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recoururent aux conseillers Buson (1) et Lampinet (2); quatre cents des leurs avaient déjà succombé quand leur lettre partit pour Besançon, et les corps de ces infortunés demeuraient sans sépulture dans la cour du château.

Cette pièce a été connue des historiens de la terre de Jonvelle (3), mais ils n'y ont fait allusion qu'en passant; les détails qu'elle renferme sont, par conséquent, inédits.

A la cour

Remonstrent en toute humilité les pauvres habitans de Vezet, de Greucourt, Pont de Planches et autres circonvoisins que s'estantz iceulx au commencement de ces misérables guerres retirez au chasteau de Vezet avec leurs femmes et enffans, en nombre d'environ cinq centz testes, avec tout ce de leurs biens et vivres nécessaires qu'ilz y peurent pourter, le sieur général Lamboy (4) et quelques unes de ses trouppes passèrent par led. lieu de Vezet et, après avoir forcé lesd. pauvres remonstrantz retirez aud. chasteau de luy mettre en main la somme de mille francs soubz promesse de sortir le mesme jour de leur village, ne laissèrent de piller et saccager tout iceluy, avec toutes sortes d'indignités qui peuvent estre imaginées sur toutes sortes de gentz qui se peurent encor retreuver, et d'emmener tous les bestiaux dud. lieu, sans y laisser rien, sinon ce qu'ilz ne peurent emporter, mesme de faire tracquer les bois où estoient retirés les pestiférez et quelques autres pauvres gens avec leurs biens et bestes de service.

Après quoy aussy tost retourna loger aux mesmes villages de Vezet et Greucourt le sr coronel Milhain (5) et le baron de Mislifz son lieutenant avec leur régiment, et au Pont de Planches partie du

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(1) Claude Antoine Buson, de Besançon, conseiller au parlement de Dole (20 mars 1630 8 septembre 1638).

(2) Jean Lampinet, de Dole, conseiller au parlement de Dole (28 décembre 1630 · 22 juillet 1640).

(3) COUDRIET et CHATELET, Histoire de la seigneurie de Jonvelle, p. 274. (4) Guillaume, baron de Lamboy, seigneur de Dessener, Wintershofen, Cordeshem, etc., sergent de bataille des armées impériales.

(5) Georges Frédéric de Mulheim, commandant pour l'empereur en la Basse Alsace, avait, l'année précédente, courageusement défendu la ville de Saverne contre le cardinal de La Valette et le duc de Weimar.

nouveau régiment du sieur colonel Picolomeni (1), y ayant séjourné pendant le temps d'environ six sepmaines et exercé tant d'actes d'hostillités que non seulement ilz ont battus, tourmentés et vyolés toutes sortes de gens de ces misérables villages qu'ilz y ont peu attrapper, pillé, vollé et saccagé tout ce qu'ilz y ont peu rencontrer, rompu et desmoly les maisons d'iceulx et bruslé en partie, mais encor ilz ont incessamment tenu assiégé led. chasteau, contrainct ceulx de dedans leur fornir de vivres, nonobstant la grande nécessité qu'ilz en avoient desjà pour eulx-mesmes, empesché la sortie d'iceulx dud. chasteau, saufz à quelques-uns, pour eulx-mesmes s'en servir pour leurs interrestz particuliers, et quelquesfois à quelques pauvres valletz pour aller à l'eaue ou tirer les corps mortz dud. chasteau, prenantz prisonniers, bastans, tourmentans et assommantz tous ceulx qui autrement pensoient eschapper d'icelluy, et ce jusque à ce que la peste s'estant mise dans ledit chasteau, ilz ont estés forcés de composer avec lesd. sieurs colonelz, sçavoir lesd. de Vezet et Greucourt à la somme de deux mille francs, et lesd. du Pont à quatre centz francs, lesquelz ne pouvantz fournir d'eulx-mesmes ilz ont estés contrainctz d'envoyer quelques députez d'iceulx pour aller emprunter lesd. sommes à Besançon et allieurs avec très grandz frais pour l'entretient des capitaines et suitte d'iceulx qui leur furent donnés pour conduytte, et par le moyen de quoy enfin lesd. régiments furent retirés desd. lieux.

