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basses, au dire de M. Suchaux (1); de là elle se rapprochait de la rive droite de la Saône et conduisait vers Langres ou vers Seveux (Segobodium). Placé au voisinage d'une ville importante, Pesmes exerçait déjà sur ses riches habitants l'attrait d'un site agréable, le charme d'une vue délicieuse, et ainsi s'explique aisément la rencontre d'une de ces somptueuses villas où les patriciens de la décadence apportaient tout le luxe de la civilisation romaine avec son cortège habituel de serviteurs et d'esclaves.

Quand les légions et les mercenaires à la solde de l'Empire furent devenus impuissants à contenir le flot sans cesse grossissant des Barbares, l'ère terrible des invasions sonna pour le vieux monde; les villes furent livrées aux flammes et au pillage, les campagnes furent dévastées et un grand nombre d'habitants périrent par le fer ou l'incendie. Il serait intéressant de connaître pour la région qui nous occupe la date de la première invasion qui y apporta le bouleversement et la ruine, et de savoir quand fut détruite cette grande ville placée au voisinage de Pesmes. Des monnaies romaines ont été autrefois trouvées en grand nombre entre Marpain et Dammartin, mais on a négligé de les consulter pour en déduire l'époque probable de la dévastation de cette région par les Barbares; elles sont allées enrichir, sans grand profit, des collections particulières et le médailler de l'ancien collège de Besançon. Faute de preuves concluantes, il est à supposer que ces ruines ne sont pas postérieures au milieu du IVe siècle et sans doute à l'année 355, qui marque dans notre province l'accumulation de tant de ruines et de malheurs.

Les invasions se répètent; pendant près de deux siècles (260 à 451), les Barbares succèdent aux Barbares. Rien ne

(1) L. SUCHAUX, Dictionnaire historique, topographique et statistique des communes de la Haute-Saône, t. II, p. 145.

de doute que ce fier château, élevé par un maître inconnu, fut bâti bien avant l'époque où nous le trouvons mentionné pour la première fois.

Le texte que Dunod et l'abbé Guillaume considèrent comme le plus reculé en date ayant relaté le nom de Pesmes est une inscription latine gravée sur la tombe d'un moine. bénédictin de l'abbaye de Saint-Martin-des-Champs, à Paris, et rapportée par dom Martin Mercier dans son histoire de cette abbaye. Voici cette inscription, qu'ils ont attribuée au XIe siècle :

GUIDO DE PESMIS JACET HIC, QUEM CHRISTUS SUPREMIS
AGMINIBUS SOCIET, MATRE JUVANTE MARIA ;
QUEM, CLARUM GENERE, COMITES GENUERE VIENNA.
HUNC DEUS ERIPERE MANIBUS DIGNARE GEHENNA ;
NAM MONACHUS FACTUS, LIQUIT PUER OMNIA PRO TE,
UT TIBI DEVOTE MONACHI SERVIAT AD ACTUS;
HUNC, DEUS, ERGO POLI VALVIS EXCLUDERE NOLI (1).

Si, comme tout l'indique, cette épitaphe se rapporte à un seigneur du comté de Bourgogne, elle ne s'applique qu'à un chevalier de la maison de Pesmes : elle établit que la famille qui dominait dans la seigneurie de Pesmes était un rameau détaché de cette célèbre maison de Vienne qui, au XIe siècle, exerça dans notre pays le pouvoir souverain. La vraisemblance de ce fait, confirmée par l'illustration de la maison de Pesmes, n'a été contestée par aucun historien. Le fait suivant ne peut qu'augmenter encore cette probabilité. Les archevêques de Besançon, dont la puissance atteignit son apogée sous le grand épiscopat de Hugues I (1031

(1) Sans vouloir infirmer d'une manière absolue l'attribution donnée à cet éloge mortuaire par les historiens précédents, il nous semble que cette inscription métrique est postérieure en date : le troisième mètre, en particulier, offre la trace de préoccupations absolument étrangères au XIe siècle. L'interprétation générale n'en reste pas moins vraisemblable.

1067), avaient peuplé leur palais de grands officiers, sur le modèle d'une cour princière. Les charges honorifiques de ces hauts dignitaires, passées à titre de fief, n'étaient délaissées qu'à de puissantes familles féodales : c'était une manière habile de se les attacher par des liens sûrs et durables, en payant cette sujétion par des droits prélevés sur des tiers. Ces grands officiers portaient le titre de chambrier, de dapifer ou maître d'hôtel, d'échanson, de pannetier, de maréchal, de forestier, de monétaire, de vicomte et de maire (1). Un ancien cartulaire de l'archevêché de Besancon énumère les tenanciers de ces fiefs; il rapporte que le seigneur de Pesmes et Jean, fils d'Etienne, ancien dapifer, sont hommes liges de l'archevêque pour la dapiferie. Cette charge, qui faisait du seigneur de Pesmes le vassal de l'archevêché de Besançon, était loin d'être sans profit, car le dapifer possédait la maison forte appelée la tour Saint-Quentin et la moitié de la pêcherie du Doubs, depuis l'écluse voisine de l'abbaye Saint-Paul jusqu'au pied du mont Chaudanne. Plus tard, nous constaterons encore que la maison de Pesmes avait une part dans la sénéchalerie, autre fief archiépiscopal. Des hommages et des reprises de fiefs marqueront dans la suite cette vassalité de la maison de Pesmes aux archevêques de Besançon ; cette dépendance durera aussi longtemps que la lignée. masculine des premiers sires de Pesmes, c'est-à-dire jusqu'aux premières années du XIVe siècle.

