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l'Ordre de Prémontré (1), et de la maison qu'avait fondée près de Pesmes le solitaire Bernard. La mère de Guillaume de Pesmes sollicita et obtint la faveur d'y être converse (2); elle quitte son opulente demeure pour passer ses derniers jours dans une humble métairie voisine de cette maison désormais célèbre par la sainteté de son fondateur. Guillaume de Pesmes et son épouse couvrent ce dernier de leur protection, et, pour s'assurer dans l'avenir une part aux prières des religieux, font à diverses reprises des donations considérables à cette église naissante; ils lui donnent d'abord une terre allodiale à Montseugny, puis le meix qui avait servi de retraite à la mère de Guillaume de Pesmes, et enfin des droits forts étendus sur les prés, les champs, les bois du voisinage et sur le ruisseau de La Résie. Ulric de Longchamp et Gual de Villiers, l'un vassal, le second parent du sire de Pesmes, imitent dans sa générosité l'exemple de ce seigneur. Comme cela arrivait d'ordinaire pour les retraites érémitiques, de nombreux compagnons ne tardaient pas à s'adjoindre à ces pieux fondateurs, qui s'étaient proposé de mener la vie contemplative dans la solitude. Devenus malgré eux en quelque sorte chefs de communauté, pour éviter de plus grands dangers, ceux-ci jugeaient utile d'abriter sous une règle commune toute la colonie qui s'était groupée autour d'eux, et la plupart du temps ils ne trouvaient rien de mieux que de demander son affiliation à un ordre monastique. Pour assurer la durée de son œuvre, le solitaire Bernard,

(1) Il ne peut y avoir aucun doute à ce sujet d'après une charte de 1151, qui relate qu'un vassal du sire de Pesmes Suève de Battrans et son épouse ont pris l'habit religieux dans le monastère de Corneux. « Presentium atque futurorum memorie intimare idoneum duximus Suevum de Batterens et uxorem ejus divini timoris instinctu correptos seculo abrenuntiasse atque habitum religionis in monasterio sancte Marie Corneolensis suscepisse... » Bibl. de Besançon. Mss. Droz, Cartulaire de Corneux, fol. 58.

(2)« Tradidit etiam Guilermus de Pasmes in supradicto cotrono predicte ecclesie montis ciconensis mansum terre cum ejus apendiciis pro beneficio matris sue, quo ibidem conversa facta est. » Arch. du Doubs, B. 520.

qu'on appelait aussi Bernard de Cicon, n'agit pas différemment, et, vers 1122, il mit cette maison prospère sous la dépendance de l'église de Saint-Etienne de Dijon, qui appartenait à l'ordre des chanoines réguliers de saint Augustin; elle passa au XIIIe siècle à l'ordre hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem (1). C'est là l'origine lointaine de la commanderie et du village de Montseugny.

Près de Thervay est un val solitaire, dont le calme n'est troublé que par le murmure d'un ruisseau qui descend de la forêt de la Serre vers l'Oignon; là se retirent deux frères, Constantin et Robert, le premier prêtre. Ils avaient choisi cette retraite écartée pour y consacrer le reste de leurs jours à la pénitence et à la méditation. L'archevêque Anséric bénit leurs travaux; les chevaliers de Thervay, de Brans et d'Auxange les accueillent par des dons et des faveurs. Ce lieu désert se transforme, et, dès 1128, l'archevêque Anséric y consacre un oratoire, les chartes disent une basilique, en faveur de saint Jean l'évangéliste (2). Le souvenir de ces faits s'est conservé dans la tradition, et le val, aujourd'hui dépeuplé et désert, se nomme encore le Val-Saint-Jean.