Mais, comme lesd. pauvres remonstrantz pensoient rentrer en quelque liberté et desjà reprendre un peu d'air, aussy tost et sur le commencement du mois de janvier de la présente année rentra dans le mesme village de Vezet le sieur colonel Nicolas avec grand nombre d'autres soldatz plus meschantz que tous les précédentz, led. nombre composé de gens de toutes nations. Lesquelz d'abbord se portèrent à à forcer led. château, et à l'effect de ce commencèrent à destourner l'eaue des fosselz, remplir lesd. fosselz, dresser leurs eschelles contre les murailles, amasser quantité de fagotz contre le pont levys pour y mettre le feug et par effect tuer et blesser plusieurs desd. habitans

(1) Le régiment de cuirassiers de Piccolomini était un de ceux qui avaient perdu le plus de monde dans la désastreuse expédition de Gallas en Bourgogne. Cf. Gazette de France, extraordinaire du 19 février 1637 La liste des trouppes de Galas, qui ont repassé le Rhin depuis le 16 jusqu'au 24 du mois de Janvier dernier.

qui se présentèrent à la deffence. Et estant par ce moyen arrivé que l'un desd. soldats se treuva blessé et depuis mourut, d'où tous les autres ont prins le prétexte de les tourmenter encor plus vyolemment et par les voyes les plus diabolicques qu'on se puisse représenter, nonobstant la nourriture que leur fournissent journellement lesd. pauvres assiégés de ce dont eulx-mesmes se privent en leur plus grande nécessité, prohibeantz iceulx tirer leurs corps mortz hors dud. chasteau et à qui que ce soit de sortir hors d'icelluy pour aller à l'eaue ou au bois, de sorte qu'estant desjà mortz plus de quatre centz personnes en iceluy, tant de peste que de faim ou par le moyen des autres misères qu'ilz y ont endurées, les corps pourrys d'iceux demeurent estendus dans la cour dud. chasteau qui est fort petite, ou pour le moings dans un creux au milieu et qui contient la plus grande partie d'icelle, lesd. pauvres gentz n'ont autre eaue pour leur boisson et pour la cuytte de leur pain que celle d'un puytz unicque audit chasteau, qui précédemment desjà ne valloit rien et par l'infection de tant de corps morts est rendue tellement pourrie et puante qu'elle ne peut estre plus empoisonnée, et n'ont plus autres choses pour leur chauffage et cuytte de leurs vivres que le bois des planchers et couvertures dud. chasteau ou la paille sur laquelle ilz ont estés contrainctz de se coucher jusques à présent.

La barbarie desd. soldatz s'estant mesme estendue si avant que, s'estant prins garde que lesd. pauvres remonstrantz pendant la nuict tiroient quelques fois à eulx un peu d'eaue desd. fosselz par le moyen de quelques chauderons attachés à des courdages, n'ayantz iceulx eu moyen de vuyder entièrement lesd. fosselz de toute l'eaue y estant, ilz ont faictz studieusement ramasser et jecter dans l'eaue desd. fosselz les charongnes des bestes qui ne se treuvent que trop abondamment ès lieux circonvoisins, pour infecter de mesme l'eaue desd. fosselz et par ce moyen les forcer sans aucun moyen de reffus leur fournir encor des sommes de deniers plus grandes.

Comme aussy ilz ont estés contraincts de faire, ayant desjà cy devant accordé à iceulx, outre les vivres que dessus, la somme de cinq mille frans qu'ilz ont treuvé moyen de prendre à frais en la ville de Gray, et moyennant laquelle à la part dud. sieur Nicolas leur avoit esté promis qu'il leur rendroit leur liberté et ne les forceroit à davantage.

Mais au contraire est arrivé que lad. somme ayant esté apporté aud.

Vezet, ilz voulurent encore icelle leur estre délivrée et mise en main par ceulx dud. chasteau qu'eux-mesmes estoient informés et jugeoient debvoir estre les plus riches, lesquelz ilz demandèrent nom par nom et lesquelz en nombre de sept, soubz asseurance qu'ilz donnèrent de ne leur faire aucun mal, s'estantz présentés à eulx avec lad. somme, ilz ne laissèrent de les faire tous prisonniers après avoir receu d'iceulx lesd. cinq mille frans, ayantz depuis assommé l'un d'iceulx, un autre estant mort en prison, et tous les autres estantz encor par eulx détenus les fers aux pieds au lieu de Fondrement, un seul ayant heu le moyen de se sauver et rentrer dans led. chasteau pour y apporter quelques assistances à sa femme et à ses enffanz; ne laissantz lesd. soldatz de tenir tousjours de tant plus estroictement led. chasteau assiégé et de menacer lesd. prisonniers de les faire pendre, comme il y a apparence qu'ilz feront, si la somme de quinze mille frans, laquelle de nouveau ilz demandent, ne leur est promptement délivrée. Qu'est chose à laquelle il leur est absolument impossible de satisfaire, nonobstant qu'ilz ne refusent rien de faire, pourveu qu'ilz puissent sortir de tant de misères, ayantz iceulx à cest effect passé procuration pour prendre lad. somme à frais, mais ne treuvantz personne qui veuille les en accommoder. Par où se treuvent tous lesd. pauvres remonstrantz réduictz à ce dernier poinct de périr absolument dans ces insupportables misères et sans aucuns moyens d'en eschapper, si ce n'est qu'il plaise à Dieu les regarder de son œil de pitié et à la cour avec le pouvoir et aucthorité qu'elle possède à présent les pourveoir de quelques remèdes suffisantz.

