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communauté d'entre défunts M. le duc et madame la duchesse de Créquy, ledit délaissement ordonné au profit desdits seigneurs duc et dame duchesse d'Albret ou au profit de telle autre personne en faveur de laquelle ils pourraient faire leur déclaration à la charge par eux de prendre l'acquéreur pour homme et pour débiteur de ladite somme de cent cinquante six mille livres dont mesdits seigneurs le duc de la Trémoille et prince de Tarente demeureront dès à présent, comme par ledit arrêt ils sont demeurés quittes et déchargés purement et simplement envers lesdits seigneur duc et dame duchesse d'Albret, lesquels ont volontairement déclaré par les présentes que ledit délaissement dudit hôtel de Créquy est pour, au profit et en faveur de... Antonin de Nompar de Caumont, duc de Lauzun et... Geneviève de Durfort de Lorge, son épouse... demeurant rue Neuve Saint Honoré.....

Moyennant laquelle déclaration mesdits seigneurs duc et duchesse de Lauzun ont payé comptant au duc et à la duchesse d'Albret cent cinquante six mille livres.....

Fait à Paris en l'hôtel desdits seigneurs duc et duchesse d'Albret susdésignés, l'an 1712, le 3 juillet avant midi; et ont signé :

Emmanuel Théodose de LA TOUR D'AUVERGNE.

Maric Victoire de LA TRÉMOILLE, duchesse d'Albret.

Le duc de Lauzun.

Geneviève de DURFORT, duchesse de Lazuun.

DOYEN.

LEFAIVRE (1).

Lauzun! Est-ce possible? Il a paru à la cour au milieu du xviie siècle et nous sommes en 1712. Et pourtant c'est bien lui, l'amant, presque le mari de la grande Mademoiselle, l'étonnant cadet de Gascogne qui faisait jeter sa

(1) Minutes de Lefèvre, notaire, obligeamment communiquées par Me Flament-Duval, son successeur actuel.

canne par la fenêtre à Louis XIV trop tenté de le bâtonner pour son insolence, lui, Puyguilhem, le petit Péguilin, comme on disait, avec sa laide petite figure, son nez pointu, sa morgue insupportable, sa mine ridicule d'ou

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Le duc de Lauzun, gravé par Cazenave (vers 1840), d'après Rigaud.

trecuidance et pourtant ce grand air qui, bon gré mal gré, imposait à tout le monde. C'est bien lui portant allègrement ses quatre-vingts ans; il est toujours l'homme qu'a dépeint Saint-Simon, qui s'affuble exprès de façon ridicule, met sa perruque de travers, son bonnet de nuit par-dessus, son chapeau encore par-dessus, endosse avec cela une robe

de chambre et se promène ainsi de long en large, surveillant d'un ton de défi le visage de ses gens, pour voir s'il se trouvera quelqu'un qui ose rire de M. de Lauzun. Dans l'acte que nous venons de citer chacun a signé simplement son nom lui, signe « Le duc de Lauzun ».

Et pourtant il était bien oublié; il était bien loin de tenir la place qu'il avait longtemps occupée à la cour; depuis sa disgrâce et son long emprisonnement à Pignerol, on avait pris l'habitude de ne plus parler de lui et quand il était revenu il s'était trouvé démodé, en retard de tout le temps de son absence. Ses grands airs et son emphase de mauvaise humeur semblaient surannés. Un jour le roi rit de lui après sa sortie : Lauzun était fini.

Après quelques services rendus au roi d'Angleterre, il avait obtenu la permission de reparaître à la cour, mais il ne pouvait se consoler d'avoir perdu ses charges, surtout celle de capitaine des gardes. Après la mort de la grande Mademoiselle, âgé de soixante-trois ans, il se mit en tête d'épouser Mlle de Quintin, une enfant de quinze ans, la fille du maréchal de Lorges, la sœur de la duchesse de Saint-Simon. Il espérait, par cette union et par l'influence du maréchal, rentrer en grâce et récupérer la bienheureuse charge de capitaine des gardes. Il ne demandait point de dot. Le maréchal hésitait, la maréchale s'y opposait, la jeune fille ne demandait pas mieux. Elle avait fait son compte à ses yeux de quinze ans, Lauzun avec ses soixante-trois ans était arrivé à la plus extrême vieillesse; c'était un sacrifice de deux ou trois ans à faire pour s'assurer un douaire important, un grand nom et une haute situation à la cour. Le mariage se fit et si jamais quelqu'un fut volé, ce fut la petite de Quintin qui eut un mari vieux et du caractère le plus

intraitable, non pas pour trois, mais pour vingt-huit ans.