Ne nous arrêtons pas plus longtemps sur cette époque obscure, et hâtons-nous d'arriver au temps de la réforme cistercienne, qui marque, comme nous l'avons dit, le début d'une période où les documents deviennent plus précis et plus abondants.

(1) A. CASTAN, Origines de la commune de Besançon, dans les Mémoires de la Société d'émulation du Doubs, 1858, p. 246 à 250.

CHAPITRE II

Guillaume Ier, seigneur de Pesmes. Etat de la seigneurie de Pesmes au XIIe siècle. Clause d'un traité entre Anséric, archevêque de Besançon, et Rainaud, comte de Bourgogne, visant les prétentions de Guillaume de Pesmes, 1122. Réforme cistercienne. Fondation des maisons érémitiques de Montseugny et du Val-Saint-Jean, des abbayes de Cherlieu et d'Acey. Libéralités de Guillaume de Pesmes envers les monastères. Ce seigneur appelle à Pesmes les

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Bénédictins d'Auxerre. Fondation du prieuré.

Construction de

l'église paroissiale. - Enfants de Guillaume Jer. - Gui Ier, seigneur de Pesmes, 1151. Donations de ce seigneur aux monastères de Corneux et de Cherlieu. Le trouvère Hüe de Braye-Selves. Enfants de Gui Ier.

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La dépravation et les vices honteux auxquels étaient livrées, au XIe siècle, la société et l'Eglise elle-même attendaient un réformateur, lorsque Grégoire VII entreprit de les arrêter sur la pente terrible où elles s'étaient laissées descendre. Il purifie les mœurs et prépare le grand mouvement religieux des croisades, qui eut une si grande influence sur tous les peuples de l'Occident. Sous son impulsion vigoureuse, l'Eglise se relève de ses ruines, aidée, en France, du génie de saint Bernard, qui apporte l'éclat de sa sainteté et les lumières de son intelligence. La vie monastique n'existait plus; les fidèles se détournaient des maisons religieuses, foyers de relâchement et de tiédeur. La réforme de la règle bénédictine, opérée par saint Bernard, répond à un impérieux besoin. Aux accents de cette voix éloquente, une foule de chrétiens de tout rang et de tout âge, ennemis de l'oppression et du désordre social, viennent peupler les monastères et font revivre les grandeurs de la vie monas

tique. En cinquante ans, à partir du commencement du XII siècle, le seul Ordre de Citeaux fonde près de mille établissements, dont douze dans le seul comté de Bourgogne. Les seigneurs voient avec complaisance se fixer sur leurs terres ces florissantes colonies qui donnent à leurs serfs l'exemple des défrichements, le spectacle d'un travail assidu et méthodique. Les congrégations religieuses, qui au prestige religieux unissent celui de la science et des arts, inspirent aux seigneurs un invincible respect. Ces farouches chevaliers s'en font les premiers protecteurs, et, en échange des droits concédés, ils obtiennent la promesse de prières après leur mort et le droit d'inhumation dans les cimetières ou les églises des abbayes. Bien plus, et à leur insu, ils en obtiennent encore un autre avantage, celui d'avoir leurs noms sauvés de l'oubli par l'inscription des droits concédés dans les cartulaires des abbayes. Ce sont ces cartulaires qui vont à peu près exclusivement nous fournir les matériaux de ce récit pour la période des XIIe et XIIIe siècles.

Le premier seigneur de Pesmes sur la vie duquel nous ayons quelque lumière se nommait Guillaume. Il vivait au commencement du XIIe siècle, et c'est à lui que nous fixerons la tige de la maison de Pesmes, puisque tous ses prédécesseurs nous sont inconnus. Rival des plus illustres chevaliers et du comte de Bourgogne lui-même, qui n'avait sur ses hauts barons qu'une autorité nominale, du reste mal définie, il était le seigneur le plus superbe du comté d'Amaous. Ses terres et ses domaines étaient immenses : placés à l'extrême frontière du comté, vers la Champagne et le duché de Bourgogne, ils confinaient aux seigneuries de Montmirey, d'Apremont, de Choye, de Marnay et d'Etrabonne ; ils représentaient sans doute l'une des anciennes marches créées lors du partage de la Séquanie par les Burgondes. Du sommet du donjon de Pesmes, le regard ne contemplait aux alentours que les domaines du seigneur ou des terres vassales.

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