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notre hôtel, dut sans doute se placer entre la paix de Rueil, en mars 1649, et le moment où Condé, décidément mécontent de la cour, se joignit aux troupes de la Fronde, lors de la nouvelle prise d'armes qui eut lieu peu de temps après et qui aboutit, au commencement de 1650, à son arrestation.

En 1652 Brienne fut si malade que le bruit de sa mort courut la ville; Loret l'annonce le 18 août, mais se rétracte presque en même temps. En fait il fut au plus mal d'accès de fièvre avec transport au cerveau et raconte luimême les soins dont il fut l'objet de la part de sa femme pendant les trois mois que dura cette longue maladie.

Trois ans après, en 1655, c'étaient des préoccupations plus gaies qui mettaient en mouvement les habitants de l'hôtel. M. de Brienne mariait son fils Henri-Louis. Les trois générations de Loménie dont nous avons parlé jusqu'à présent avaient montré une suite de qualités sérieuses, posées, pondérées qui ne se retrouvèrent point dans la quatrième, représentée par Henri-Louis. Il semble que la nature se fût fatiguée d'avoir gardé trop longtemps la même posture dans cette descendance de sages personnages. A l'encontre de ses auteurs, Henri-Louis fut un sensitif, un nerveux, on pourrait presque dire un déséquilibré et un névropathe. Né en 1635, pourvu, dès que son âge le lui permit, de la survivance de secrétaire d'État de son père, il se fiançait le samedi 18 décembre 1655 avec la ravissante Me de Chavigny. Ce jour-là eut lieu la lecture du contrat et M. de Brienne, aussitôt après, fit cadeau à sa future bru d'un énorme diamant valant mille pistoles; le lendemain le fiancé envoya à la jeune fille trois coffrets, dont le premier contenait 3.000 justes d'or, le second des pierreries et des bijoux pour plus de

16.000 écus et le troisième des dentelles, des parfums et diverses raretés (1). Le 15 janvier le contrat était signé et, le 22 janvier 1656, le mariage célébré en petit comité, en présence de la famille et d'un nombre restreint d'invités. Dans la dot du jeune homme figurait l'hôtel que ses père et mère lui délaissaient, moyennant une indemnité de 50.000 livres.

Cette jeune femme charmante qui entrait dans la famille, s'appelait Henriette Le Bouthillier, elle était fille du comte de Chavigny, secrétaire d'État, celui-là même qui avait revendu sa charge à M. de Brienne. Agée de dixneuf ans, d'une taille moyenne, bien prise, « d'un embonpoint honnête », comme elle dit elle-même (2), elle avait le nez grand et un joli teint coloré; mais l'impression de grâce et de bonté que donnait son visage était comme voilée d'une nuance de mélancolie et de langueur qu'il fallait attribuer à son mauvais état de santé. C'était au reste une personne cultivée et sachant l'orthographe, singularité notable pour une femme à cette époque. Elle mourut à vingt-sept ans, en janvier 1664. Aussitôt, son mari, en proie au plus violent désespoir, quitta la cour où il exerçait les fonctions de secrétaire d'État depuis 1660; il entra aux Oratoriens. En 1670 il en sortit pour courir les aventures, tomba éperdument amoureux d'une autre femme et se conduisit de façon si extravagante qu'il se fit enfermer en 1673, à Saint-Germain-des-Prés comme fou; après avoir été successivement transféré à Saint-Benoîtsur-Loire et à Saint-Lazare, il fut enfin élargi en 1692 et mourut le 14 avril 1698 dans un couvent où il était rentré, laissant quelques poésies, un itinéraire de ses

(1) Loret, Muse historique.

(2) Barthélemy, Galerie des portraits de Me de Montpensier.

voyages et des mémoires qui ne parurent qu'en 1720. Mais si, avec la mort de cette jeune femme, le deuil entrait dans la maison, les soucis n'avaient point attendu jusqu'alors pour y faire leur apparition: soucis d'argent, car malgré la première vente avantageuse de sa charge, la fortune de Brienne n'avait pu suffire au train qu'il menait, à toutes ses fondations pieuses et aux innombrables aumônes de sa femme. Dès 1660, comme nous le verrons plus bas, il fallut vendre l'hôtel du quai Malaquais et se réfugier chez sa fille, la marquise de Gamaches, rue des Saints-Pères; soucis plus graves encore que lui causait son fils en effet des insinuations malveillantes coururent sur le compte d'Henri-Louis qu'on accusa de tricher au jeu à la suite de la chance par trop persistante qu'on lui voyait partout. A la fin de 1662, Henri-Louis fut exilé. On prétendit même que ce fut le désespoir d'une pareille honte qui fit mourir sa femme de chagrin. A la ruine venait s'ajouter l'opprobre; la situation de ministre d'État devint intenable à la cour et il dut vendre sa charge une seconde fois. Il le fit dans des conditions qui lui furent particulièrement douloureuses : il avait toujours fait une sourde opposition à Mazarin et n'avait pu se maintenir que grâce à l'amitié d'Anne d'Autriche pour sa femme et pour lui, mais quand, après la mort du cardinal, le roi prit en main les affaires, il eut l'amertume de se voir préférer Lionne dont l'influence grandissait au détriment de la sienne. Louis XIV le trouvait vieux et ne pensait jamais comme lui. Quand Brienne vendit sa charge le 14 avril 1663, ce fut M. de Lionne qui l'acheta 900.000 livres (1).

(1) Cf. l'article de M. Louis Lévêque, dans la Revue historique de maijuin et juillet-août 1910.

La fin de vie de ce ministre, naguère si florissant, fut douloureuse. Pauvre maintenant, humilié, déshonoré par son fils, malade, il se réfugia de plus en plus dans les sentiments de grande religiosité qui formaient le fond de son caractère. Le 2 septembre 1665 il perdait sa femme et lui-même mourait le 5 novembre 1666, laissant l'un et l'autre d'universels regrets dans leur entourage. On contait qu'un valet de la comtesse depuis longtemps à son service, revenant de la campagne à Paris, y apprit brutalement en entrant à l'hôtel la mort de sa maîtresse à laquelle il était extrêmement attaché et que l'émotion fut telle qu'il tomba lui-même raide mort (1).

Les beaux jours de l'hôtel de Brienne étaient passés.

(1) Continuateurs de Loret, 20 sept. 1665.

IV

-

Le prince de Conti. Un prince abbé. Anne Martinozzi. Les œuvres théologiques d'un général de la Fronde.

Au moment où la mort frappait à coups répétés les divers membres de cette famille de Brienne, naguère encore si heureuse et si brillante, ils n'étaient plus les habitants de l'hôtel du quai Malaquais. Dès le 20 septembre 1660, le comte de Brienne et son fils, agissant conjointement, vendaient l'hôtel à Armand de Bourbon, prince de Conti, prince du sang, pair de France, gouverneur et lieutenant général pour le roi en Languedoc et à Anne Martinozzi sa femme, demeurant en leur hôtel, rue de Grenelle. L'hôtel vendu est déclaré « consistant en plusieurs bâtiments, cour sur le devant, jardin derrière, basse-cour à côté de ladite maison, écurie, grenier et autres bâtiments étant en icelle maison et toutes ses appartenances et dépendances >>...

Comme charges, l'acte mentionne les droits de cens, le maintien de la servitude « altius non tollendi »>, instituée par Le Barbier, relative au mur de séparation avec l'hôtel de M. de Hillerin à l'est, c'est-à-dire obligation réciproque de ne pas élever le mur qui sépare les deux cours plus haut que la seconde plinthe de la maison de M. de Hillerin. Le prix était de 200.000 livres tournois.

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