre 1737 : << Le roi annonce le mariage du comte de Roucy qui est La Rochefoucauld en son nom et qui s'appelait, il y a quelques années, le comte de Marthon. Le roi le crée duc

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