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remplacé l'année suivante par le duc de Chaulnes. Il est à présumer qu'il ne regretta pas les Romains et que ceux-ci le lui rendirent bien.

Il revenait grandi de toute l'importance qu'avait eu un pareil incident diplomatique, l'un des plus violents qui aient jamais eu lieu. Il reprit son poste auprès du Roi, fut nommé gouverneur de Paris en 1676 et envoyé l'année suivante comme ambassadeur en Angleterre. Ce fut lui qui, en 1680, porta à Munich les présents destinés à la future dauphine qu'il était chargé d'amener en France. Cette même année il achetait à M. de Guénégaud son hôtel du quai Malaquais.

Quant à sa femme, que nous avons vu signer, à l'acte de vente, de ce grand nom de Luzignan, elle s'appelait en réalité Anne-Armande et était fille de Gilles de SaintGelais, dit de Lezignem (ou de Lusignan) s' de Lansac, marquis de Balon et de Marie de Vallée-Fossez, marquise d'Éverly, ses père et mère. Les Saint-Gelais prétendaient descendre des Lusignan, mais ne le prouvaient pas et ce grand nom n'était pour eux qu'un sur

nom.

Le marquis de Sourdis a écrit son portrait, suivant la mode qui alors faisait fureur. Il la présente comme une honnête femme dans toute l'acception du mot, un peu plus grande que la moyenne, avec un joli teint et de belles dents. Continuant sa description, il omet par discrétion « les qualités qui contribuent principalement à la satisfaction d'un mari », mais ne fait point difficulté « de dire avec tout le monde qu'elle est une des plus belles personnes de son siècle, une des plus sages et des plus ver

tueuses >>.

Cette famille de gens de belle prestance se composait,

outre le père et la mère, d'une fille unique qui épousa le duc de la Trémoille (1).

Le duc de Créqui tomba gravement malade quelques années après son acquisition. Longtemps sa forte constitution lutta contre le mal; il sentit venir la mort, ne l'accepta point en philosophe et mourut le 7 février 1687, à l'âge de soixante-quatre ans.

C'était donc sa fille Madeleine, la seule héritière de cette grande fortune. Elle avait épousé le 3 avril 1675 le jeune Charles-Belgique-Hollande de la Trémoille, duc de Thouars, pair de France, prince de Tarente, comte de Laval, qui fut comme son beau-père, premier gentilhomme de la chambre. Nous n'avons point trouvé de pièce relatant l'habitation de l'hôtel par ces personnages. D'ailleurs la duchesse de Créqui y demeura jusqu'à sa mort, le 11 août 1709. Nous savons qu'en 1700, trouvant insuffisantes les concessions d'eau dont jouissait l'immeuble, elle obtenait encore 12 lignes d'eau à prendre dans le regard de la fontaine de la Charité, rue Taranne, suivant la commission qui en fut faite le 30 avril par MM. les prévôt des marchands et échevins de la ville de Paris (2). Mais à cette date la vieille douairière qui s'éteignait ne pouvait plus laisser ses biens qu'à ses petits-enfants, car sa fille Madeleine était morte le 12 août 1707 et son gendre, Charles- Belgique-Hollande de La Trémoille, le 1er juin 1709. C'étaient donc les enfants de ces derniers

(1) Édouard de Barthélemy, dans sa galerie des portraits de Mule de Montpensier, attribue deux fils à la duchesse de Créqui, mais nous ne les trouvons indiqués ni dans Lachenaye-Desbois, ni dans le père Anselme.

(2) Acte de vente de l'hôtel de Lauzun du 12 octobre 1733. Minutes de M Billeheu, obligeamment communiquées par M. Bertrand-Taillet, titulaire actuel de l'étude.

qui héritaient. Ils étaient deux : Charles-Louis-Bretagne de La Trémoille et sa sœur Marie-Armande-Victoire, née en 1677, qui épousa le 1 février 1696 son cousin Emmanuel-Théodose de La Tour d'Auvergne, duc de Bouillon, d'Albret et de Château-Thierry, pair de France et grand chambellan.

