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PESMES

ET SES SEIGNEURS

DU XII AU XVIII SIÈCLE

CHAPITRE Ier

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Les origines de Pesmes. Amagétobrie et Dittatium. Vestiges, à Pesmes, d'une villa gallo-romaine et d'un aqueduc. Invasion des Barbares et des Sarrasins. Construction du château de Pesmes. - Tombe de Gui de Pesmes dans l'abbaye de Saint-Martin-desChamps. Vassalité des seigneurs de Pesmes aux archevêques de Besançon.

La plupart de nos cités ne peuvent offrir de documents complets ou précis sur leur origine; ce n'est qu'à partir d'une époque relativement récente qu'on rencontre les matériaux capables de constituer leur histoire. Un petit nombre de lieux sont cités par les auteurs du Bas-Empire; les Bollandistes en ont mentionné quelques autres quand, au siècle dernier, ils ont décrit la vie des saints et recueilli les légendes qui embellissent le souvenir des premiers apôtres des Gaules; mais le plus grand nombre de nos bourgs n'a pas en l'avantage d'une citation, et la vie propre de la plupart d'entre eux ne commence à se dessiner qu'à partir de la réforme de saint Bernard et à la suite du grand mouvement religieux du XII° siècle.

Pesmes (1), qui, dans ses périodes de pleine prospérité, ne compta que comme l'une des moindres villes de la province, ne fait point exception à cette règle, et aucune tradition comme aucune légende ne vient jeter quelque lumière sur les circonstances lointaines et l'époque probable de sa fondation. Quelques habitations éparses, quelques cabanes peu nombreuses, réunies ou isolées, ne sont-elles pas l'origine du premier groupement qui a présidé à la formation de nos villages et de nos villes? Aussi est-il impossible de dire si le territoire de Pesmes était habité lorsque les premiers habitants de la Séquanie, non encore asservis aux Romains, avaient sensiblement les mœurs des tribus germaines décrites par Tacite. Il est toutefois à présumer que les défrichements successifs qui ont amené à la culture ce vaste territoire sont l'œuvre des siècles et ont été commencés à une époque très reculée. On a cru retrouver dans les bois rapprochés de Pesmes des vestiges de cabanes gauloises et d'habitations celtiques, mais on ne peut rien tirer d'indices aussi équivoques. Le voisinage de la célèbre Amagétobrie, s'il était prouvé que cette ville ait existé à Broye-lesPesmes (2), autoriserait peut-être quelque conjecture, mais cette assimilation n'est qu'une pure hypothèse, et eût-on admis qu'à cette époque le territoire de Pesmes était habité qu'on n'en pourrait tirer aucune conclusion sur le nombre de ses habitants et l'emplacement exact de leurs demeures. La conquête des Gaules par les Romains est connue dans

(1) Les étymologistes ont prétendu que le nom de Pesmes vient de la juxtaposition de deux racines celtiques : Pech ou Pes, qui veut dire élevé, et maen, qui veut dire roc. Les explications de ce genre sont moins utiles qu'ingénieuses. Il faut chercher le nom de Pesmes dans les chartes du moyen âge sous la forme de Pesmo, Pesmes, Pasma, Pasmes, Pames et exceptionnellement Palma, Palmes, mais jamais sous celle de Palma, qui, au singulier, veut dire Baume.

(2) Les historiens comtois du siècle dernier plaçaient Amagétobrie à Broye-lesPesmes; le docteur Perron, qui, le dernier, s'est occupé de cette question, croit reconnaître en ce lieu le castrum Ebrodunense, que mentionnent P. Sirmond et J. Scaliger comme l'une des principales villes de la Séquanie.

