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Elle comprenait six pièces de plain-pied ayant chacune deux fenêtres, un cabinet d'aisances, une cave, deux chambres au cinquième étage, et une tribune dans l'église. Ce Chédeville, célibataire, possédant une jolie fortune (car il prêta 8.000 livres aux Prémontrés), s'installa seul dans ce grand appartement, y vécut pendant vingt ans, et y mourut le 9 juillet 1790, sans laisser d'autres héritiers que trois cousins (1).

Quinze jours après ce bail Chédeville, le 16 juillet 1770, les Prémontrés en firent un deuxième, aussi à vie, et pardevant Delarue notaire (2), pour un autre appartement au deuxième étage de la même maison neuve. Le prix était de 2.400 livres, non pas à titre de loyer annuel, mais payé comptant pour toute la durée éventuelle de la jouissance à vie concédée à la locataire Me Marie-Élisabeth Lefébure, fille majeure qui, elle-même, peu de jours après, céda son bail à un sieur Rollin. La location comprenait cinq pièces et aussi une tribune dans l'église.

Dès le même temps peut-être, et, en tout cas, à partir de 1779 au moins, les nouveaux almanachs d'adresses des personnes de condition, mentionnent encore dans cette même maison qui porte alors le n° 88 du numérotage royal (n° 4, 4is et 4ter actuels), Messire Joseph-Michel-René, comte Du Dresnay, chevalier de Saint-Louis, gouverneur et commandant des villes de Saint-Pol de Léon et Roscoff. C'était un vieux marin retraité qui avait de beaux états de services. A l'âge de vingt ans, en 1746, il avait été nommé lieutenant de vaisseau, et avait combattu les Anglais en maintes rencontres. Dix ans après, il était capitaine de

(1) Arch. de la Seine. Registre des décès.

(2) Minutes de Me Georges Morel d'Arleux, notaire.

vaisseau, et, en 1776, chef d'escadre. Il occupait au premier étage au-dessus de l'entresol, juste au-dessous de M. de Chédeville (ainsi qualifié par les almanachs), un vaste appartement richement meublé; il était, comme ses voisins, concessionnaire d'une tribune dans l'église. Le 18 mai 1786, le commissaire Thiot était informé du décès de ce comte Du Dresnay par le marquis son fils demeurant avec lui, premier enseigne de la compagnie des chevau-légers de la garde, admis depuis 1783 à monter dans les carrosses du roi et à suivre Sa Majesté à la chasse (1).

Enfin, en 1784, nous trouvons encore mention d'un noble habitant de « la maison neuve » des Prémontrés, le baron de Feldenfeld, comte du Saint-Empire, qui se plaint de recevoir des lettres anonymes, injurieuses pour lui et pour la comtesse de Klasten (2).

D'autre part, même dans les anciens immeubles non reconstruits, les loyers augmentaient. Ainsi le bonnetier Rigonot, qui avait fait un premier bail de neuf ans en 1769, le renouvelait en 1778 pour la même durée, moyennant un loyer annuel de 1.400 livres, et en 1788 allait encore le renouveler au prix de 1,600 livres (3). Il convient d'observer que sa location comprenait, outre sa boutique donnant sur la place de la Croix-Rouge, un appartement avec cave, grenier et chambre au quatrième étage. A côté de lui, le pâtissier Thomas payait 900 livres de loyer pour sa boutique seule, et l'épicier Méat 800 livres. Audessus d'eux, un grand appartement donnant sur la place et sur la rue du Cherche-Midi était occupé par un riche

(1) Arch. Nat. Y. 13.812. Papiers du commissaire Thiot. (2) Arch. Nat. Y. 13.809. Papiers du commissaire Thiot. (3) Arch. nat. S. 4340.

bourgeois, M. Jean-Michel de l'Halle qui y mourait en 1780 (1).

A l'autre bout des propriétés des Prémontrés, dans la maison (no 12 actuel) portant autrefois l'enseigne des Treize Cantons, était un bourrelier, Jean-Baptiste Thesse qui y mourait en 1777, laissant son fonds de commerce à son gendre, Jean-Baptiste-Louis Hervieux. Celui-ci, à l'expiration de son bail, sollicita des Prémontrés un bail à vie qui lui fut consenti le 19 juillet 1784, moyennant 6.500 livres une fois payées pour toute la durée de sa jouissance (2). Lorsqu'il mourut, douze ans plus tard, dans ce même logis, on fit remarquer qu'il était devenu propriétaire d'une maison rue Saint-Placide. Hervieux avait donc fait de bonnes affaires.

En 1779, le vitrier Maget renouvelait aussi le bail de sa boutique, moyennant un loyer annuel de 420 livres (3).

