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nom sans doute de son propre patron. Maurice choisit pour expert Vincent Traverse, qui signa avec Jacques Bornat, expert du roi, le procès-verbal de visite, le 15 novembre 1662. Citons-en la description de l'immeuble:

« ...

la dicte maison scise et ayant face sur la rivière, applicquée au rez-de-chaussée à une sallette et passage à costé, avec la montée hors œuvre et au dessus à quatre estages quarrez appliquez chacun à une chambre et bouge à costé de l'escallier et grenier au dessus ; et au derrière dudict escallier sont quatre estages de sièges d'aisances, couverts de thuilles, en appentis à esgout sur la petite courcelle et un berceau de cave soubs les dits lieux garny d'une descente droicte de bois..... tenant d'un costé aux héritiers Cruchet, d'un bout par derrière au sieur Du Roux et par devant sur la dicte rue dudict quay Mallaquais (1). »

Nous connaissons la superficie de l'immeuble par un contrat de constitution de rente du 30 novembre 1640 par lequel Barbier s'oblige en faveur de Marie La Litte et gage la rente sur sa maison du quai Malaquais «< contenant deux toises de large sur cinq toises un pied de profondeur » (2).

Maurice demandait 11.300"; il en obtint 9.500. Le 29 mars 1663, le notaire Le Fouyn dressait l'acte de vente et «< l'Image saint-André » devenait la propriété des exécuteurs du testament de Mazarin (3).

(1) Le dernier acte de vente du 29 mars 1663, indique l'autre tenant comme étant la veuve Labbé; il donne comme aboutissant par derrière Antoine Tournaire, ce qui est exact. Du Roux était un voisin, mais ne touchait pas.

(2) Arch. nat. S. 6.500. (3) Ibid.

Maison formant le coin occidental de l'îlot.

Nous arrivons enfin à la quatrième maison en façade sur le quai, la dernière de l'îlot de la Butte, au coin de la rue de Seine. Nous savons par le cueilleret de l'abbaye, de 1595 (1), qu'avant cette époque il y avait là une maison appartenant et servant de logis à Georges Regnier (ou Renier), capitaine du bateau du roi. Nous savons même par le << Compte du don de trois cens mil livres tz. octroyé par la ville de Paris au feu roy Charles dernier décédé, en l'année M. V° soixante unze (2) » qu'il y habitait déjà à cette dernière date et était taxé pour ce don à la somme de dix livres. Voici exactement les termes du cueilleret :

« Sur la butte

« De Georges Rénier cappitaine du batteau du roy, Pierre Sénéchal, Guillaume Brethon, charpentier de Batteaux et autres pour plusieurs maisons, courts et aisances assis sur la butte, près la rivière de Seyne, tenant d'une part à ladicte Rivière, le chemin entre deux, d'autre part à ladicte rue de Nesle, d'un bout sur la rue de Seyne et d'aultre bout à l'opposite de la grande tour de Nesle, le chemin entre deux, XL sols parisis.

Sur ceste butte les maisons ont ésté rebastyes puis peu de temps et se fault aussy informer des propriétaires qui y bâtissent encores à présent.

Il y a un nommé Jehan Turpin, Me Maçon, qui a aquis la place ou estoit cy-devant le logis de Georges Rénier et y a ledict Jehan Turpin, maçon faict bastir. »>

(1) Arch. nat. S. 3058 fol. 124, Vs° et suiv. (2) Bibl. nat. Mss. Fr. 11692, fol. 309.

Nous remarquerons d'abord que ce cueilleret de 1595 n'était pas au courant et n'était que la copie d'un cueilleret antérieur, car nous verrons que Georges Regnier était mort en 1587 et que son fils Mathurin devait être révoqué en 1590.

La seconde remarque à faire c'est que la mention relative à Turpin est très postérieure au cueilleret, puisqu'on y parle des nouvelles constructions qui s'élèvent de toutes parts sur la butte et que nous savons d'autre part que ces nouvelles constructions n'ont été entreprises qu'après la fin des troubles, c'est-à-dire bien après 1595.

