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paternelle, il vivait dans cette ambiance qui, plus que toutes les leçons, forme un homme. Grâce à l'admirable collection de documents réunie par son père, les 350 infolios qui forment aujourd'hui une des richesses de notre Bibliothèque Nationale, il se familiarisait avec l'histoire, avec le maniement de ces dossiers copieux dont les matières touchaient de si près aux affaires qu'il aurait bientôt à étudier. A quinze ans, Henri-Auguste parut à la Cour et souvent Henri IV, pendant que le père tenait la plume, permettait au jouvenceau d'assister au conseil des ministres. A ce moment il n'avait pas, nous dit-il luimême, d'autre occupation que de suivre le roi et de se faire bien venir. Il y réussit parfaitement, grâce à son caractère souple et soumis. Il était nommé secrétaire de cabinet dès 1612, et de 1613 à 1615, il obtenait la survivance des charges de secrétaire des commandements et de secrétaire d'État; en 1619, il était nommé prévôt des ordres du roi et, en 1622, commandant des Tuileries. La même année, des succès diplomatiques en Guyenne, contre les protestants, justifiaient encore cette fortune. rapide et l'on s'explique comment en 1633, le petit-fils du greffier du Conseil, de modeste extraction, put rechercher et obtenir la main de Louise de Béon LuxembourgBrienne, héritière d'une grande famille. Il était déjà un grand personnage.

Sans se compromettre il assista, et de fort près, à l'élévation et à la chute de Concini, mais, malgré sa prudence, il ne peut cacher son aversion pour Luynes. Il est très attaché à la reine-mère et, quand l'influence et les intrigues du nouveau favori la feront exiler à Blois, c'est lui qu'on enverra prendre ses derniers ordres avant son départ. Elle le pria de lui faire avoir les réponses des

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lettres qu'elle écrivait au roi « se promettant de mes soins, écrit Henri-Auguste dans ses mémoires, que je la regarderais comme la mère de mon roi et comme la veuve de celui qui l'avait été. Ces paroles, ajoute-t-il, me firent fondre en larmes et me mirent tout en sueur ».

Ce jeune secrétaire d'État est un loyaliste, du parti des anciens ministres de Henri IV, « les plus gens de bien », dit-il. Jugeons de son indignation quand Luynes, ce nouveau venu, lui propose un jour de lui donner part aux affaires, à la condition de recevoir chaque jour un journal de tout ce qui serait décidé au conseil où Henri-Auguste siégeait comme secrétaire.

En 1624, la cour de France négociait le mariage de Henriette de France, fille de Henri IV, avec le prince de Galles, le futur Charles Ier. Henri-Auguste de Loménie, qui portait alors le nom de M. de La Ville-aux-Clercs, fit partie d'une ambassade de plusieurs personnages qui allèrent en Angleterre discuter cette difficile négociation. Il y réussit parfaitement et fut à ce propos en relations fréquentes avec le célèbre duc de Buckingham qui n'eut pas le don de lui plaire et à qui il n'épargna point les paroles aigres-douces.

L'admiration exagérée de Buckingham pour la reine, ses succès auprès des autres femmes de la cour qui n'ont d'yeux que pour lui, agacent M. de La Ville-aux-Clercs. Dans une conversation entre M. de Bonneuil, notre ambassadeur à Londres, Buckingham et lui, il s'exprime ainsi : « Il faut pourtant avouer, Mylord, que vous avez l'esprit, la taille et l'air d'un grand seigneur; vous êtes, de plus, beau, agréable et bien fait et par conséquent capable de donner de la jalousie à des maris qui seraient d'humeur à en prendre. Je suis même persuadé que vous pouvez y

avoir réussi, mais il faut pourtant que je vous apprenne une chose qui est très constante, c'est que les dames françaises se font gloire de donner de l'amour sans en prendre, et si quelques-unes ne peuvent pas se défendre d'en prendre, elles ne cherchent pourtant, en accordant leurs bonnes grâces, qu'à être courtisées par un cavalier qui réside à la cour, et non par un étranger qui n'est regardé chez nous que comme un passe-volant. » Et M. de La Ville-auxClercs, satisfait du trait acéré qu'il vient de décocher au présomptueux Anglais, ajoute : « Plusieurs gentilshommes français qui furent présents à notre entretien, s'aperçurent bien à la mine de Buckingham qu'il avait été percé jusques au cœur. »

A cette époque, un astre de première grandeur montait à l'horizon; Richelieu arrivait au ministère et laissait voir déjà quelle puissance il allait être. M. de la Ville-auxClercs le comprit, lui rendit quelques services et sut s'effacer. Son père existait encore et ne fut peut-être pas étranger à l'attitude prudente, modeste et profitable de son fils. Leur fortune était maintenant établie et ce fut alors que tous deux de concert, voyant s'élever le bel hôtel du traitant Le Barbier, en eurent envie et passèrent avec lui le contrat d'échange du 19 mars 1632, dont nous avons parlé. Ce contrat nous ne l'avons point eu sous les yeux et nous ne l'avons trouvé que mentionné dans l'acte du 20 septembre 1660, qui constate la mutation suivante, c'est-à-dire la vente dudit hôtel, par HenriAuguste de Loménie au prince de Conti, dont nous parlerons plus bas. Mais nous avons relevé dans la Topographie historique de Berty un échange de 1628 entre Le Barbier d'une part, et Antoine et Henri de Loménie d'autre part, ces derniers abandonnant un ter

rain de deux arpents et demi environ, sis rue Cassette, côté occidental, à l'endroit où s'établirent en 1658 les Bénédictines du Saint-Sacrement (1). Ne serait-ce point là la contre-partie de la mutation que nous connaissons et par laquelle ils entraient en possession de l'hôtel du quai Malaquais? Les dates de 1628 et de 1632 ne coïncident pas, il est vrai, mais nous savons que Berty a commis une erreur : il a dit en toutes lettres que cet hôtel appartenait dès 1628 à M. de Loménie, ce que contredit formellement la date du 19 mars 1632, indiquée sur l'acte notarié du 20 septembre 1660 précité.

Pendant toute la période qui suivit, M. de La Ville-auxClercs s'installa quai Malaquais et fit de sa maison un centre de la meilleure société. En 1638, Antoine de Loménie, son père, mourait et Henri-Auguste, le fils, M. de La Ville-aux-Clercs, devenait chef de cette famille, composée de lui, de sa femme, d'un fils âgé de trois ans qui avait vu le jour depuis l'acquisition de l'hôtel, et de ses sœurs. « Nous restâmes mes sœurs et moi avec peu de bien », dit-il dans ses mémoires. Il en avait toujours assez pour demeurer installé dans l'un des plus riches hôtels du faubourg Saint-Germain, pour y faire figure de mécène encourageant les arts et pour subvenir cependant aux énormes aumônes de sa femme. Malingre, nous parlant de son hôtel (2), nous dit que « c'est le plus agréable et très bien basty, ayant de belles salles, escaliers, chambres et galleries sur le devant, entourées de balustres regardans le Louvre, le Pont neuf, les Thuileries et la

(1) Berty et Tisserand, Topographie historique du Vieux Paris. Région du Bourg Saint-Germain, vol. I, p. 51.

(2) Malingre, Antiquités de la ville de Paris, 1640, in-fol., livre II, P. 403.

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