Le mauvais effet fut général et tout le monde blâma le maréchal. Le roi lui-même ne put s'empêcher de se livrer aux faciles plaisanteries qu'inspirait cette union.

Le mariage avait eu lieu à minuit, en tout petit comité, le 25 mai 1695 et le nouveau ménage s'était installé dans l'hôtel même du maréchal de Lorges; mais sa femme et sa nouvelle famille ne furent pas longtemps. sans éprouver l'effet de ce caractère impérieux et soupçonneux que l'âge n'avait fait qu'accentuer. Quoi qu'il eût toujours été extrêmement fat, il se rendit compte que, vu l'âge de sa femme et le sien, il était préférable de ne pas multiplier les comparaisons avec des jeunes gens beaux et bien faits. Or il y avait dans la famille de sa femme, deux cousins entre autres, à la fleur de l'âge, le teint frais, élégants, aimables, très intimes et familiers avec leur cousine et qui fréquentaient continuellement dans l'hôtel. Lauzun ne dit rien; mais il pensa qu'il était peut-être moins désiré qu'au beau temps où la grande Mademoiselle, au lendemain du mariage manqué, en proie au plus grand désespoir, recevait couchée, comme une veuve éplorée les visites de condoléance et s'écriait dans ses larmes, en tapant son matelas à côté d'elle. « Il serait là! il serait là! ». Il se souvint qu'il possédait une maison rue Neuve-SaintHonoré, touchant l'Assomption et un jour, sans prévenir, enleva sa femme et l'y conduisit, invita du monde, donna à souper, lui procura mille distractions, mais lui interdit, malgré ses pleurs et ses supplications, de retourner jamais à l'hôtel de Lorges. Nous avons vu par l'acte sus-énoncé qu'il habitait encore rue Neuve-SaintHonoré lorsqu'il acquit l'hôtel de Créqui.

Installé quai Malaquais, il effectua d'importantes réparations et fit notamment renouveler les dehors de l'hôtel (1) qui portait sans doute encore le cachet de simplicité des constructions Louis XIII. Il continua sa vie retirée et fantasque; il avait conservé la tournure élégante et montait encore à cheval; mainte fois la grande porte à deux battants s'ouvrit pour donner passage à ce mince et petit cavalier qui suivait le quai et tournait au pont Royal pour aller faire sa promenade au Boisde-Boulogne où le jeune roi le rencontrant un jour demeura émerveillé de toutes les courbettes qu'il faisait faire à son cheval. L'été il quittait souvent son hôtel pour s'installer dans une maison de campagne qu'il possédait à Passy et où sa femme continuait à recevoir ses visites.

Au commencement de 1720, Lauzun fit une grave maladie. Il fit appeler les notaires Gaillardie et Balin qui se présentèrent le 5 février sur les quatre heures de relevée. Ils pénétrèrent dans la chambre de Lauzun qui était au premier étage dans l'aile à droite de la cour et qui donnait d'un côté sur cette cour et de l'autre sur le quai. Lauzun était au lit et dicta un testament extrêmement détaillé où il laissait des legs à tous ses serviteurs, à plusieurs parents et à sa femme qui recevait la terre de Randan en Auvergne.

Ce n'était qu'une alerte et le malade se rétablit bientôt. Le 7 novembre suivant il allait lui-même chez son notaire Balin ajouter un codicille à son testament. Mais vers la fin de 1723 Lauzun tomba de nouveau malade. Il sentit que c'était la fin et, pris de grande dévotion, se retira chez ses voisins les Petits-Augustins; là il endossa l'habit

(1) Les curiositez de Paris, de Versailles, de Marly... par M. L. R, Paris, 1733, in-8°, t. II, p. 126.

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