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de Seine-et-Oise au Conseil des Cinq-Cents. Il aida au succès de la journée du 18 brumaire, et fut tout de suite, en récompense, nommé conseiller à la Cour d'appel de Paris, mais fut destitué en 1815 pour avoir signé l'Acte additionnel pendant les Cent-Jours. En 1798, il eut pour colocataire son collègue Houdbert notaire à La Flèche, député de la Sarthe aussi au Conseil des Cinq-Cents. Dans cette même année, arriva dans la maison un nouvel habitant qui eut une curieuse existence, c'était le musicien Blangini, né à Turin en 1781, âgé alors par conséquent de dix-sept ans. Doué de merveilleuses dispositions pour la musique, il avait, à douze ans, composé et fait exécuter en Italie plusieurs morceaux religieux, et s'était, en même temps fait applaudir pour son talent sur le violoncelle. Présenté à la comtesse de Provence alors réfugiée à Turin, par le comte de Stackelberg, il était, en 1797, très choyé par tous les émigrés, lorsque survint l'armée française victorieuse. Les émigrés s'enfuirent. La famille Blangini, au contraire, résolut d'aller s'établir à Paris. Après quelques jours passés dans une auberge, les Blangini furent enchantés de trouver dans l'ancien immeuble des Prémontrés, pour 300 francs par an, au quatrième étage, un logement assez spacieux, et ils s'y installèrent (1). Au-dessus d'eux, au cinquième étage, il n'y avait que quelques petites chambres mansardées. Félix Blangini fut surpris d'entendre chaque soir les sons criards d'une vieille épinette sur laquelle un habitant d'une de ces chambres jouait, parfois pendant plusieurs heures, des airs anciens. « Curieux, raconte-t-il lui-même, de savoir quelle était la personne qui charmait ainsi ses loisirs, je montai au cinquième et me présentai

(1) Souvenirs de Blangini, publiés par Max de Villemarest (1834).

comme un confrère en harmonie. Je fus reçu par une vieille dame dont la figure annonçait au moins soixantequinze ans, mais qui avait conservé, sous des dehors plus que modestes, ces manières affables que donne l'usage du grand monde... J'étais chez la marquise de SaintSimon. Elle me dit que la musique, qu'elle avait eu le bonheur d'apprendre dans sa jeunesse, était devenue sa seule consolation, et qu'elle se plaisait surtout à se rappeler les airs qui avaient vieilli avec elle. Rarement j'ai rencontré dans ma vie une femme plus aimable que Mme de Saint-Simon, et, malgré les sons peu orthodoxes de son épinette maudite, j'ai bien souvent préféré sa société à des réunions jeunes et brillantes. » La pauvre femme avait donc été réduite à échanger l'appartement qu'elle occupait en 1790 au premier étage contre une petite et unique chambre au cinquième.

La famille Blangini ne resta guère que deux ans rue du Cherche-Midi. En 1800, elle se transporta rue Bassedu-Rempart où elle donna des séances musicales. Puis le jeune compositeur devint maître de chapelle de la reine de Bavière. Revenu à Paris en 1806, il fréquenta beaucoup les Berthier, courtisa la célèbre Grassini, eut de grands succès à l'Opéra, fut ensuite le directeur de la musique de la belle princesse Pauline, qui s'afficha avec lui d'une façon scandaleuse en France et en Italie. L'année suivante, en 1808, il était maître de chapelle du roi Louis de Hollande, revint, en 1814, retrouver Pauline, fut protégé par Talleyrand, et finalement, en 1816, fut nommé compositeur et accompagnateur de la chambre du roi en récompense de ses services passés ». La maison du n° 4 de la rue du Cherche-Midi eut la gloire d'assister aux débuts de cette étonnante carrière artistique.

Durant ce temps, la Régie du Domaine cherchait toujours vainement à réaliser ou à louer au moins en principale location cet immeuble encombrant. Le 26 pluviôse an VI, elle crut réussir en faisant un bail de trois, six ou neuf années à un sieur Salmon, moyennant 6.000 francs par an (1). Mais ce Salmon ne paya rien, fut déclaré fol enchérisseur, expulsé, et un nouveau bail fut passé le 7 ventôse an VII, avec un sieur Margot, boucher, moyennant un loyer réduit à 5.620 francs. On remit encore l'immeuble en vente publique, et il fut adjugé, le 19 vendémiaire an VIII, aux sieurs Alyon et Leymerie pour le prix, colossal en apparence, de 5.419.000 francs, — payable en assignats bien entendu. Ces adjudicataires ne payèrent pas même les frais, et la maison fut de nouveau mise en vente sur folle enchère. Elle fut enfin adjugée, le 29 floréal an VIII, moyennant 2.478.000 francs, à un sieur Guillemardet, qui déclara immédiatement avoir agi pour le compte du sieur François Caron, seul véritable acquéreur.