ses grandes lignes; César lui-même a pris soin de décrire la résistance des vaincus, de dresser le tableau des marches et des combats; mais que d'obscurités restent encore après le récit laconique de l'historien ! Après des années de recherches et d'étude, qui pourrait montrer l'emplacement d'Alaise, où s'accomplit l'un des principaux événements de la guerre des Gaules? Aussi ne nous étonnons pas qu'aucun texte ne nous fasse connaître le rôle spécial de la région qui nous intéresse, soit pendant la conquête, soit pendant l'occupation romaine. Cependant les citations des auteurs contemporains ne sont pas les seules sources que l'histoire consulte, et les vestiges des monuments, élevés par les Romains et ruinés par les Barbares, se présentent encore comme les témoins vivants d'une époque disparue. Des ruines récemment découvertes permettent d'affirmer que sous la domination romaine l'emplacement actuel de Pesmes était habité.

Il y a une trentaine d'années, on a retrouvé dans les anciens fossés de la ville, au-devant de l'église paroissiale, des tuyaux en plomb soudés ensemble, orientés du nord-est au sud-ouest, et formant une canalisation destinée à distribuer l'eau en ce lieu et aux environs. En cet endroit même, une prise d'eau se trouvait établie au voisinage de deux pièces de dimensions inconnues, dont on a reconnu seulement la juxtaposition. Le pavé en était formé de briques à grandes dimensions ornées de rayures diagonales, et des débris de plâtre durci trouvés en cette même place semblaient indiquer que les murs étaient recouverts d'un enduit verdâtre avec incrustation de coquillages disposés de manière à rappeler l'image de fleurs; ils n'est pas douteux que des bains n'aient existé en ce lieu même, ou à proximité. Quinze ans plus tard, le hasard fit découvrir, à environ un kilomètre au nord-est, au lieu dit La Barre, une suite de tuyaux en terre emboîtés les uns dans les autres, dont la direction générale semblait aboutir d'une part aux fouilles précédentes, et d'autre part à la forêt

du Gros-Bois, où existent des sources et des étangs. L'importance de cet aqueduc, de trois kilomètres de longueur, répondait au luxe d'une villa analogue à celle que découvrit à Jallerange, en 1768, le professeur Seguin, et convenait bien à la demeure d'un de ces riches patriciens que Rome chargeait de l'administration des provinces ou de la conduite des légions.

Pendant la paix, ces légions étaient cantonnées dans des emplacements choisis comme les plus favorables à la pacifiçation et à la colonisation des pays conquis. Au siècle dernier, on voyait encore près de Dammartin les vestiges d'un camp important (1); on relevait facilement les traces des fossés qui en marquaient le périmètre; on remarquait l'emplacement des quatre portes qui distinguaient les anciens camps établis par les Romains. Ces troupes auraient été utilement établies non loin du confluent de la Saône et de l'oignon et près de la grande cité qui couvrait à cette époque une partie des territoires de Marpain et de Dammartin. Quelques-uns ont cru reconnaître dans cette ville romaine le Dittatium (2) de la carte de Ptolémée : mais son nom restera longtemps encore et peut-être toujours le secret du passé. Deux voies romaines s'y croisaient presque à angle droit. L'une, celle de Besançon à Langres (Andematunum), passait par Ruffey et Jallerange, en suivant la rive gauche de l'Oignon. L'autre, partant de Tavaux, après avoir traverse Dammartin, se dirigeait sur Marpain et franchissait l'Oignon sur un pont dont les restes sont encore visibles par les eaux

(1) Mémoires et documents inédits pour servir à l'histoire de la FrancheComté, t. 1, p. 35 à 38. Dissertation sur les antiquités romaines trouvées en Franche-Comté, par le P. PRUDENT.

(2) Le dernier érudit qui a recherché l'emplacement de Dittatium est Carl Müller. Il estime que le manuscrit original de Ptolémée portait: AI§AUIOV (Lixavium); il en conclut que ce pourrait être Luxeuil, qui était déjà une station considérable à l'époque romaine. A. CASTAN, La cité des Séquanes dans le Congrès archéologique de France, LVIII, session de 1891, p. 135 à 136.

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