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avez trop d'élévation dans l'ame pour avoir recours à cela. Dites tout franchement je sens, ou plutôt je vois que vous faites de votre mieux depuis dix ans pour que je vous aime; mais je vous déclare qu'il n'en sera rien. Voilà parler, cela. Au lieu de cela, vous me payez mes gages en air de méfiance. Il est vrai (comme le dit le Faux sincère) que c'est toujours quelque chose que cela; mais il vaut mieux me laisser vous servir sur mes crochets. Je ne m'occupe que des choses dont je me soucie, et je ne suis point comme madame du Maine. Il est certain que je vous regrette beaucoup, et tout aussi certain, comme vous devez l'avoir remarqué si vous avez lu mes lettres, que je n'en ai pas mis plus grand pot-au-feu pour mes autres amis depuis votre départ. Je ferais mieux de ne vous rien dire de tout cela; mais, en vérité, si vous lisiez vos lettres à Paris, je crois qu'elles vous impatienteraient un peu. Pour madame la Roche, je n'aurais point de complaisance sur cet article. Souvenez-vous de l'état où vous étiez quand elle vous mit le marché à la main. On ne découvre la valeur des choses que quand on s'est exposé à les perdre par sa faute, et vous ne vous consoleriez pas de l'avoir renvoyée ou de l'avoir amenée à vous demander son congé.

Vous aurez vu dans ma dernière lettre la réponse de Silva à vos questions: je lui en parlerai encore.

Par rapport à votre laideur, je m'en console, pourvu que vous ne perdiez rien de votre douceur et de vos sentimens pour moi. Je ris de cet article. Voilà une belle consolation que je vous donne, de dire que cela ne me fait rien ! Mais, à dire vrai, c'est que je suis bien persuadé, au contraire, que vous serez beaucoup mieux après l'effet des eaux; car, si je ne le croyais pas, je n'aurais pas répondu à cet article, comme n'étant point de mon district.

Adieu; voilà votre lettre finie et la mienne aussi. J'ai mes accès de vérité tout comme un autre, et je n'ai pas le courage de vous faire des amitiés qui seraient pour vous comme votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Les troupes du roi de Pologne se joignent à nous; mais je crois que ce n'est que pour avoir de meilleures conditions. D'ailleurs, il n'y a rien de nouveau, et on ignore où en est la négociation. Le traité du roi de Prusse est public: nous n'y sommes seulement pas nommés.

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LETTRE XVIII.

Mme LA MARQUISE DU DEFFAND A M. LE PRÉSIDENT

HENAULT.

15 juillet.

SAVEZ-VOUS que je commence à craindre que mes lettres ne vous ennuient? Je ne sais -d'où vient; mais je sens que je deviens méfiantejo crois que c'est une suite de l'ennui.

Cependant je crois que j'ai tort, et j'avoue que vos lettres sont de façon à devoir me rassurer; j'en suis on ne peut pas plus contente, et je sens qu'elles seules me soutiennent ici. Je ne sais ce que vous direz de celle que je vous écrivis hier; je n'étais point de mauvaise humeur, ni fàchée contre vous, mais j'étais dans un moment de franchise où il faut que je disé ce que je pense ce qui est de certain, c'est que je vous -aime et que mes sentimens sont indépendans .de tout; tout ce que ma raison peut faire, c'est de m'empêcher de succomber aux chagrins que peut me causer ma méfiance, mais elle ne peut rien diminuer à ma tendresse. Je n'ai point

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été à la fontaine ce matin, comme je vous l'ai mandé; j'y ai été cinq jours de suite; il y faisait un temps affreux; je m'y fatiguais, je m'y ennuyais, et je crois que la fatigue m'est mortelle: tant qu'il fera vilain, je prendrai les eaux dans mon lit ; elles passent une fois plus vite, et je suis bien plus forte, par conséquent en état de mieux digérer; je suis restée toute la journée dans ma robe à peigner. J'ai eu ce soir madame Hareng et Lausilieres: on peut causer avec eux,

et ce sera ma ressource.

Nous avons voulu lire l'Éloge du cardinal de Polignac, mais les phrases m'ont paru si longues, que j'ai demandé qu'on cessât; il faut plus de force que je n'en ai pour soutenir cette lecture. Quand Formont sera arrivé, je tenterai l'entreprise. Envoyez-moi le plus tôt que vous pourrez toutes sortes de rogatons. J'ai déjà lu le Voyage de Falaise et la Fausse comtesse d'Isemberq cela est excellent pour Forges. Je crains que les Révolutions de Perse ne soient trop sublimes. Je suis au désespoir d'avoir lu Paméla; je suis le plus pauvre esprit du monde ; je n'ai que ce que l'on lui communique, et depuis que je suis ici, je n'ai que de l'instinct : je ne regarde pas cela comme un malheur. Pour notre duchesse, c'est une bavarderie qui ne

ressemble à rien; toute mon ambition c'est de vivre doucement avec elle, et de terminer notre voyage en paix et bonne intelligence ; mais pour de liaisons, nous n'en aurons jamais ensemble. Elle m'est à rebrousse-poil sur toutes choses; elle engraisse à vue d'œil, et son visage en est plus ridicule.

Je suis très-inquiète de madame de Rochefort, je serais réellement au désespoir s'il lui arrivait le moindre mal: donnez-moi de ses nouvelles, et voyez-la le plus que vous pourrez. Savez-vous que le Forcalquier ne m'a pas écrit depuis sa belle relation : elle est pourtant moins impertinente venant de lui, que si ç'avait été de l'abbé de Sade.

Ce samedi, 14.

Je reçois votre livre et votre lettre de jeudi: vous allez coucher à Meudon; vous ne m'écrirez donc point? C'est mon pain quotidien que vos lettres, je ne puis m'en passer : j'ai eu beaucoup de gonflemens cette nuit, qui ont fait que je n'ai pas bien dormi; j'ai encore pris mes eaux ce matin dans mon lit, et j'en userai de même tant que je serai faible et qu'il fera aussi vilain. Je trouve que je maigris, et je vois engraisser tout le monde. Je voudrais bien avoir

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