Le titre de capitaine du bateau du roi était plus brillant que les fonctions qu'il désignait : en fait, le capitaine du bateau du roi était un simple passeur, investi en outre de certaines attributions fiscales et de police; il tenait un peu du préposé de l'octroi, et exerçait une surveillance de police fluviale, il avait même parfois quelques soldats sous ses ordres. Pendant longtemps Georges Regnier exerça son métier, avant même de devenir propriétaire de la maison de la butte; après la première guerre de religion, en 1563, il avait loué le corps de garde désaffecté de la porte de Nesle avec le jardin y attenant (1). Le 27 mars 1563 il est mandé à l'hôtel de ville pour se voir tancer d'avoir laissé passer la rivière à des particuliers, malgré les défenses de la Municipalité. Et le malheureux capitaine des deux corps de garde du Louvre (rive droite) et de la Tour de Nesle (rive gauche) avoue qu'il ne peut empêcher les grands seigneurs de passer et que l'autre jour il s'est fait rosser et blesser pour avoir voulu s'y opposer. On était au lendemain de la première guerre de religion

(1) Registre des délibérations du Bureau de ville. VI, p. 49 (note).

et les consignes étaient encore sévères : le Bureau de ville décida que le corps de garde de la porte Saint-Germain enverrait chaque jour quatre hommes à la Tour de Nesle, pour prêter main forte à Georges Regnier et empêcher les passages. N'oublions pas qu'on était déjà dans cette longue période de troubles ou fréquemment des listes de noms étaient données à toutes les portes pour surveiller les entrées et les sorties, parfois même pour les empêcher.

Le 10 novembre de la même année, on cherche sans doute encore à passer subrepticement, car Georges Regnier reçoit l'ordre d'enchaîner ses bateaux. Le 1or mars 1564, il a maille à partir avec un certain Toussaint Chastry, maître passeur et se fait donner acte par le bureau de ville de ce qu'en décembre 1562, il l'a fait condamner à 60 sols parisis d'amende et à tenir prison de huit heures du matin à quatre heures de relevée pour avoir attaché son bateau à la pallée du port de Nesle.

Mais voici venir les grandes journées de cette sanglante époque le 24 août 1572, le jour même de la SaintBarthélemy, Georges Regnier reçoit du Bureau de ville. l'ordre d'établir un corps de garde à la Tour de Nesle et d'empêcher la traversée de la Seine; il ne fallait pas que les huguenots pussent échapper.

L'année suivante, le 18 août 1573, presque à l'anniversaire du massacre, le capitaine Regnier reçoit des instructions se rapportant à des événements moins sinistres il s'agit des ambassadeurs polonais qui viennent chercher le duc d'Anjou, Henri de Valois, le jeune roi qu'ils ont élu. Ils arrivent précédés d'une réputation de bizarrerie dans leur accoutrement qui surexcite la curiosité des badauds. Paris est en fête, se porte au devant d'eux et menace d'obstruer les rues où ils doivent passer. On tend les mai

sons, on décore les rues et, comme ils vont être hébergés au faubourg Saint-Germain ou sur la rive gauche, le capitaine Regnier et ses confrères sont mis à contribution: dès la veille, le 18 août, ils reçoivent l'ordre « d'accoustrer unze basteaulx de passeurs en forme de gondolles de Venise, couvertz de thoille et accoustrez de riches tappis de Turquie, pour passer par la rivière les unze sieurs ambassadeurs Polongnois venuz vers le roy et le roy de Polongne, et leur train, suivant la voluntté du roy, sans en pouvoir passer d'aultres; dont ilz seront paiez raisonna

blement... >>>

Le lendemain 19, vers une heure après midi, la place de grève était noire de monde; un nombreux cortège sortait de l'hôtel de ville: le prévôt des marchands, les échevins, les procureurs et greffiers en leurs robes mi-parties, les conseillers, les quarteniers et les bourgeois désignés, tous à cheval, les chevaux couverts du grand caparaçon, traversaient la place de grève et en une longue colonne, s'enfournaient dans les rues étroites pour gagner la grande rue Saint-Martin, sortaient de la ville et s'arrêtaient près de l'église Saint-Laurent.

Là on se rangea et on attendit longtemps. Enfin, des rumeurs se firent entendre, puis des cris d'admiration et de curiosité; quelques cavaliers balancés au pas de leurs chevaux se distinguèrent au dessus de la foule et enfin derrière eux apparut le groupe des ambassadeurs encadrés chacun par deux personnages de marque. A ce moment, comme pour échauffer encore l'effervescence curieuse du populaire, retentit un coup de canon, puis un second, puis un troisième, puis toute une salve; les chevaux piétinaient, croupionnaient, encensaient, excités par les détonations, et, comme on avait déjà peine à les tenir, éclata encore

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