Vers la même époque (1125-1127), les cloîtres de l'abbaye de Cherlieu s'élevaient non loin de Jussey, à proximité des domaines que la maison de Pesmes possédait dans la haute vallée de la Saône. Guillaume de Pesmes compte parmi ses

(1) Le dénombrement des revenus du comte de Bourgogne, donné en 1295 au roi Philippe le Bel par Othon IV, énumère en ces termes les biens de l'ordre hospitalier de Saint-Jean-de-Jérusalem: « Li hopitalx y ai chapelles la Ville Deu vers Vesoul, Montsuingney, la Ville Deu en Varet, Alte Oroille, Mellant, Levigney, lesquelles chapelles et lour appendises ont III mille livrées de terre. » Orig. Bibl. de Montbéliard.

(2) La charte de fondation du Val-Saint-Jean, d'une simplicité non exempte d'éloquence, débute en ces termes : « A [Anseric] Dei gratia bisuntine ecclesie archipresul universis gradibus catholice fidei notum sit christiane religioni, quod milites et domini Terviacenses (de Thervay), Poncius et fratres sui Guido et Guillermus, Gerardus, corumque mater domina Ermengardis et filii sui Teodericus, Nerduinus, Hugo, Roberthus, domina Berta et nati sui Ansedellus et ceteri fratres ejus minores, Narduinus Ansengensis (d'Auxange) et filius ejus Stephanus, Aimo de

premiers bienfaiteurs; vers 1127, de concert avec son épouse, il accorde aux religieux la permission d'élever dans la prévôté de Bougey tous les bâtiments qu'ils jugeront utiles à leur usage; il leur assure en outre la paisible possession de toutes les terres qu'ils y cultiveront avec des droits très étendus d'usage et de parcours. Mais bientôt des difficultés s'élèvent entre l'abbaye et le sire de Pesmes, et ce puissant seigneur, naguère encore son protecteur, lui enlève par la violence plusieurs domaines dont il contestait la possession. De tous côtés se développe l'œuvre de rénovation religieuse. Les monastères, trop étroits pour contenir la foule des religieux, fondent eux-mêmes des colonies, qui, partout, deviennent florissantes. Acey est fille de Cherlieu. Les religieux se groupent à Acey, autour d'une chapelle que leur avait offerte un prêtre du voisinage, et ils ne tardent pas à posséder tous les fiefs et arrière-fiefs que le comte Rainaud de Bourgogne et les seigneurs des environs avaient au territoire d'Acey; les donations se multiplient, la ferveur monastique règne dans les cloîtres, une église magnifique s'élève près de la chapelle primitive, et l'on peut dire d'Acey, au point de vue religieux et matériel, que sa première couronne est plutôt tressée de roses que d'épines.

Guillaume de Pesmes prend sous sa puissante protection ces fils de Cherlieu; il permet aux moines d'Acey d'acheter et de vendre sur le marché de Pesmes sans acquitter à son profit aucun des droits d'usage, et leur accorde en outre le droit de pâture dans toute sa terre.

Tels sont l'origine et le début de quelques-uns des établis

Pins et cognatus Petrus de Bi, Guido de Brenc (Brans), successi divine caritatis amore, Constantino presbitero et fratri ejus Roberto carnales affectiones et affinitates pro Deo deserentibus, insuper et vestigia Christi admonentes venite ad me qui laboratis et onerati estis, et ego vos requiescere faciam, imitari studentibus, locum istum ubi, domino operante, in sancti Johannis Baptiste et aliorum sanctorum honore, basilicam V. Kal. décembris [1128] consecravimus... » Orig. Arch. du Jura. Fonds d'Acey.

sements religieux dont le nom se retrouvera plusieurs fois sous notre plume dans l'histoire des siècles suivants.

Le rang élevé du sire de Pesmes dans la hiérarchie féodale le mêlait à tous les événements importants accomplis dans le comté de Bourgogne, et la garde de vastes seigneuries éloignées les unes des autres l'obligeait à se transporter fréquemment d'un bout à l'autre du pays. Ce seigneur est cité comme ayant assisté, en 1140, au combat judiciaire entre Louis de Jonvelle et Olivier de Jussey, duel célèbre dans l'histoire de la province sous le nom de combat entre Louis et Olivier (1). Ce combat judiciaire eut lieu en présence de nombreux ecclésiastiques et chevaliers, mais l'Eglise ne tarda pas à proscrire le retour de ces épreuves barbares.

