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inégalement éloignées de la rivière. Le terrain ainsi acquis était limité par le chemin de la Noue (rue Bonaparte), le petit Pré-aux-Clercs (rue Jacob), les fossés de Nesle (rue Mazarine) et le bord de l'eau. Le duc de Berry fit démolir les deux tuileries et fit aménager et construire ce qu'on appela le «< Séjour de Nesle », qui comportait des jardins, des granges, des écuries, des communs et un principal corps d'hôtel, le tout large de 40 toises et profond de 24 (1). Il faisait en même temps réparer avec luxe l'hôtel de Nesle lui-même.

Le duc de Berry ne jouissait pas de la faveur populaire et s'était rendu odieux par sa cruauté et ses exactions dans l'administration des provinces dont il eut le gouvernement. Il prit parti dans les rangs des Armagnacs contre les Bourguignons et dut fuir Paris pour se réfugier à Bourges dans son apanage. En juillet 1411, pendant son absence, eurent lieu de violentes émeutes au cours desquelles trois mille bouchers ou gens du peuple appartenant au parti qu'on appela les Cabochiens sortirent pour aller piller et saccager le château de Bicêtre, propriété du duc de Berry; « et après en faisant plusieurs autres maulx vindrent encore abatre et destruire une autre maison sur la rivière de Seine où icellui duc tenoit ses chevaulx, et n'estoit pas loing de l'ostel de Neelle, au dehors de la porte... » (2).

Le duc de Berry fut vivement affecté de cet événement, mais il ne put s'en venger comme il comptait le faire, car, assiégé lui-même, l'année suivante, dans Bourges, par les troupes royales, il dut capituler et venir finir ses jours à

(1) Suivant un article de comptes de 1416 (Berty et Tisserand Topographie historique du vieux Paris,) T. III, p. 191.

(2) Monstrelet, éd. Douet d'Arcq. II. p. 197.

l'hôtel de Nesle où il vécut retiré et presque pauvre, sans faire relever de ses ruines le séjour de Nesle; il y mourait le 15 juin 1416, âgé de 76 ans, chargé des malédictions de tous ceux qu'il avait gouvernés, mais laissant la réputation d'un prince éclairé. Il avait réuni une admirable bibliothèque qui fit retour au roi et vint enrichir la «< Librairie » que Charles V avait installée dans la Tour du Louvre et qui forme encore le premier fonds et le plus précieux de notre Bibliothèque nationale.

Berty et Tisserand semblent admettre que ce fut le duc de Berry qui fit transformer en véritable porte, avec un pont de pierre par-dessus les fossés de la ville, la petite poterne primitive qui donnait accès hors de la ville et aboutissait sur ce qui fut le commencement du quai Malaquais.

Après la mort du duc de Berry, l'hôtel et le séjour de Nesle revinrent à la couronne et furent donnés à Ysabeau de Bavière, la femme du malheureux Charles VI. Elle y célébra des fêtes après le honteux traité qui livrait Paris et une partie de la France aux Anglais, et le jeune roi d'Angleterre, Henri VI, y assista avec elle et entouré de toute sa cour, à la représentation du Mystère de SaintGeorges.

Elle en demeura propriétaire jusqu'à sa mort, en 1435. Un an après, Charles VII reprenait Paris et rentrait en possession de l'hôtel et du séjour de Nesle. En 1446, il fit don de l'hôtel au duc de Bretagne, et aliéna le « séjour ». Cette année même, les religieux de Saint-Germain-des-Prés étaient obligés de faire saisir les récoltes du «< séjour » pour paiement de droits de cens qu'ils réclamaient.

Ne nous étonnons point d'y voir pousser des récoltes, puisque le séjour de Nesle n'avait point été relevé de ses

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ruines. Berty (1) cite un acte de 1449 où les sept arpents qui formaient le « séjour » sont indiqués comme le lieu <«< où jadis soulloit estre le séjour de Nesle ». Cet emplacement était alors aux mains d'une certaine Antoinette Magnac qu'une sentence du 24 mars 1449 contraint à payer ses redevances.

