Page images
PDF
EPUB

par

je vous le dis pour la dernière fois, parce que je ne veux pas me donner la licence d'en ler davantage, je sens que cela serait mal sonnant, couchant sous le même toit et mangeant sur la même nappe. Ah! quel toit! ah! quelle nappe! Si jamais je quitte ce lieu-ci, je crois que je n'y reviendrai guère. Deux mois entiers cela ne se peut pas, j'en deviendrais folle; je me laisse mourir de faim pour qu'il ne me manque aucune privation; encore si je commençais les eaux, ce serait une occupation: mais point du tout, il faut que j'attende je ne sais combien de jours.

:

J'ai vu aujourd'hui notre belle compagnie, M. du Deffand n'est pas du nombre, il y a une religieuse de Fontevrault, qui s'appelle Tavannes; un président du présidial d'Abbeville, qui a un habit d'écarlate galonné d'or avec des franges rien n'est plus magnifique ni plus convenable au lieu et à la saison : on nous l'avait annoncé pour un gros joueur, et qui serait ravi de faire notre partie et de quitter le petit jeu qu'il avait été forcé de jouer. En effet il a joué aujourd'hui au piquet au liard, et a consenti que sa femme jouât au quadrille au douze sous, à condition qu'il n'y aurait point de qucue; mais quoiqu'elle

ait gagné un petit écu, il y aura une réforme, et demain nous ne jouerons qu'au deux ou trois sous. Tout ce que je vous mande-là n'est-il pas bien intéressant? Cela est affreux, et en voilà cependant pour deux mois. Nous espérons M. et madame de Rosambeau, je voudrais qu'ils y fussent. Bonsoir, je vais essayer de dormir. Je reprendrai demain mon griffonnage.

:

Mercredi, à onze heures.

Je n'ai point dormi; mais comme rien n'a encore paru, j'ai pris une pinte d'eau qui m'a très-bien passé je sens que je dînerai avec appétit; cette après-dînée j'irai faire des visites et j'espère que je pourrai me coucher et m'endormir de bonne heure. Il n'y aurait pas de malheur plus grand que d'avoir ici des insomnies. Je n'ai point encore eu de nouvelles de Formont; je n'ose espèrer de l'avoir sitôt, je n'ose pas me flatter non plus de recevoir aujourd'hui de vos nouvelles ; la poste cependant vient ici et part tous les jours, tout le monde au moins m'en assure. Je crois que vous supportez patiemment mon absence; mais ce que je ne veux point croire, c'est que vous ne souhaitiez pas mon retour; je n'écouterai sur cela aucune idée triste: ce, que j'ai sous les yeux

est trop peu agréable pour y ajouter encore des malheurs qui seraient peut-être chimériques. Vous me direz pour me rassurer tout ce qu'il faudra me dire, et je me laisserai volontiers persuader. Bonjour, je vous souhaite autant de plaisir que j'ai d'ennui.

[ocr errors]

LETTRE V.

LA MÊME AU MEME.

Jeudi, 5 juillet.

ENFIN me voilà débredouillée de toute façon.

Premièrement, pour suivre les j'attendais est arrivé cette nuit,

dates, ce que m'en porte

je m'en

état de com

bien et je serai, Dieu merci, en mencer mes eaux, dimanche ou lundi. Secondement, j'ai reçu deux lettres pendant mon dîner. Ne croyez point que j'en use comme avec les romans, ce n'est qu'eux que je prends par la queue; je les ai lues selon leur rang: celle de lundi est ravissante, elle m'a fait désirer plus vivement Formont; car c'est un surcroît de plaisir que de lire avec quelqu'un des choses gaies et agréables. Notre Péquigni n'ą pas ce genre-là, elle n'y entendrait rien; elle veut toujours savoir qui l'a pondu, qui l'a couvé c'est un esprit profond, mais nullement gracieux. Faites-moi des récits sans fin, sans cesse : c'est une œuvre de charité; si cela ne vous divertit pas, faites-vous en un devoir

et ce sera le mieux pour moi; car je sais avec quel acharnement vous les remplissez. Ce que vous me mandez du pauvre Mertrud m'afflige et m'inquiète; vous n'êtes pas homme à oublier que vous m'en avez parlé et à ne m'en plus rien dire, si vous en aviez des nouvelles ; il faut de la suite dans vos lettres, pour les miennes, elles ne doivent et ne peuvent être que des bâtons rompus. Je n'ai pas le courage le courage de vous parler de nos compagnies, il n'y a pas le mot pour rire je ne sache que Pallu qui én pût tirer parti pour en faire une lettre plaisante. Je ne saurais étudier des gens plats et sots, et le plus grand bien dont je jouisse en leur absence, c'est de n'y plus penser. Ils me sont cependant bons à quelque chose, à me faire voir la Péquigni de meilleur ceil. Je suis aujourd'hui bien moins noire qu'hier; premièrement parce que j'ai bien dormi, et secondement c'est que je commencerai bientôt les eaux, qui, jointes au régime que j'observe, me feront vraisemblablement grand bien. J'ai reçu aujour d'hui une lettre de madame de Luynes, dont je suis fort contente; quand vous la verrez ne lui dites point que la Pequigni me déplaît; il est dangereux de lui dire ce qu'on pense: ce sont des armes qu'on lui donne contre soi,

« PreviousContinue »