Enfin, en 1782, les Prémontrés louaient pour neuf années, en principale location, leurs quatre dernières maisons (no 6 à 12 actuels), au sieur Jean Duchesne, maître menuisier, moyennant 6.000 livres de loyer annuel. Puis le 7 septembre 1789, ils renouvelaient ce même bail, en ajoutant au contrat un pot-de-vin de 2.400 livres, et en imposant au locataire, par une contre-lettre un second supplément de 12.000 livres payables par annuités de 1.333 livres, ce qui, au total, faisait un loyer de près de 8.000 livres. Jean Duchesne y trouvait son compte, car cette location comprenait neuf boutiques sur rue, et les nombreux logements de quatre immeubles à quatre étages chacun, depuis la grande maison neuve jusqu'à la pro

(1) Arch. nat. Y. 13.801. Papiers du commissaire Thiot.

(2) Arch. de la Seine. Insinuations.

(3) Arch. nat. S. 4340.

priété de M. de Lucenay que nous trouverons au n° 14 (1).

En 1784, les Prémontrés furent victimes d'un vol commis dans leur église avec une rare audace (2). A la fin du mois d'août, ils avaient exposé sur l'autel de la Vierge, dans la chapelle fermée par une grille dont on se rappelle l'origine en 1739, une statuette d'argent haché (3) représentant la Vierge, offerte par la communauté des charpentiers, dont les attributs étaient gravés sur le socle. Le 3 septembre, à six heures du matin, le jeune garçon de sacristie, en ouvrant l'église, s'aperçut que cette statuette avait disparu. Quelques jours après, elle fut retrouvée chez le sieur Blerzy, maître doreur rue de la Verrerie, qui l'avait échangée contre deux flambeaux argentés du prix de 50 livres, sur l'offre d'une femme se disant tourière de la communauté du Bon-Pasteur, et prétendant venir de la part de la Supérieure et de l'aumônier. La voleuse avait dû enjamber la clôture, assez basse paraît-il, de la chapelle, enlever prestement la statuette, la cacher sous ses vêtements, et sortir de l'église sans être vue de personne. Elle avait su ensuite inspirer confiance au sieur Blerzy en lui nommant les Supérieures de plusieurs communautés religieuses et en lui montrant des certificats faux ou volés. Cependant, quelques jours après, ce marchand, ayant quelque méfiance, était passé au Bon-Pasteur où la fraude lui avait été révélée. Quant à la coupable elle ne fut pas retrouvée. En outre, au cours de l'enquête faite à ce sujet par le commissaire, un second vol assez curieux, fut commis dans la sacristie. Le jeune garçon sacristain, Alexis Duchesne, ayant été appelé

(1) Arch. de la Seine. Insinuations.

(2) Arch. nat. Y. 13.809. Papiers du commissaire Thiot. (3) C'est-à-dire, probablement, d'argent émaillé.

au bureau du commissaire pour l'affaire de la statuette, avait laissé son violon déposé sur une table. Quand il revint, le violon n'y était plus, mais le lendemain il le reconnut à l'étalage d'un fripier de la rue des Vieilles-Tuileries. Puis il apprit par un camarade que le voleur était un apprenti marbrier, nommé Gigaut qui venait souvent dans la sacristie. Gigaut, moins habile que la voleuse de la statuette, fut arrêté, avoua son méfait, fut envoyé en prison et le violon fut restitué à Alexis Duchesne.

Mais nous approchons de 1789, le faubourg Saint-Germain n'est pas exempt des émotions populaires et le couvent des Prémontrés en reçoit le contre-coup. On sait qu'aussitôt après la prise de la Bastille la garde nationale s'organisa. Ce fut alors chez les Prémontrés que fut installé le bureau militaire du bataillon qui porta leur nom, et ce fut devant la grande porte du couvent, sur la place de la Croix-Rouge, que se réunirent chaque jour, matin et soir, les citoyens appelés à monter leur garde (2). La 5e compagnie de ce bataillon fut presque entièrement composée d'habitants de la rue du Cherche-Midi, et parmi les trente-huit noms qu'on y relève, on remarque beaucoup des locataires de la Communauté, comme le bonnetier Rigonot, le marchand de vin Billoret, le vitrier Maget, le bourrelier Hervieux, l'épicier Méat, et autres. Aussi ce fut dans l'église des Prémontrés qu'eut lieu, le 26 septembre 1789, la bénédiction des drapeaux, et, à cette occasion, dans l'église même, un discours patrio

(1) Arch. de la Seine. Insinuations.

(2) Deux billets de garde imprimés, du mois de septembre 1789 (coll. pers.) sont ainsi libellés : « Vous êtes averti de vous trouver le - aux Prémontrés, pour votre garde, etc... » et au bas : Aux Prémontrés, le — (signé) MILLOT, sergent-major. Le sous-prieur du couvent se nommait Millot. Serait-ce lui qui aurait fait fonctions de sergent-major?

ste Hqu• DU VI.

1910.

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