Que devint alors ce coin de terre? Nous ne saurions le déterminer avec précision. On y installa des cultures, des échoppes, quelques masures éphémères. En 1486, nous retrouvons le nom d'un propriétaire, Jean Spifame, écuyer du roi, qui vend la masure et jardin appelés « séjour de Nesle» et huit arpens attenants, bornés par la rue de Seine, à Robin de Montrouge, tuilier. Tisserand (2) semble supposer qu'en 1510, la propriété du sol était revenue entre les mains de l'aumônier de Saint-Germaindes-Prés : en effet, il cite pour cet emplacement un accensement du 3 mai 1510 en faveur de l'enlumineur Jean Pichore, de 5 arpens, I quartier et 20 perches s'étendant jusqu'au bord de l'eau. Nous possédons encore des œuvres de Jean Pichore, et notamment des heures à l'usage de Rome imprimées et achevées à Paris le 5 avril 1503 (n. s. 1504) « par Jehan Pichore et Rémy de Laistre, demourant au Croissant en la grand rue des Carmes dessus la place Maubert » (Bibl. Mazarine, réserve 34984). Il travailla aussi pour le cardinal Georges d'Amboise, en 1501, et toucha à cette époque 12 livres « pour les histoires qu'il a faictes au livre de la Cité de Dieu » (Bradley, Dictionary of miniaturists).

Jean Pichore revendit son terrain, le 19 septembre 1519, aux gouverneurs de l'Hôtel-Dieu à l'occasion des projets

(1) Topographie historique du vieux Paris, III, 191. (2) Ibid.

du Sanitat qui devaient, quelques années après, être abandonnés faute d'argent. Mais à ce propos naquirent de grandes difficultés, car l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, qui avait des droits de cens à percevoir sur toute cette région, n'entendait pas voir la propriété tomber aux mains d'un établissement charitable comme l'Hôtel-Dieu, qui n'aurait plus eu à payer de cens. L'affaire alla devant le Parlement et un arrêt du 28 septembre 1530, confirmé par celui du 20 août 1531, obligea les frères de l'Hôtel-Dieu à revendre, à leur tour, les terrains qu'ils tenaient de Pichore. Ils s'exécutèrent et les cédèrent à un personnage qui devait arriver à une haute situation, Gilles Lemaître.

Le nouveau propriétaire devint, en effet, peu de temps après, avocat du roi. Henri II, qui l'appréciait comme jurisconsulte, le nomma, en 1550, quatrième président au Parlement et, peu après, premier président. Les circonstances de sa mort nous laissent supposer qu'il était sans doute fort nerveux et atteint d'une maladie de cœur, car, dans la nuit du 5 au 6 décembre 1562, ayant entendu dans la rue du bruit, du mouvement et des allées et venues nombreuses, à cause de l'attaque du faubourg Saint-Victor par les huguenots, il s'imagina qu'on venait l'enlever et en mourut de frayeur. Il est juste d'ajouter qu'il était fort âgé, malade dans son lit et qu'il redoutait les représailles des religionnaires, ayant été à maintes reprises assez dur à leur égard dans ses jugements. Il possédait un hôtel rue des Mathurins, près de la Sorbonne, que l'on nommait aussi parfois l'hôtel d'Harcourt, ainsi que le château de Chilly, près de Longjumeau.

Mais, avant même d'avoir cédé le terrain qui nous occupe à Gilles Lemaître, les gouverneurs de l'Hôtel-Dieu. avaient, dès le 6 septembre 1530, passé un bail à charge de

bâtir en faveur de Nicolas Canivet dit Grandval, charpentier de bateaux, et de Jacques Audouart (1). Peut-être s'agit-il ici d'un certain Audouart que nous trouvons, quelques années après, conseiller au Parlement. Chacune des deux portions de terrain contenait 10 perches et demie et Tisserand, dans sa Topographie historique, croit cette évaluation exagérée. Au surplus, cet emplacement n'était qu'une partie des terrains qui allait bientôt appartenir à Gilles Lemaître, car Tisserand le qualifie de « usurpé sur la pièce de Gilles Lemaître ». Quoi qu'il en soit, les locataires, ayant rempli les clauses de constructions, en étaient peu après propriétaires, à telle enseigne que Canivet rachetait, dès 1532, la moitié orientale de l'îlot qui nous intéresse et qui avait été primitivement attribuée à Jacques Audouart.

« L'Image Notre-Dame », puis
« la Croix de Lorraine ».

Voici donc l'îlot de la butte constitué et Canivet, le charpentier de bateaux, en aurait été le premier et unique propriétaire, puisque antérieurement ce terrain semble avoir fait partie de propriétés plus vastes dont les autres portions s'en séparent alors pour toujours et dont nous n'avons pas à nous occuper ici.

Les limites de cet îlot qui ne vont guère se modifier jusqu'à sa disparition en 1663, étaient les suivantes : au nord, le quai Malacquest; au sud, la petite rue de Nesle

(1) Berty et Tisserand, Topogr. hist. du vieux Paris, III, p. 189-191.

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