Page images
PDF
EPUB

Raoullin Canivet. C'est là un nom de famille que nous. avons déjà vu lors de l'aliénation du terrain qui va constituer l'îlot de la Butte, en 1530; Raoullin est sans doute le fils de Nicolas Canivet qui prit jadis le terrain des mains des gouverneurs de l'Hôtel-Dieu. L'adjudication de 1561 est faite au profit de Pierre Sénéchal qui figure au cueilleret de l'Abbaye de 1595 (1). La lecture de l'acte de 1599 nous apprend encore que parmi les titres livrés à l'adjudication figuraient « deux procès-verbaux, l'un de distribution des deniers provenant de l'adjudication de ladicte maison en dacte du vingt quatriesme jour de juillet audit an, signé Chambon et l'autre fet par le commissaire Gallyot en ensuivant l'ordre et distribution desdits deniers en dacte du cinquiesme may mil cinq cens soixante deux, signé dudict Gallyot, et une quictance escripte en parchemin faite audict deffunct Pierre Sénéchal, père de ladicte venderesse, de la somme de cent livres tournois... en dacte du sabmedy dix neufviesme jour de ce mois de juillet audict an mil cinq cens soixante ung ».

Nous voici donc fixés sur le premier propriétaire du terrain loti, et nous sommes d'accord avec Tisserand: c'est Canivet. Quant à Pierre Sénéchal, il se fait adjuger un terrain qui sera, par la suite, divisé en deux et qui en 1663 formera deux propriétés et deux maisons.

Après la mort de Pierre Sénéchal, sa maison passa aux mains de sa fille Catherine qui avait épousé Jehan Fournier, maître charpentier et soldat de la milice bourgeoise. Nous voyons ce dernier, le 27 octobre 1573, signer avec son capitaine et cinq de ses compagnons l'ordonnance d'ouverture du guichet de la porte de Nesle, laquelle devra

(1) Arch. nat. S. 3058.

être gardée par six bourgeois de la Compagnie du capitaine Dumas (1). Or, nous connaissons un Dumas, propriétaire d'une maison quai Malaquais également, mais de l'autre côté de la rue de Seine: tout ceci se passe entre voisins.

Nous ne sommes pas certain que Jean Fournier fût le premier mari de Catherine Sénéchal, car, sur le « Compte du don de trois cens Mil livres tz. octroyé par la ville de Paris au feu roy Charles dernier décédé, en l'année M. V. soixante unze », nous voyons figurer un certain Jehan Noel pour 40 sols. Or ce Jehan Noel est inscrit immédiatement à côté de Guillaume Breton, propriétaire de l'immeuble précédent que nous avons vu ci-dessus et les noms de propriétaires semblent inscrits très régulièrement en suivant l'ordre des immeubles (2). Il se pourrait aussi que Jehan Noel fût un locataire.

Toujours est-il qu'en 1599, Jean Fournier était mort et que sa veuve, Catherine Sénéchal, par acte du 19 août, devant Tronçon et Babinet notaires, vendait sa maison ou plutôt sa << place », comme il est dit dans l'acte, à Nicolas de Longuemare et à Marie Tournet sa femme. Ce que vendait Catherine Sénéchal était bien peu de chose, peut-être quelque atelier établi dans l'une de ces malheureuses maisons ruinées par les troubles. Jugeons-en par la description qu'en donne l'acte de vente :

... Une place sur laquelle estoict cidevant bastie et construicte une maison laquelle se consistoict en une cave voutée, une salle et sallette, deux chambres et deux greniers, les cloisons entre deux salles et une court... tenant d'une part à Georges Regnier d'autre à Jehanne Breton, abboutissant d'un

(1) Reg. des délibérations du Bureau de ville. (2) Bibl. nat. Mss. fr. 11692, fol. 309.

bout par derrière à Guillaume Marie et par devant sur la butte regardant la rivière. »>

En tout cas, la première chose que fit Longuemare fut de jeter bas ce qui en restait et de faire construire une maison. Le métier qu'il exerçait n'était pourtant pas de ceux qui enrichissent: Longuemare était « maître passeur es ports de ceste ville de Paris » et appartenait à cette pléiade de petits artisans qui vivaient des nombreux métiers auxquels donne naissance la proximité du fleuve. Longuemare était déjà passeur au port de l'École, dès le 18 octobre 1585, bien avant son acquisition, et nous le voyons ce jour-là recevoir l'ordre de la municipalité d'avoir, lui et trois de ses confrères, « à saisir et arrester toutes et chacunes les flettes et bachots qu'ils trouveront chargez de boys sur la rivière et iceulx garer et fermer, ensemble les avirons et ustancilles desdits bachots et flettes »> (1). Il ne faut pas oublier que cette année 1585 fut particulièrement agitée, que la Ligue commença à y laisser voir la violence de ses procédés et que c'est cette année-là même que furent institués les Seize.