Pour quoy ilz sont contrainctz recourir à icelle et par l'entremise de quelques femmes qui les attouchent, retirées présentement à Besançon, jusques à ce que par quelques-uns de ceulx qui sont aud. chasteau ou sont encor prisonniers aud. lieu de Fondremant, et que lad. cour aud. effect fera mettre en liberté s'il luy plaist, elle puisse estre plus particulièrement informée de tout ce que dessus, la supplier, comme ilz font en toute l'humilité et dévotion à eulx possible, avoir pitié d'iceulx et les pourveoir des remèdes telz qu'elle-mesme jugera les plus nécessaires à leurs misères présentes, et ilz seront de tant plus obligez à prier Dieu (pour) l'heureuse prospérité d'icelle.

(Correspondance du parlement.

102e de l'ancien classement.

-

Copie.)

Arch. du Doubs, B 212. Liasse 27o, pièce

Quand ce cri de détresse parvint à Buson et à Lampinet, ceux-ci étaient aux prises avec le règlement des quartiers d'hiver des troupes laissées dans la province par Gallas (1). Sans perdre une minute, ils vinrent au secours des malheureux habitants de Vezet, de Greucourt et de Pont-dePlanches. Le baron d'Enkenvort (2) était sur le point de passer à Ratisbonne; ils lui remirent une lettre pour le comte d'Onate (3), ambassadeur du roi d'Espagne auprès de l'empereur Ferdinand II. Ils écrivirent en même temps au sergent de bataille Mercy (4), le priant de faire immédiatement relâcher les paysans retenus en prison à Fondremand et d'ordonner au colonel Nicolas de leur restituer les 5,000 fr. qu'il leur avait extorqués. Ils dépeignirent ce colonel comme un «< homme rude, cruel et insolent (5), » qui prétendait n'obéir à personne « Il luy est eschappé de dire tout hault qu'il ne cognoissoit ny le roi nostre maistre, ny le sergent de bataille des armées impériales, ny mons' le comte Gallasse, ny qui que ce fût, que l'empereur, qui luy avoit

(1) Sur la mission donnée par le parlement à ces deux conseillers, cf. La cour à Buson et Lampinet, Dole, 20, 24, 27, 28, 29 et 31 janvier 1637, 2, 3, 15, 17, 18, 19, 20, 22 et 24 février 1637, 2, 4.et 9 mars 1637; Buson et Lampinet à la cour, Besançon, 22, 23, 29 et 31 janvier 1637, 8, 15, 16, 20 et 27 février 1637, 5, 6 et 10 mars 1637; Buson et Lampinet au cardinal infant, Besançon, 3 février 1637; Buson et Lampinet au président Roose, Besançon, 3 février 1637; Buson et Lampinet au comte d'Onate, Besançon, 3, 8, 11 et 27 février 1637; Buson et Lampinet au marquis de Castaneda, Besançon, 3 février 1637; Buson et Lampinet au baron de Mercy, Besançon, 11 février 1637. - Corr. du parlement, Arch. du Doubs, B 210 à 214.

(2) Adrien, baron d'Enkenvort, sergent de bataille des armées impériales, puis feld-maréchal au service de l'électeur de Bavière.

(3) Don Inigo Velez de Guevara y Tatis, cinquième comte d'Onate, membre du conseil d'État, devint, en 1638, président du conseil des Ordres après s'être acquitté avec succès d'ambassades en Savoie, en Allemagne et à Rome. Il mourut à Madrid, le 31 octobre 1644.

(4) François, baron de Mercy, sergent de bataille des armées impériales, fut plus tard le redoutable adversaire de Turenne et de Condé, et périt glorieusement à la journée d'Allerheim (3 août 1645).

(5) Buson et Lampinet au baron de Mercy, Besançon, 11 février 1637. du parlement, Arch. du Doubs, B 212.

Corr.

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