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CHAPITRE V

Guillaume V, seigneur de Pesmes.

Apogée de la société féodale.

Méfaits de Poinçard de Duesme, frère utérin de Guillaume IV. — Vassaux de la terre de Pesmes. four à l'Abergement, 1262.

Donation à l'abbaye d'Acey d'un Guillaume V certifie que Luxeuil fait

partie du comté de Bourgogne, 1258. Hommage de ce seigneur : à Jean de Chalon, pour Fontenelle et Autoreille, 1259; aux comtes Hugues et Alix, pour le château de Montrambert, 1260; à Robert, duc de Bourgogne, pour divers fiefs, 1262. Tombe de Dameron, son épouse, et de Guillaume VI à l'abbaye d'Acey. Enfants de Guillaume V.

Le milieu du XIIIe siècle marque pour le système féodal une époque de prospérité qui ne fut dépassée ni dans les siècles précédents, ni dans les siècles suivants. Cette prospérité, basée sur l'ensemble des mœurs et des coutumes, régna avec des caractères analogues chez tous les peuples de l'Occident. Nous ne pouvons en donner un tableau plus exact qu'en rapportant celui qui a été tracé pour la France par l'éminent économiste Le Play, dans son livre intitulé l'Organisation du travail. (1)

« Cette grande époque de bonnes mœurs, de paix intérieure et de prospérité eut pour apogée le règne de saint Louis. (1226-1270). La France offrit alors les germes fort développés des meilleures institutions que les sociétes humaines aient créées jusqu'à ce jour. Les familles étaient organisées dans la majeure partie de la France selon les meilleurs types, et elles jouissaient, dans la hiérarchie féodale, d'une indépendance que les familles de notre temps seraient heureuses de

(1) P. 77 à 85.

posséder devant les offices ministériels, le fisc et la bureaucratie. Les moindres communes avaient alors une autonomie vers laquelle nos grandes cités n'oseraient élever aujourd'hui leur pensée, dans leurs plus vives revendications. Les ouvriers ruraux, exempts de toute redevance personnelle, étaient liés à leurs patrons par des rapports permanents qui obligeaient également les deux parties et par les autres pratiques essentielles à la coutume des ateliers. (1) Dans le moindre fief, dans la baronnie qui offrait l'unité complète du gouvernement local comme dans les circonscriptions plus étendues qui s'échelonnaient entre la baronnie et l'Etat, régnait toute l'indépendance compatible avec la conservation de l'ordre social. Quant au souverain placé au sommet de cette puissante hiérarchie, il se croyait lié envers ses sujets par des obligations fort impérieuses; il défendait le pays contre les agressions du dehors; il conservait à l'intérieur la paix publique et il jugeait en appel certaines décisions. rendues par les juridictions inférieures. Il conservait d'ailleurs avec ses gentilshommes la tradition de l'égalité originelle des Francs. Selon cette même tradition, il les associait au gouvernement de l'Etat : ainsi, il rédigeait avec le concours des barons, dans des assemblées annuelles, les lois les plus importantes, celles qui tendaient à assurer la pratique du décalogue. Enfin il donnait personnellement aux classes dirigeantes l'exemple de cette pratique.

«En résumé la société féodale, éclairée par l'émulation des moines et des séculiers, stimulée par la rivalité des musulmans et des chrétiens de l'Occident, enrichie par l'agriculture et les métiers des communes urbaines, fortifiée enfin au physique comme au moral par la suprématie des résidences rurales, créa une constitution plus solide et plus libre que toutes celles du passé. »

(1) Cf. Ibidem, parag. 20 à 25.

De cette longue citation retenons la conclusion; nous pouvons l'appliquer au comté de Bourgogne. Quant aux croisades, il faut reconnaître que, si elles eurent, au point de vue des arts, du commerce et de l'industrie, un résultat favorable, l'impulsion donnée aux idées par cet immense. déplacement d'hommes fut contre-balancée par la corruption introduite en Orient parmi les croisés et par l'oppression qui pesa parfois sur les populations en l'absence des seigneurs, leurs protecteurs naturels. En un siècle, les idées d'indépendance progressèrent d'une manière étonnante, et l'on est tout surpris de trouver chez un moine du XIIIe siècle des pensées qu'on aurait prêtées plus naturellement à un disciple ou à un contemporain de Rabelais. (1)