Les dernières années de la vie de Guillaume de Pesmes sont marquées par des rapports de bonne harmonie et de charité pieuse envers les monastères. Il rentre en paix avec l'abbaye de Cherlieu, et, à deux reprises différentes, la dernière en 1150, devant tous les religieux réunis, il fait la promesse solennelle d'abandonner toute contestation et de vivre en paix avec le monastère; en outre, il reconnaît la validité de toutes les donations contenues dans le chartrier du couvent. A son tour, l'abbé Gui, oubliant ses propres griefs, abandonne au sire de Pesmes plusieurs des domaines contestés. Ponce et Gui, fils de Guillaume de Pesmes, s'associent aux promesses paternelles.

On ne retrouve plus d'acte émanant de ce seigneur après l'année 1151; à cette date, Guillaume de Pesmes donnait à l'abbaye de Corneux, de l'Ordre des Prémontrés, placée aux portes de Gray, tous ses droits sur un alleu situé à Battrans. Il mourut la même année 1151; mais, avant de mourir, ce seigneur avait pris une décision qui, au point de vue reli

(1) PÉRARD, Recueil de plusieurs pièces curieuses servant à l'histoire de Bourgogne, p. 229.

gieux, intéressait d'une manière directe la population du bourg de Pesmes. Jusqu'alors, Pesmes avait relevé au spirituel d'une très vieille église dédiée à saint Paul, connue dans toute la région, dont elle était le plus ancien sanctuaire, sous le nom d'église de Tombe, sans doute parce qu'elle était entourée d'un vaste cimetière; elle était située en dehors du bourg, sur la rive gauche de l'Oignon (1), à 500 mètres environ du château et à proximité de l'ancienne bourgade romaine, dont nous avons signalé la destruction. La desserte de ces églises rurales était parfois irrégulière ; aussi, désireux d'établir sur des bases plus larges et plus assurées la célébration des offices paroissiaux, le seigneur songea-t-il à attirer dans les murs de Pesmes une colonie de moines bénédictins de la célèbre abbaye de Saint-Germain. d'Auxerre. Ce monastère jouissait d'une grande réputation; c'était là que les ducs de Bourgogne avaient eu leur sépulture avant que leur capitale ait été transportée à Dijon. L'abbaye répondit à cet appel, et fonda à Pesmes, dans l'enceinte du castrum, un prieuré qui, outre les revenus de l'autel de Tombe, fut doté de la plus grande partie des dimes de Pesmes. Ce prieuré, qualifié de monastère dans une bulle d'Anastase III de 1153, fut mis encore en possession de l'église de Malans, à 3 kilomètres de Pesmes (2). Sous cette

(1) L'exemple d'églises rurales, dans la situation de celle de Tombe, est assez fréquent aux XIIe et XIIIe siècles : souvent, en effet, il arrivait que les églises, baties primitivement au centre des habitations, devenaient complètement isolées quand les habitants du voisinage s'étaient réfugiés sur les hauteurs voisines, à l'abri des murs des châteaux. Malgré leur isolement, ces édifices n'en restèrent pas moins des centres paroissiaux, et les populations les fréquentèrent jusqu'à la construction, parfois très tardive, de nouvelles églises plus favorablement placées. Citons comme exemples analogues l'église de Pont pour Vesoul, celle d'Arc pour Gray, celle de Fondremand pour le château de ce nom.

(2) « Anastasius III, épiscopus, servus servorum Dei, delectis filiis Arduino abbati monasterii sancti Germani... in parochia bisuntina monasterium de Pesmis, ecclesiam de Tumbeio, ecclesiam de Malam... anno M° Co LIII. » Bibl. d'Auxerre, Cartulaire de l'abbaye de Saint-Germain d'Auxerre, fol. 8 vo. L'église de Malans n'est pas mentionnée dans les titres postérieurs de l'abbaye de Saint-Germain, mais elle resta longtemps de la collation du prieur de Pesmes.

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