Ici nous retrouvons un nom que nous connaissons déjà : en effet vers 1710 il figure sur une pièce domaniale (1) comme locataire de l'hôtel mitoyen, le futur hôtel de Transylvanie. Peut-être y était-il depuis plusieurs années déjà, car la pièce domaniale n'indique point de date. Nous savons qu'il n'y était plus en 1713 et que l'hôtel de M. de Boistissandeau était alors transformé en hôtel de voyageurs sous le nom d'Hôtel du Pérou. Ce fut sans doute le voisinage de ses beaux-parents, les La Trémoille, ou de la grand' mère de sa femme, la duchesse de Créqui qui attirèrent le duc d'Albret, quai Malaquais.

En tout cas, dès 1709 il eût pu rendre sa maison à M. de Boistissandeau et s'installer dans l'hôtel autrement luxueux que laissait à sa femme en mourant cette vieille aïeule que nous avons montrée plus haut se sauvant toute tremblante au milieu des insultes et des menaces de la garde corse, il y avait de cela quarante-sept ans.

(1) Arch. Nat. Q1 109954.

Lauzun.

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Un revenant. - Mariage tardif. Les précautions d'un vieux mari. Dernière maladie et testament du duc de Lauzun. La duchesse de Lauzun. Une femme de cour. Vente de l'hôtel.

Des affaires de succession embrouillées, des règlements de comptes inextricables entre les familles de Créqui et de La Trémoille; le fait aussi qu'ils possédaient un hôtel rue de Richelieu où ils étaient installés, détournèrent le duc d'Albret et sa femme de demander à entrer en possession de l'hôtel qu'on appelait encore l'hôtel de Créqui, et les déterminèrent au contraire à faire liquider juridiquement cette situation.

C'est ce que nous apprend l'acte suivant :

Aujourd'hui sont comparus devant les notaires soussignés très haut... etc. Emmanuel-Théodose de Latour d'Auvergne duc d'Albret et... Marie-Victoire-Armande de La Trémoille son épouse... demeurant à Paris en leur hôtel rue de Richelieu, en exécution de l'arrêt ce jour d'hui rendu par nosseigneurs les commissaires du conseil nommés par le roi pour juger en dernier ressort toutes les affaires en discussion des maisons de La Trémoille et de Créquy, portant entre autres choses délaissement en pleine propriété aux dits seigneur et dame duc et duchesse d'Albret, à compte des sommes à eux dues par lesdites maisons et pour la somme de cent cinquantesix mille livres de l'hôtel de Créquy... acquis pendant la

communauté d'entre défunts M. le duc et madame la duchesse de Créquy, ledit délaissement ordonné au profit desdits seigneurs duc et dame duchesse d'Albret ou au profit de telle autre personne en faveur de laquelle ils pourraient faire leur déclaration à la charge par eux de prendre l'acquéreur pour homme et pour débiteur de ladite somme de cent cinquante six mille livres dont mesdits seigneurs le duc de la Trémoille et prince de Tarente demeureront dès à présent, comme par ledit arrêt ils sont demeurés quittes et déchargés purement et simplement envers lesdits seigneur duc et dame duchesse d'Albret, lesquels ont volontairement déclaré par les présentes que ledit délaissement dudit hôtel de Créquy est pour, au profit et en faveur de... Antonin de Nompar de Caumont, duc de Lauzun et... Geneviève de Durfort de Lorge, son épouse... demeurant rue Neuve Saint Honoré.....

Moyennant laquelle déclaration mesdits seigneurs duc et duchesse de Lauzun ont payé comptant au duc et à la duchesse d'Albret cent cinquante six mille livres.....

Fait à Paris en l'hôtel desdits seigneurs duc et duchesse d'Albret susdésignés, l'an 1712, le 3o juillet avant midi; et ont signé :

Emmanuel Théodose de LA TOUR D'Auvergne.

Marie Victoire de LA TRÉMOILLE, duchesse d'Albret.

Le duc de Lauzun.

Geneviève de DURFORT, duchesse de Lazuun.

DOYEN.

LEFAIVRE (1).

Lauzun! Est-ce possible? Il a paru à la cour au milieu du xvir siècle et nous sommes en 1712. Et pourtant c'est bien lui, l'amant, presque le mari de la grande Mademoiselle, l'étonnant cadet de Gascogne qui faisait jeter sa

(1) Minutes de Lefèvre, notaire, obligeamment communiquées par Me Flament-Duval, son successeur actuel.

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