Othon de Méranie, dont un fer homicide avait abrégé les jours, était mort le 19 juin 1248, sans héritiers directs. Le 23 mai précédent, il avait institué sa sœur cadette Alix, mariée à Hugues de Chalon, héritière du comté de Bourgogne, et avait distribué à ses cinq autres sœurs, qui ne connaissaient pas la langue bourguignonne, (2) ses possessions

(1) Il est question ici du frère Salimbene, religieux italien, qui, après avoir voyagé en France, s'était fixé momentanément dans le couvent des Frères Mineurs d'Auxerre, en 1248. Il a laissé sur les événements contemporains une chronique restée inédite pendant six siècles. Elle a été éditée en 1847 par un savant étranger, sous le titre de Chronica Fr. Salimbene Parmensis ordine Minorum, ex codice bibliothecæ Vaticano, nunc primum edita. Le frère Salimbene était un érudit, puisqu'il composa plusieurs chroniques ; il était parfaitement apte à juger ce qui se passait autour de lui. Il énumère avec plaisir plusieurs repas auxquels il assista, et il rappelle celui qu'il fit chez Yolande de Chatillon, lors de ses tournées dans l'évêché d'Auxerre. Il parle longuement des vins de l'Auxerrois, et blame les prélats de se délecter parfois de vins délicieux en présence de pauvres moines qui n'en ont jamais que de qualité inférieure. Ces derniers auraient tout autant de plaisir à les savourer « cum omnes gule sint sorores. » Ce chroniqueur est surtout intéressant lorsqu'il rapporte les incidents du passage de saint Louis à travers la Bourgogne, quand le prince gagnait Aigues-Mortes pour s'embarquer pour la croisade. Cf. Ernest PETIT, Histoire des ducs de Bourgogne de la race capétienne, t. IV, p. 137 à 148.

(2) « Que linguam Burgundionem ignorant » Orig. Arch. nat. J. 250, Mâcon. Cette pièce importante n'a pas été connue du savant président Clerc.

allemandes. Une dynastie nouvelle allait prendre pied dans le comté de Bourgogne. Les barons et les villes, las de la domination allemande et de la tutelle des Champenois ou des Bourguignons, accueillirent avec faveur l'avènement de cette maison puissante, issue d'une race nationale. A dater de cette époque, les matériaux de l'histoire locale et générale commencent à se multiplier. A l'exemple des monastères, les comtes Hugues et Alix font consigner dans des chartes rédigées en style clair et précis les hommages de leurs vassaux, les reprises de fief et les dénombrements, et enregistrer dans des cartulaires les droits essentiels des comtes de Bourgogne. Ils gardent avec un soin jaloux ces documents nouveaux destinés à rappeler à leurs devoirs les hauts barons et les chevaliers oublieux de leurs engagements, et à réprimer les écarts de leur indépendance. C'était la préface et le gage de toutes les réformes futures en matière d'administration et de justice. La seigneurie de Pesmes changeait alors de maître Guillaume V était le nouveau seigneur. Certains historiens affirment que déjà, auparavant, il avait visité les saints lieux (1) cette assertion paraît douteuse, car ce seigneur était bien jeune quand l'empereur d'Allemagne Frédéric II partit, en 1228, pour la Palestine, et il ne suivit point les croisés que saint Louis conduisit en Egypte en 1248. Le sceau de Guillaume V, de grande dimension, représente ce seigneur à cheval, armé de toutes pièces; l'élégance du cheval rappelle évidemment les races distinguées de l'Orient. Les armoiries des sires de Pesmes, une bande accostée de croisettes, sont reproduites sur le haume, l'écu et la cotte d'armes du chevalier, ainsi que sur le caparaçon du cheval.

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Nous avons vu que, depuis la guerre de Méranie, les

(1) Dunod affirme qu'un seigneur de ce nom, qui succéda à Aimon, se croisa en 1240; mais comme cet historien confond dans le même personnage Guillaume IV et Guillaume V, on ne sait auquel de ces deux seigneurs se rapporte cette attribution.

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Sceau de Guillaume, seigneur de Pesmes. 1265, novembre.

Arch. du Doubs, Chambre des comptes. B 400.

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