Cette grande maison reçoit alors de nombreux locataires dont les noms nous sont révélés par des déclarations de toute nature à l'Enregistrement, mais qui n'ont aucune notoriété. Au rez-de-chaussée était d'abord le boucher Margot, locataire principal; puis, se succédant de l'an VIII à l'an XIII, un perruquier, un parfumeur, un menuisier, un marchand de meubles, un tapissier, un libraire, et dans les appartements, de vieux rentiers, des femmes. veuves, des ouvriers et ouvrières, une religieuse sécularisée, etc... (2). En l'an XI, le sieur Card, se disant tantôt

(1) Arch. de la Seine. Sommier foncier. Ventes des biens nationaux. Xe arrondissement, section de l'Ouest, rue du Cherche Midi.

(2) Arch. de la Seine. Enregistrement. Registres des déclarations de succession.

parfumeur, tantôt débitant de tabac, faisant peut-être ces deux commerces en même temps, vient déclarer le décès d'une dame Marguerite-Louise de Helm, décédée chez lui, le 27 pluviôse, femme divorcée de Jean-Baptiste Margot, locataire principal de la maison, et y demeurant aussi. On peut soupçonner là quelque drame conjugal, d'autant plus que, dans une deuxième déclaration, l'on apprend que, par testament fait sept jours seulement avant sa mort, ladite dame a institué le susdit Card, parfumeur, légataire universel de tous ses biens (1). Les deux boutiques contiguës du boucher et du marchand de tabac-parfumeur avaient dû recéler des scènes intimes dont nous ne connaissons que le dénouement.

En l'an XII, on signale au no 307 (dépendant aussi du n° 4 actuel), le décès d'un sieur Letellier, contrôleur de la Caisse des recettes du trésor public, qui paraît être un locataire important (2). Puis, nous sommes sans renseignements sur les locataires au temps de l'Empire.

Le sieur Caron vendit sa propriété, par acte passé chez Me Moisant, notaire, le 23 février 1813, moyennant 120.000 francs, à Messieurs Marc-Antoine Jullien père et fils, chacun pour moitié (3). Le père, ancien professeur, élu par le département de la Drôme, en 1791, à la Législative, et en 1792, à la Convention, s'y était fait remarquer parmi les plus ardents Montagnards. En décembre, il avait réclamé hautement la mise en jugement du roi, et, en janvier, il avait voté la mort sans sursis, en motivant énergiquement son vote. En févier 1793, il était président du Club des

(1-2) Arch. de la Seine. Enregistrement. Registres des déclarations de succession.

(3) Arch. de la Seine. Sommier foncier de l'Enregistrement.

Jacobins. Mais, à l'expiration de son mandat, ce farouche conventionnel renonça aux affaires publiques et se mit à cultiver la poésie. En 1803, il publia dans le Mercure de France une élégie intitulée la Nouvelle Ruth, puis, dans plusieurs recueils, des Opuscules en vers, qu'il réunit en un volume en 1807 (1). Enfin, sous la Restauration, retiré dans le Dauphiné, il écrivit des Contes pour l'éducation des enfants. Son fils, portant aussi les prénoms de Marc-Antoine, et surnommé Jullien de Paris pour le distinguer de son père, appelé Jullien de la Drôme, avait été aussi affilié à la Société des Jacobins. En mai 1794, nommé membre de la Commission exécutive de l'instruction publique, il avait fait, aux applaudissements de Robespierre et de tous les jacobins, un long discours contre l'athéisme et sur l'immortalité de l'âme (2). Chargé ensuite de l'inspection des armées, il avait séjourné longtemps en Égypte et en Italie. Rentré à Paris, il avait publié en 1800, 1801 et 1808, une série d'écrits politiques très courageux, et en 1813 avait écrit un Mémoire pour démontrer que l'empereur précipitait la France dans un gouffre ensanglanté étaient les deux hommes qui, en cette année 1813, devinrent copropriétaires de la grande maison numérotée sous la Révolution de 305 à 311, mais ne portant, depuis 1805, que le seul no 4.

Jullien de la Drôme, s'il habita cette maison, n'y resta pas longtemps, car on sait qu'en 1815, il alla se retirer dans une propriété qu'il avait en Dauphiné, et où il mourut le 27 septembre 1821, âgé de quatre-vingt-sept ans. Au contraire, il est probable que son fils, resté à Paris où il publia plusieurs ouvrages importants en 1813, 1815,

(1) Dictionnaire de Quérard.

(2) AULARD, La Société des jacobins, t. VI, p. 131 et suiv.

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