Page images
PDF
EPUB

pain; ensuite j'ai joué à la comète avec madame de Péquigni, et puis j'ai fait tout de suite un quadrille avec mon amie madame de Beaucour, M. de Sommery et M. d'Erlevry: ce sont mes complaisans; ils sont partis, et me voilà. Vost lettres me font un plaisir infini, et je dirai de vous, comme madame d'Autré de M. de Cereste vous avez l'absence délicieuse. Mais cependant vous ne m'envoyez rien. Je comptais sur les Harangues de l'Académie ; peut-être n'ont-elles pas encore paru. Toutes les brochures nouvelles il faut me les envoyer. Imaginez-vous qu'il n'y a nul changement, et qu'à Forges ainsi qu'à Paris et partout ailleurs vous êtes ma seule ressource et le seul sur qui je compte, j'aurais dit et de qui j'exige; mais ces mots vous paraissent trop mal sonnans. La Péquigni n'est d'aucune ressource, et son esprit est comme l'espace : il y a étendue, profondeur, et peut-être toutes les autres dimensions que je ne saurais dire, parce que je ne les sais pas; mais cela n'est que du vide pour l'usage. Elle a tout senti, tout jugé, tout éprouvé, tout choisi tout rejeté; elle est, dit-elle, d'une difficulté singulière en compagnie, et ccpendant elle est toute la journée avec toutes nos petites madames à jaboter comme unc pie.

:

Mais ce n'est pas cela qui me déplaît en elle: cela m'est commode dès aujourd'hui, et cela me sera très-agréable sitôt que Formont sera arrivé. Ce qui m'est insupportable, c'est le dîner elle a l'air d'une folle en mangeant; elle dépèce une poularde dans le plat où on la sert, ensuite elle la met dans un autre, se fait rapporter du bouillon pour mettre dessus, tout semblable à celui qu'elle rend, et puis elle prend un haut d'aile, ensuite le corps dont elle ne mange que la moitié; et puis elle ne veut pas que l'on retourne le veau pour couper un os, de peur qu'on n'amollisse la peau ; elle coupe un os avec toute la peine possible, elle le ronge à demi, puis retourne à sa poularde; après elle pèle tout le dessus du veau, ensuite elle revient à ronger sa poularde cela dure deux heures. Elle a sur son assiette des morceaux d'os rongés, de peaux sucées, et pendant ce temps, ou je m'ennuic à la mort, ou je mange plus qu'il ne faudrait. C'est une curiosité de lui voir manger un biscuit; cela dure une demi-heure, et le total, c'est qu'elle mange comme un loup: il est vrai qu'elle fait un exercice enragé. Je suis fâchée que vous ayez de commun avec elle l'impossibilité de rester une minute en repos. Enfin voulez-vous que je vous le dise? elle

1

est on ne peut pas moins aimable: elle a sans doute de l'esprit; mais tout cela est mal digéré, et je ne crois pas qu'elle vaille jamais davantage. Elle est aisée à vivre; mais je la défierais d'être difficile avec moi : je me soumets à toutes ses fantaisies, parce qu'elles ne me font rien; notre union présente n'aura nulle suite pour l'avenir. Si je n'avais pas l'occupation de vous écrire je m'ennuicrais à la mort; mais cela remplit une bonne partie de la journée, et me voilà toute accoutumée à me coucher de bonne heure. Je crois avoir fait un excès quand dix heures et demie me surprennent debout.

Je ne réponds pas à vos lettres, article par article, parce qu'à l'égard des nouvelles, elles sont déjà vicilles quand vous recevez mes réponses, et pour les choses de société elles sont froides quand elles ont huit jours, et vous ne pouvez recevoir de réponse à votre dernière lettre, qui était du samedi 7, que mercredi 11 au plus tôt. La lettre que j'ai fermée ce matin, et qui est partie d'ici à trois heures, ne partira que demain à la même heure pour Paris; pour celles que vous m'écrivez, je les reçois le surlendemain. Nous aurons du moins la satisfaction l'un et l'autre d'avoir tous les jours de nos nouvelles ; les vôtres seront de fraîche date

et les miennes seront plus vicilles. Mon frère me mande qu'il va à Strasbourg par le conseil de tout le monde. Ouvrez toutes mes lettres à l'avenir; je suis bien-aise que vous voyiez ce qu'on me mande, il y pourrait avoir telles choses sur lesquelles je serais bien-aise que vous me donnassiez vos avis.

:

Je n'ai point encore entendu parler de madame de Flamarens. J'ai reçu aujourd'hui une lettre de madame de Rochefort dont je suis trèscontente. C'est son frère qui m'a écrit ces belles pièces d'éloquence que je vous ai envoyées moyennant cela, je les trouve moins impertinentes que si elles étaient de Sades. Je désapprouve assez la conduite du petit chat, et je suis fort aise de n'être pas à portée de recevoir des confidences je n'aime pas la vérité jusqu'à la folie, et je suis quelquefois fort aise de n'être pas obligée à dire ce que je pense.

:

Je parie que le Dar... ne vous a pas demandé de mes nouvelles : c'est l'homme du monde le moins occupé de ce qui ne lui fait rien. Vous n'êtes pas de même, et je trouve que çela a bien son bon : ce sont les circonstances qui en décident ; mais lorsqu'on est à Forges, il n'est pas douteux que cela ne paraisse une grande vertu. Ne vous en corrigez donc point; je crois

bien que cela ne me doit rien faire ; mais ce qui est encore plus sûr, c'est que cela ne peut me nuire.

Voilà ma Péquigni qui rentre: a demain, ou peut-être à tantôt.

« PreviousContinue »