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LETTRE XXVI.

LA MÊME AU MÊME.

20 juillet.

M. d'Arg.... trouve donc qu'il ne faut plus s'étonner si l'on fait pendre des innocens, et que mes subtilités et mes sophismes surpassent tous ceux de Luther, Calvin, etc. Mais ne vous douteriez-vous pas l'un et l'autre que vos textes sont assez obscurs pour que l'on puisse y donner telles interprétations que l'on voudra; et ne serait-ce pas les auteurs qui seraient subtils et hérésiarques, ct, comme tels, ne sentent-ils pas un peu le fagot; et si l'on les faisait pendre ou brûler, aurait-on à se reprocher d'avoir perdu des innocens? A vous dire le vrai, je n'en aurais pas de scrupule; mais j'y aurais beaucoup de regret, parce que j'espère toujours qu'ils deviendront orthodoxes.

Vous me donnez des espérances auxquelles je n'ose me livrer. Quoi ! serait-il possible que notre ami eût si beau jeu? Non, je ne le veux pas croire, il ne m'est point ordinaire de voir arriver les choses que je désire autant.

Je suis fort aise que vous voyez souvent madame de Mirepoix : elle est aimable; je crois son mari fort conséquencieux. Je suis bien de l'avis qu'il leur faut laisser élever leur théâtre sans avoir l'air de s'en soucier, et cela me sera d'autant plus facile qu'effectivement je ne m'en sou-' cie pas.

Je reçus avant-hier une grande lettre de madame de Flamarens, pleine de tendresses. Son style est chaud, et je ne peux pas douter qu'elle ne m'aime : il y a une espèce de ton vif et animé qui a quelque parenté avec la passion. Elle me mandait qu'elle vous avait vu et qu'elle était très-contente de vous. Je lui avais peint la P... à peu près comme à vous: ainsi elle aura vu que je me répète; mais elle n'a eu que la copie et vous l'original.

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J'ai trouvé le discours de M. de Richelieu charmant peut-être en effet est-il trop coupé pour la gravité du lieu et des circonstances; mais il est joli, pathétique et de bon goût. Celui de l'abbé du Reinel est très-bien jusqu'à la fin de l'éloge de l'abbé du Bos, et cet éloge me paraît au mieux, quoiqu'un peu long; mais le reste est d'un ennui insupportable. Pour celui de M. de Meiran, je n'ai point encore pu le lire : cependant je veux me faire cet effort;

mais si tout ressemble aux six premières pages, rien n'est si mal écrit, si plat, si commun, si froid, etc.

Je crois que vous me regrettez, c'est-à-dire, que vous pensez beaucoup à moi. Mais (comme de raison) vous vous divertissez fort bien : vous êtes comme les quiétistes, vous faites tout en moi, pour moi et par moi; mais le fait est que vous faites tout sans moi et que vos journées se passent gaîment, que vous jouissez d'une certaine liberté qui vous plaît, et vous êtes fort aise que pendant ce temps-là je travaille à me bien porter. Mes nuits ne sont pas trop bonnes, et je crois que c'est que je mange un peu trop : hier je me suis retranché le bœuf, aujourd'hui je compte réformer la quantité de pain.

Il y a long-temps que je n'ai eu de nouvelles de madame de la Vallière : j'en suis fâchée, car je l'aime beaucoup. J'avais une lettre à elle que j'ai brûlée : j'y ai du regret, car elle était écrite à ravir : j'aurais voulu vous la montrer. Le Nivernois ne la hait pas, et je crois qu'il n'en aime point d'autres,

J'attends un récit de votre souper de M. du Fort, cela me divertira. Il y aura aussi un article de l'opéra, mais dont je me soucie moins; savez-vous pourquoi? C'est que l'opéra a été

souvent une occasion de noise entre nous, et que vous m'avez pardonné difficilement d'être d'un sentiment contraire au vôtre sur cela.

Je ne saurais croire qu'il y ait tant d'inaction sur les affaires politiques que vous le croyez; mais c'est qu'on garde le secret, et que les M... ne sont peut-être pas informés de ce qui se passe.

D'Ussé ne m'écrit point, et du Châtel, qui m'écrivait de Corse, ne daigne pas m'écrire de Paris; j'en suis scandalisée : il me semble qu'il devrait, ne fût-ce que par politesse, me de`mander comment je me trouve des eaux.

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Sans doute que mes amis sont les vôtres, je ne vous ai jamais prêché d'autre évangile; mais vous ne m'avez jamais paru le vouloir croire. Tant mieux si vous en êtes persuadé aujourd'hui il y a long-temps que cela aurait dû être et que j'ai la certitude que je ne suis jamais. entré pour rien dans leurs empressemens pour vous; mais vous savez que vous m'avez toujours fait valoir vos attentions pour eux comme les ayant par rapport à moi, et que vous ne les nommiez pas autrement, en me parlant d'eux, que vos amis. Ne croyez donc pas que je veuille m'approprier rien de tout ce qu'ils ont fait et feront pour vous; si quelqu'un avait à gagner

dans cette communauté, ce serait moi, et je suis intimement persuadée que vous serez toujours recherché pour vous seul et par préfé

rence à tout.

Je dînai hier chez madame de Rosambeau. On prétend que le dîner était détestable, moi je le trouvai excellent; mais mon appétit est si franc que je ne sache rien que je pusse trouver mauvais. Nous donnerons à dîner dimanche ; nous serons douze ce sera les gens les plus conséquencieux que nous prierons ; nous ferons grand'chère, cela est déjà ordonné.

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Je remplis hier tous mes devoirs, et je vous envoie la liste de toutes les personnes que je vis voyez s'il n'y en a point là de votre connaissance. Adieu. Je vous écris en prenant mes eaux; mais comme il faut les rendre, je vous quitte.

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Ce vendredi, à une heure et demie.

N'allez point vous corriger sur rien, j'aime que vous me parliez ormeaux, ruisseaux, moineaux, etc. et ce m'est une occasion trèsagréable de vous donner des démentis, de vous confondre, de vous tourmenter, c'est je crois će qui contribue le plus à me faire passer mes

eaux.

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