Trente-six ans plus tard, Nicolas de Longuemare était toujours maître passeur et, par acte du 11 juin 1621, devant Févret et Tullone, vendait sa petite maison du quai à Hector Vallu, marchand taillandier, bourgeois de Paris, et à Barbe Viart son épouse. Hector Vallu perdit sa femme et maria sa fille Nicolle à un certain Louis Duval, marchand, bourgeois de Paris, qui demeurait sur le quai de la Mégisserie. Lui-même n'habitait pas sa maison du quai Malaquais, mais bien à Saint-Marcel-lès-Paris, rue des Francs Bourgeois, paroisse Saint-Martin; il l'avait louée

(1) Registre des délibérations du Bureau de ville.

par bail du 27 janvier 1656, devant Rallu et Manchon notaires, à Jean Vastel, marchand de vin, et à Jeanne Paris, sa femme. La maison était fort petite et il est probable que le marchand de vin l'occupait entièrement. Deux ans après, le 31 juillet 1658, Hector Vallu et sa fille Nicolle, devenue veuve et copropriétaire avec son père, vendirent la maison du quai à Christophe Cruchet, juré porteur de charbon es ports et places de Paris et à Marie Petit, sa femme.

Nous savons qu'à ce moment la maison avait déjà pour enseigne « Le Mortier d'Or », mais nous ignorons depuis quand elle était ainsi dénommée.

Nous pouvons avoir une idée du niveau des contractants par ce fait que, lors de la signature de l'acte, en l'étude de Me Leblond, notaire, Hector Vallu, le vendeur, et Marie Petit, la femme de l'acheteur, déclarent ne savoir signer (1).

Quatre ans après, Cruchet était mort et on parlait de la fondation du collège Mazarin et des expropriations de la Butte. Le 30 octobre 1662, avait lieu la visite de l'expert du roi, Jacques Bornat, accompagné de Thomas Jamart, maître maçon expert pour les propriétaires, car la veuve et les enfants de Cruchet semblent dans l'indivision. Le 20 novembre, le procès verbal était signé des deux experts; voici la description du « Mortier d'Or » :

<< Une maison scise et ayant face sur le quay Mallaquais à laquelle pend pour enseigne Le Mortier d'Or, couverte en thuilles en comble et de trois travées de profondeur, appliquée au rez-de-chaussée à une salle cuisine et allée de passage et montée dans œuvre au derrière de laquelle sont deux sièges d'aisances, l'un sur l'autre et, au dessus, à trois estages quarrés

(1) Arch. nat. S. 6499.

et un en galtas, chacun appliqué à chambre et bouge et grenier au dessus et au dessus de ladicte cuisine est un cabinet à cheminée, couvert de plomb en terrasse; deux berceaux de cave soubz lesdicts lieux, à costé l'un de l'autre, garnis de deux descentes de pierre, l'une droicte et l'autre postoyère (1)... Tenant d'un costé au sieur Onfray, d'autre au sieur Maurice, abboutissant par derrière au sieur du Roux et par devant sur ledict quay. »

Comme indemnité, les experts tombèrent d'accord sur la somme de 11.000 livres tournois. Nous apprenons aussi que le terrain avait 17 toises 1/2 de superficie, que les propriétaires y avaient fait depuis peu d'importantes réparations, notamment la réfection des assises en pierres de taille et des trumeaux, jusqu'au premier étage (2). En conséquence, le conseil des finances rendit un arrêt le 11 décembre, accordant la somme fixée par les experts. Cet arrêt nous apprend en outre que « Le Mortier d'Or >> était loué plus de 600 livres par an.

Enfin, le 31 mars 1663, intervenait devant le notaire Le Fouyn, le dernier acte auquel ait donné lieu la maison. du « Mortier d'Or»: Marie Petit, veuve Cruchet, son fils Germain, maître boulanger, juré porteur de charbon, et ses cinq filles qui avaient toutes épousé des marchands de vin, cédaient et transportaient la petite maison du quai aux exécuteurs du testament de Mazarin.

Mentionnons que sur cet acte de vente, la désignation de l'immeuble indique un retour en hache de la propriété Onfray, enclavant par conséquent « Le Mortier d'Or, » à l'est et au sud, et l'empêchant de toucher à la propriété Du Roux, comme il est dit au procès-verbal de

(1) En vis; voir note ci-dessus.

(2) Arch. nat. S. 6499.

« PreviousContinue »